La responsabilité civile du dirigeant pour ses actes de concurrence envers la société
Lorsqu’un dirigeant social concurrence son entreprise, en l’absence de prévision expresse, il doit répondre de la violation de son obligation de non-concurrence tant qu’il est en exercice, tandis que l’ancien dirigeant est sanctionné sur le fondement de l’action en concurrence déloyale. Toutefois, sous l’influence d’une obligation de loyauté du dirigeant de plus en plus contraignante, la distinction entre ces deux régimes de responsabilité civile s’atténue, entraînant un accroissement du risque de responsabilité du dirigeant.
1. Présentation de l’étude. Il est désormais acquis que les qualités respectives d’associé et de dirigeant fondent deux régimes distincts quant à l’obligation de non-concurrence. En l’absence de prévision expresse, celle-ci ne pèse que sur le dirigeant social1. En dépit du silence des textes sur cette question, il ressort de plus en plus clairement de la jurisprudence que celui dont la mission consiste à représenter la société ne saurait en même temps la menacer par son activité concurrentielle. Sous l’influence d’une obligation de loyauté renforcée2, le risque de responsabilité du dirigeant social apparaît ainsi accru. Les évolutions récentes de la responsabilité civile du dirigeant qui concurrence son entreprise entraînent cependant des incertitudes. L’étude du droit positif conduit à observer une atténuation de la distinction entre, d’une part, le régime de responsabilité[...]
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Cela ne signifie donc pas, pour l’associé, l’absence totale d’obligation de non-concurrence, celle-ci étant prévue dans certains cas. Sur cette question, v. not., Brès A., « L’obligation de non-concurrence de plein droit de l’associé », RTD com. 2011, p. 463 ; Marsin-Rose R., « Regards sur l’obligation de non-concurrence en droit des sociétés », JCP E 2012, 1713 – Cass. com., 15 nov. 2011, n° 10-15049 : Godon L., « L’obligation de non-concurrence de l’associé et du dirigeant de société », Rev. sociétés 2012, p. 292.
Le renforcement s’entend par rapport au principe de bonne foi du droit commun des contrats (C. civ., art. 1104, issu de Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des obligations, ci-après appelée « réforme du droit des obligations »).
Cozian M., Viandier A. et Deboissy F., Droit des sociétés, 29e éd., 2016, Lexis-Nexis, nos 355 et s. ; Le Bars B., « Responsabilité civile des dirigeants sociaux », nos 29 et s., Rép. sociétés, Dalloz (mise à jour oct. 2015).
L’article L. 223-22 du Code de commerce est relatif aux SARL et l’article L. 225-251 s’applique aux SA. S’agissant des SAS, l’article L. 227-8 du Code de commerce renvoie aux dispositions relatives aux SA.
Sur l’action en concurrence déloyale, v. not., Roubier P., « Théorie générale de l’action en concurrence déloyale », RTD com. 1948, p. 543 ; Serra Y. (dir.), La concurrence déloyale, 2001, Dalloz ; Payet M.-S., « Code civil et concurrence », in 1804-2004, Le Code civil, un passé, un présent, un avenir, 2004, Dalloz ; Serra Y., « L’évolution de l’action en concurrence déloyale en droit français », in Mélanges Bernard Dutoit, 2002, Droz, p. 287 ; Izorche M.-L., « Les fondements de la sanction de la concurrence déloyale et du parasitisme », RTD com. 1998, p. 17.
Sur l’obligation de non-concurrence du dirigeant, v. not., Cozian M., Viandier A., Deboissy F., Droit des sociétés, 29e éd., 2016, Lexis-Nexis, n° 339 ; Godon L., « L’obligation de non-concurrence des dirigeants sociaux », BJS janv. 1999, n° 1, p. 5.
Sur le devoir de loyauté du dirigeant, v. not., Caussain J.-J., « À propos du devoir de loyauté des dirigeants de société », in Mélanges Barthélémy Mercadal, 2002, Francis Lefebvre, p. 303 ; Daigre J.-J., « Le petit air anglais du devoir de loyauté des dirigeants », in Mélanges Pierre Bézard, 2002, Dalloz, p. 79 ; Grevain-Lemercier K., Le devoir de loyauté du dirigeant en droit des sociétés, thèse, 2013, PUAM ; Bouloc B., « L’obligation de loyauté du dirigeant social », in Mélanges Paul Le Cannu, 2014, LGDJ, p. 233.
V. not., Schiller S., « Les fautes des dirigeants sociaux », in Mélanges Michel Germain, 2015, Lexis-Nexis, p. 753, n° 18.
Sur l’éthique des affaires, v. not., Oppetit B., « Éthique et vie des affaires », in Mélanges André Colomer, 1993, Litec, p. 319 ; Le Tourneau P., L’éthique des affaires et du management au tournant du XXIe siècle, 2000, Dalloz.
