Principes d'impartialité du tribunal et de prévisibilité de la loi pénale : la CEDH confirme le pouvoir répressif de la commission des sanctions de l'AMF
Par son arrêt rendu le 1er septembre 2016, la CEDH exclut toute violation du principe d'impartialité au sens de l'article 6, § 1, de la Convention EDH en raison des garanties d'indépendance entourant la composition et le fonctionnement de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers. La CEDH considère également que la règlementation applicable à l'époque des faits en matière de délai de règlement-livraison était suffisamment prévisible pour permettre aux requérants de savoir que leur responsabilité professionnelle pourrait être engagée, de sorte qu'aucune violation de l'article 7 de la Convention EDH ne peut être constatée en l'espèce.
CEDH, 1 sept. 2016, n° 48158/11
À l’origine de la décision commentée, sont en cause des opérations d’arbitrage réalisées en 2005 sur le titre Euro Disney par la Banque d’Orsay, dans le cadre de son activité de négociation pour compte propre.
Pendant la période de souscription à une augmentation du capital de cet émetteur, la Banque d’Orsay a souscrit des droits préférentiels de souscription à des actions nouvelles à un prix inférieur au cours de bourse, et parallèlement vendu à découvert des quantités importantes de ce titre, en prévoyant d'honorer ces ventes par le recours à des emprunts de titres.
En l’absence de quantités suffisantes de titres à emprunter, la Banque d’Orsay n’a pas été en mesure de livrer tous les titres vendus à découvert dans[...]
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La décision de sanction relève également que, face à l’assèchement des prêts de titres, les mis en cause auraient également passé plusieurs séries d’ordres en sens contraires auprès de divers brokers afin de reporter de manière artificielle leur propre obligation de livraison.
Sanct. AMF, 1re sect., 4 sept. 2008, Banque d’Orsay et a. : BJB déc. 2008, n° 63, p. 510, note Arsouze C.
Les autres manquements sanctionnés sont relatifs au non-respect du calendrier de l’augmentation de capital d’Euro Disney, et à l’absence de procédures de contrôle des services d’investissement.
L’article 4-8-5-1 des règles de compensation de LCH Clearnet prévoit, dans leur version alors applicable, que le règlement des capitaux et la livraison des instruments financiers, dans les relations entre adhérents, et dans les relations entre les adhérents et les collecteurs d’ordres, ont lieu dans un délai maximum à compter de la date de la transaction. L’article 1er de l’instruction LCH Clearnet IV.8-1 relative aux délais de règlement et de livraison fixe ce délai à trois jours pour les achats et les ventes au comptant.
Aux termes de l’article 1-7-2-2 des règles de compensation de LCH Clearnet, dans leur version alors applicable, les suspens peuvent à tout moment faire l’objet d’une procédure de rachat ou de revente à l’initiative de LCH Clearnet, aux risques et aux frais de l’adhérent compensateur défaillant, dans des conditions figurant dans une instruction. L’article 1er de l’instruction LCH Clearnet IV. 8-3 relative aux procédures de régularisation des suspens sur les transactions effectuées sur les marchés d’Euronext Paris prévoit que le rachat opéré en vue de dénouer toute position ouverte vendeuse intervient le soir du septième jour de compensation suivant la date de dénouement théorique.
CE, 6e et 1re ss-sect., 18 févr. 2011, n° 322786, Banque d’Orsay, et autres c/ AMF : BJB mai 2011, n° 149, p. 315, note Arsouze C.
CEDH, 19 mai 2009, n° 25041/07, Messier c/ France.
Récemment résumés dans CEDH, 23 avr. 2015, n° 29369/10, Morice c/ France.
À propos du Conseil des marchés financiers, CEDH, 27 août 2002, n° 58188/00, Didier c/ France ; du Conseil de la concurrence, CEDH, 3 déc. 2002, n° 53892/00, Lilly France S.A. c/ France ; de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers, CEDH, 19 mai 2009, n° 25041/07, Messier c/ France et de la Commission bancaire, CEDH, 11 juin 2009, n° 5242/04, Dubus S.A. c/ France.
