Les rapports entre accords de branche et d'entreprise : « renforcement de la négociation collective » ou renforcement du pouvoir patronal ?
Sans doute l’ordonnance « relative au renforcement de la négociation collective »1 est la plus mal nommée des cinq ordonnances adoptées le 22 septembre 2017. Un tel intitulé paraît en effet annoncer la définition d’un régime favorisant les conditions d’une négociation équilibrée entre les acteurs, en particulier au niveau de l’entreprise. À la lecture de ce texte, on s’aperçoit cependant qu’il n’en est rien. Les toutes premières dispositions concernent les rapports entre les accords collectifs de champs d’application différents, parmi lesquels la branche et l’entreprise. Trois dispositions ont déjà été remarquées : les articles L. 2253-1, L. 2253-2 et L. 2253-3 du Code du travail2. D’emblée, ces textes procèdent au renforcement de l’accord d’entreprise dans ses rapports avec l’accord de branche. La puissance de l’accord d’entreprise atteint un niveau inégalé jusqu’ici : le principe de primauté sur l’accord de branche est désormais clairement posé3 et les exceptions sont soigneusement circonscrites4.
Mais ce renforcement de l’accord ne correspond pas, à lire cette ordonnance, à un renforcement corrélatif de sa négociation. C’est même tout l’inverse. En augmentant la puissance de l’accord[...]
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Ord. n° 2017-1385, 22 sept. 2017, relative au renforcement de la négociation collective : JO 23 sept. 2017.
V. not. Nicod C., « Conventions de branche et d’entreprise : une nouvelle partition », RDT 2017, p. 657 ; Lokiec P., « Vers un nouveau droit du travail ? », D. 2017, p. 2109.
C. trav., art. L. 2232-12, al. 2 et C. trav., art. L. 2232-21 à L. 2232-23.
C. trav., art. L. 2253-3 : « Dans les matières autres que celles mentionnées aux articles L. 2253-1 et L. 2253-2, les stipulations de la convention d’entreprise conclue antérieurement ou postérieurement à la date d’entrée en vigueur de la convention de branche prévalent sur celles ayant le même objet prévues par la convention de branche. En l’absence d’accord d'entreprise, la convention de branche s’applique. »
Les salaires minima ; les classifications ; les garanties collectives complémentaires au sens de l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale ; l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ; les mesures de prévention de la pénibilité au travail et la mutualisation des fonds de la formation professionnelle.
Leur durée, les conditions de leur renouvellement ainsi que les délais de carence entre chaque contrat.
L. n° 2016-1088, 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
Certains thèmes figurent parfois dans cette liste afin de permettre à l’accord d’entreprise de dépasser des limites légales. Il en est ainsi, par exemple, de la modulation (C. trav., art. L. 3121-44, 1°).
La pratique contemporaine des négociateurs de branches consiste notamment à intégrer certaines primes au sein des minima conventionnels afin qu’elles soient, ipso jure, sanctuarisées. Tel est le cas dans l’accord relatif aux transports routiers conclu le 4 octobre 2017.
V. Kerbouc’h J.-Y, « Les clauses d’interdiction de déroger par accord d’entreprise à une convention plus large », Dr. soc. 2008, p. 834.
La prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels ; l’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés ; les règles relatives à la désignation, au nombre et à la carrière des délégués syndicaux ainsi que les primes pour travaux dangereux et insalubres.
Sauf si les négociateurs au niveau de la branche « confirment », d’ici au 1er janvier 2019, la force qu’avait l’accord de branche sur ses différents thèmes au titre de l’application du droit antérieur. Ils assureraient alors la survie du principe de faveur pour les quatre thèmes de l’article L. 2253-2.
V. par ex. l’accord conclu au sein de la société Sogerma et la saga judiciaire qui a suivi, pour conclure à sa validité : CA Bordeaux, 11 déc. 2007, n° 08/12218 : RDT 2008, p. 184, note Canut F. ; Cass. soc., 9 févr. 2010, n° 08-12218, inédit.
Il en est ainsi, par exemple, de la possibilité de baisser le montant d’une indemnité de fin de contrat à durée déterminée (indemnité de précarité) à 6 % du montant des rémunérations perçues (au lieu de 10 %), en échange d’actions de formation professionnelle menées au bénéfice des salariés concernés (C. trav., art. L. 1243-8).
Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective : JO n° 0223, 23 sept. 2017.
V. Nicod C., « Conventions de branche et d’entreprise : une nouvelle partition », art. préc., p. 660.
En revanche, cette comparaison « par domaine » ne devrait avoir lieu qu’entre les dispositions relatives aux thèmes énoncés par les articles L. 2253-1 et L. 2253-2 du Code du travail. Pour toutes les dispositions qui n’en relèveraient pas, les primes ou les congés payés par exemple, c’est encore une comparaison entre les seuls « avantages ayant la même cause ou le même objet » qui devrait être à l’œuvre. Ceci permettrait, comme aujourd’hui, aux « avantages » ayant des finalités différentes de se cumuler même s’ils interviennent sur un même « domaine » (comme une prime d’ancienneté et une prime d’assiduité par exemple). Nous ne voyons, en effet, aucune raison de revenir purement et simplement sur cette solution jurisprudentielle, ancienne et bien établie (Cass. ass. plén., 18 mars 1988 : Bull. AP n° 3 ; GADT n° 179).
Ces renoncements peuvent prendre la forme d’une baisse de rémunération ou d’une augmentation du temps de travail sans augmentation de la rémunération. V. par ex. l’ancien « accord de maintien de l’emploi » et les effets qu’il pouvait produire : Adam P., « Le “prodigieux” accord de maintien de l’emploi. Escapade en pays de Rouffach », SSL, n° 1611, 23 déc. 2013.
Cet accord peut être conclu « afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi » (C. trav., art. L. 2254-2-1).
Par ex. sur la qualification de travailleur de nuit (C. trav., art. L. 3122-16), la définition de la durée minimale hebdomadaire des salariés à temps partiel (C. trav., art. L. 3123-19) ou, encore, le taux de majoration des heures complémentaires (C. trav., art. L. 3123-21).
V. not. Fabre A., « Que reste-t-il du droit du licenciement économique ? », SSL, n° 1784, 28 sept. 2017.
C. trav., art. L. 2232-12, al. 2.
La validité d’un accord d’entreprise dépend en principe de sa signature par des syndicats représentatifs ayant obtenu la majorité des suffrages exprimés au dernières élections professionnelles « en faveur des organisations syndicales représentatives » (C. trav., art. L. 2232-12).
Et ce, dans le délai d’un mois suivant leur signature.
Prenons un exemple très simple : sur 100 suffrages valablement exprimés aux dernières élections organisées dans une entreprise, les organisations syndicales représentatives ont obtenu, en tout, 70 voix. Ainsi, la signature d’un accord, puis l’inertie d’un syndicat représentatif n’ayant obtenu que 21 voix (30 % de 70) permettent à l’employeur de soumettre l’accord à référendum.
Conv. OIT, 1er juill. 1949, n° 98, sur le droit d’organisation et de négociation collective. V. Morin M.-L., « Derrière le “pragmatisme” des ordonnances, la perversion des droits fondamentaux », Droit ouvrier 2017, p. 590.
Tel est le cas de son article 24 : CE, 10 févr. 2014, n° 358992, Fischer : Dr. soc. 2014, p. 474, obs. Mouly J.
« Favoriser la consultation paritaire entre travailleurs et employeurs ; promouvoir, lorsque cela est nécessaire et utile, l’institution de procédures de négociation volontaire entre les employeurs ou les organisations d’employeurs, d’une part, et les organisations de travailleurs, d’autre part, en vue de régler les conditions d’emploi par les conventions collectives ; à favoriser l’institution et l’utilisation de procédures appropriées de conciliation et d’arbitrage volontaire pour le règlement des conflits du travail ».
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Plan
- 1Le nouveau droit des accords collectifs de travail
- 1.1Référendum, syndicats, élus : quelques réflexions autour du concept de « démocratie sociale »
- 1.2Les rapports entre accords de branche et d’entreprise : « renforcement de la négociation collective » ou renforcement du pouvoir patronal ?
- 1.3Les contours de la pré-justification conventionnelle du motif de licenciement
- 1.4Observations sur les nouvelles règles de contestation d’un accord collectif