L’évolution jurisprudentielle aboutissant à cette solution s’est opérée à partir de 1982 : Cass. com., 8 mars 1982, n° 79-10412 : Rev. sociétés 1982, p. 573, note Guyon Y. Sur cette question, parmi d’abondantes références, v. not., Dondero B., « L’immunité des dirigeants d’entreprise », in Deshayes O. (dir.), Les immunités de responsabilité civile, 2009, PUF, p. 37.
Sauf à ce que le dirigeant n’agisse pas ès-qualité. Pour un exemple où le dirigeant a été déclaré responsable en sa qualité d’associé, v. CA Paris, 10 sept. 1999, n° 97/10588 : BJS déc. 1999, n° 285, p. 1223, note Godon L.
La notion de faute détachable des fonctions est centrée sur l’anormalité depuis 2003 : Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17092 : Bull. civ. IV, n° 84 ; BJS juill. 2003, n° 167, p. 786, note Le Nabasque H. ; D. 2003, p. 1502, obs. Lienhard A. ; D. 2003, p. 2623, note Dondero B. ; D. 2004, p. 266, note J.-C. Hallouin ; Rev. sociétés 2003, p. 479, note Barbiéri J.-F. ; RTD com. 2003, p. 523, obs. Chazal J.-C. et Reinhard Y. ; RTD com. 2003, p. 741, obs. Champaud C. et Danet D. Sur cette évolution, v. not., Nicolas E., « La notion de faute séparable des fonctions à la lumière de la jurisprudence récente », Rev. sociétés 2013, p. 535, spéc. n° 9.
À ce jour, il semble qu’un seul arrêt de la Cour de cassation ait admis la qualification de faute détachable pour des faits de concurrence déloyale : Cass. com., 7 juill. 2004, n° 02-17729, D : BJS déc. 2004, n° 303, p. 1531, note Le Nabasque H.
Dondero B., « Définition de la faute séparable des fonctions du dirigeant social », D. 2003, p. 2623.
Pour une définition du représentant social : « Organe auquel est dévolue cette qualité par la loi, afin d’accomplir tous les actes sociaux et d’engager la société envers les tiers », in Gibirila D., Le dirigeant social : statut juridique, social et fiscal, 1995, Litec, n° 8 (extrait).
En ce sens, v. not., Dondero B., Le Cannu P., Droit des sociétés, 6e éd., 2014, LGDJ, n° 165.
Cass. com., 15 nov. 2011, n° 10-15049 : Godon L., « L’obligation de non-concurrence de l’associé et du dirigeant de société », Rev. sociétés 2012, p. 292.
Casaux L., La pluriactivité, thèse, 1993, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, p. 145 ; Ray J.-E., « Fidélité et exécution du contrat de travail », Dr. soc. 1991, p. 377.
V. not. : Cass. com., 6 mai 1991, n° 89-13780 : D. 1991, p. 609, note Viandier A. – Mestre J., Lamy sociétés commerciales, 1995, n° 616.
V. not. : Cass. com., 11 févr. 1964 : Bull. civ. I, n° 67 – CA Paris, 10 nov. 1992 : D. 1995, p. 75, obs. Picod Y.
Godon L., « L’obligation de non-concurrence des dirigeants sociaux », BJS janv. 1999, n° 1, p. 5.
Cass. com., 7 juin 1994, n° 92-13935, D : Rev. sociétés 1995, p. 275, note Vatinet R. ; BJS nov. 1994, n° 336, p. 1232, note Saintourens B.
Cass. com., 27 févr. 1996, n° 94-11241 : Bull. civ. IV, n° 65 ; BJS juin 1996, n° 164, p. 485, note Couret A. ; D. 1996, p. 518, note Malaurie P. ; D. 1996, p. 342, note Hallouin J.-C. ; D. 1996, p. 591, note Ghestin J. ; RTD civ. 1997, p. 114, obs. Mestre J. ; JCP G 1996, II, n° 22665, note Ghestin J.
Cass. com., 24 févr. 1998, n° 96-12638 : Bull. civ. IV, n° 86 ; BJS juill. 1998, n° 266, p. 813, note Petit B. ; D. 1999, p. 100, obs. Picod Y. ; Rev. sociétés 1998, p. 546, obs. Coquelet M.-L. ; RTD com. 1998, p. 612, obs. Champaud C. et Danet D.
Cass. com., 7 juin 1994, n° 92-13935, D : BJS nov. 1994, n° 336, p. 1232, note Saintourens B.
Cass. com., 15 nov. 2011, n° 10-15049 : Godon L., « L’obligation de non-concurrence de l’associé et du dirigeant de société », Rev. sociétés 2012, p. 292.
Cass. com., 12 févr. 2002, n° 00-11602 : Bull. civ. IV, n° 32 ; BJS mai 2002, n° 137, p. 617, note Saintourens B. ; JCP E 2002, p. 851, n° 3, obs. Viandier A., Caussain J.-J. ; Dr. sociétés 2002, comm. 8-9, note Bonneau T.
Cass. com., 12 févr. 2002, n° 00-11602 : Godon L., « L’obligation de non-concurrence du dirigeant social et l’émergence d’une obligation de fidélité », Rev. sociétés 2002, p. 702, n° 12.