Cass. com., 25 févr. 2014, n° 13-18871 QPC, C. c/ AMF : BJB avr. 2014, n° 111h2, p. 199, note Le Fur A.-V. : « Et attendu que la procédure suivie devant l’Autorité des marchés financiers organise une stricte séparation entre l’organe chargé des fonctions de poursuite et celui investi du pouvoir de sanction, lequel ne dispose pas de la faculté de se saisir d’office, de sorte que la question posée ne présente pas un caractère sérieux au regard des exigences d’indépendance, d’impartialité, de respect des droits de la défense et de séparation des autorités de poursuite et de jugement qui découlent du principe de valeur constitutionnelle invoqué ».
CEDH, 15 oct. 2009, n° 17056/06, Micallef c/ Malte.
V. C. mon. fin., art. R. 621-38, al. 5 ; C. mon. fin., art. R. 621-39 II, al. 1er et 2, et C. mon. fin., art. R. 621-40 introduits par le décret n° 2010-1524 du 8 décembre 2010, pris en application de la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière. On précisera que l’échange de conclusions écrites avec le représentant du collège est plutôt rare dans le cadre des procédures devant la commission des sanctions de l’AMF, contrairement aux échanges nourris qui peuvent intervenir dans le cadre de la procédure devant la commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
V. Le Fur A.-V., BJB avr. 2014, n° 111h2, p. 199 ; Bompoint D., RD bancaire et fin. mars 2011, n° 2, dossier n° 12.
V. C. mon. fin., art. L. 621-30, al. 2, introduit par L. n° 2010-1249, 22 oct. 2010, art. 6, de régulation bancaire et financière.
Ce pouvoir de la Commission des sanctions de l’AMF est prévu par C. mon. fin., art. L. 621-40, II. À notre connaissance, en dehors de la présente affaire, seules des investigations supplémentaires portant sur des faits nouveaux ou des auditions supplémentaires ont été ordonnées. V. par exemple AMF Sanct., 16 sept. 2011, MM. H et J ; AMF Sanct., 15 mars 2007, Sté X et M. A ; AMF Sanct., 4 oct. 2005, M. A ; AMF Sanct., 8 sept. 2011, Dubus SA.
Communiqué de presse du 19 septembre 2008 : « Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), rappelle que les règles en vigueur à Paris obligent tout vendeur de titres sur le marché réglementé à livrer les titres sous trois jours. (…) À ce titre, elle rappelle que le collège de l’Autorité a notifié, il y a plusieurs mois, des griefs à un prestataire de services d’investissement (PSI) soupçonné d’avoir cédé sans être en mesure de livrer à bonne date ».
V.la jurisprudence pertinente en la matière, et notamment CEDH, 21 oct. 2013, n° 42750/09, Del Rio Prada c/ Espagne ; CEDH, 25 mai 2013, n° 14307/88, Kokkinakis c/ Grèce.
Ce raisonnement est également celui de la Cour de justice de l’Union européenne : CJCE, 22 mai 2008, n° C-266/06, Evonik Degussa Gmbh.
CEDH, 28 mars 1990, n° 10890/84, Groppera Radio AG c/ Suisse.
CEDH, 6 oct. 2011, n° 50425/06, Soros c/ France : BJB janv. 2012, n° 7, p. 11, note Morel-Maroger J. ; CEDH, 15 nov. 1996, n° 17862/91, Cantoni c/ France.
Il doit naturellement s'agir d'une erreur de rédaction puisque ce n'est pas l'achat de droits préférentiels de souscription qui est en cause dans cette affaire, mais bien la poursuite des ventes à découvert sans assurance de pouvoir livrer les titres vendus.
La décision de la commission des sanctions vise en particulier « deux prestataires de services d’investissement [qui] avaient réagi à l’absence de contreparties prêteuses de titre Euro Disney, notamment en refusant les ordres à découvert sur cette valeur ».
On rappellera aussi que ce professionnel a de surcroît mis en œuvre des méthodes pour masquer son absence de provision – dans le but justement d’apurer les suspens qu’il allait causer, et alors même qu’il ne disposait pas de l’assurance raisonnable de pouvoir livrer les titres vendus in fine. Cela résulte des transcriptions des conversations téléphoniques entre les préposés de l’activité de négociation pour compte propre de la banque reprises dans la décision de la commission des sanctions : « Donc là, normalement, ça te recule de trois jours ».
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