Sur cette question, v. not. : Cass. com., 15 nov. 2011, n° 10-15049 : Dondero B. et Couret A., « La captation des opportunités d’affaires et le droit des sociétés », JCP E 2011, 1893 ; Helleringer G., « Le dirigeant face à l’opportunité d’affaires », D. 2012, 1560.
Cass. com., 15 nov. 2011, n° 10-15049 : Bull. civ. IV, n° 188 ; BJS févr. 2012, n° 116, p. 112, note Le Nabasque H. ; D. 2011, p. 2865, obs. Lienhard A. ; Rev. sociétés 2012, p. 292, note Godon L. ; D. 2012, p. 134, note Favario T.
Cass. com., 10 sept. 2013, n° 12-23888 : Bull. civ. IV, n° 131 ; BJS nov. 2013, n° 110v4, p. 724, note Barbièri J.-F.
Sur la représentation issue de la réforme du droit des obligations, v. not., Dondero B., « Capacité et représentation des sociétés », BJS sept. 2016, n° 115m9, p. 510 ; Mekki M., « Réforme du droit des obligations : la représentation », JCP N 2015, 1255 ; Didier P., « La représentation dans le nouveau droit des obligations », JCP G 2016, 580.
C. civ., art. 1157, issu de la réforme des obligations : « Lorsque le représentant détourne ses pouvoirs au détriment du représenté, ce dernier peut invoquer la nullité de l’acte accompli si le tiers avait connaissance du détournement ou ne pouvait l’ignorer ».
Le principe s’impose logiquement au regard du principe de licéité du dommage concurrentiel. Sur celui-ci, v. par ex. : Mainguy D., Depincé M., Droit de la concurrence, 2e éd., 2015, Lexis-Nexis, n° 30.
Picod Y., Auguet Y., Dorandeu N., « Concurrence déloyale », n° 77, Rép. com., Dalloz (mise à jour avr. 2016).
Le Tourneau P., « La verdeur de la faute dans la responsabilité civile (ou de la relativité de son déclin) », RTD civ. 1988, p. 505.
Trébulle F.-G., « Le contrôle de proportionnalité de la clause de non-concurrence contenue dans un acte de cession de droits sociaux », Dr. sociétés 2003, chron. 6.
Andjechairi-Tribillac S., « La menace concurrentielle d’un dirigeant démissionnaire de ses fonctions sociales », Dr. sociétés 2015, alerte 48.
Pour une affirmation récente de ce principe, v. par ex. : Schiller S., « Les fautes des dirigeants sociaux », in Mélanges Michel Germain, 2015, Lexis-Nexis, p. 758, n° 9.
Cass. com., 10 juill. 2012, n° 11-20668, D : Rev. sociétés 2013, p. 219, note Roussille M. ; BJS janv. 2013, n° 3, p. 31, note Barbiéri J.-F.
Cass. com., 17 mars 2015, n° 14-11463, D : Rev. sociétés 2015, p. 370, note Prévost S.
V. Coquelet M.-L., « Concurrence déloyale et obligation de loyauté de l’ancien dirigeant », Rev. sociétés 1998, p. 546. Pour un arrêt antérieur déjà en ce sens, v. not., Cass. com., 7 juin 1994, n° 92-13935, D.
Cass. com., 12 févr. 2002, n° 00-11602 : Bull. civ. IV, n° 32 ; BJS mai 2002, n° 137, p. 617, note Saintourens B. ; JCP E 2002, 851, obs. Viandier A., Caussain J.-J. ; Dr. sociétés 2002, comm. 8-9, note Bonneau T.
CA Paris, 18 févr. 2015, n° 14/11981 : AJCA 2015, p. 226, note Constantin A.
En ce sens, v. Godon L., « L’obligation de non-concurrence des dirigeants sociaux », BJS janv. 1999, n° 1, p. 5.
Cass. com., 6 juin 2001, n° 98-16390, D : Contrats, conc. consom. 2001, p. 14, note Malaurie-Vignal M.
En ce sens, v. not., CA Paris, 18 févr. 2015, n° 14/11981 : Constantin A., « Création d’une société concurrente par son gérant : manquement au devoir de loyauté », AJCA 2015, p. 226.
V. not., CA Paris, 18 févr. 2015, n° 14/11981 ; Cass. com., 15 nov. 2011, n° 10-15049 ; Cass. com., 12 févr. 2002, n° 00-11602.
Picod Y., Auguet Y., Dorandeu N., « Concurrence déloyale », n° 77, Rép. com., Dalloz (mise à jour avr. 2016).
V. par ex. : Cass. com., 2 déc. 2008, n° 07-19861, D.
Mainguy D., Depincé M., Droit de la concurrence, 2e éd., 2015, Lexis-Nexis, n° 123.
Boutard-Labarde M.-C. et Canivet G., Droit français de la concurrence, 1994, LGDJ, p. 2.
Pollaud-Dulian F., « De quelques avatars de l’action en responsabilité civile dans le droit des affaires », RTD com. 1997, p. 349.
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