La transmission d'un actif social à l'épreuve du droit de préemption urbain
La pratique du notaire en matière de purge du droit de préemption urbain a été mise à mal par la récente réforme de l’article L. 213-1 du Code de l’urbanisme par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, dite loi ALUR. En trouvant de nouveaux réflexes, le praticien devra être particulièrement vigilant pour certaines opérations et montages sociaux qui peuvent être appréhendés par le droit de préemption urbain (DPU).
Cette étude tend à démontrer que les critères posés pour exclure, ou au contraire soumettre ces opérations au DPU, ne sont pas encore clairs et que la vigilance est de mise lors d’opérations de restructuration ou de dissolution de sociétés.
« L’art d’être tantôt très audacieux et tantôt très prudent est l’art de réussir »1. Si[...]
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Phrase attribuée à Napoléon Bonaparte.
« Opération translative par laquelle celui qui aliène transmet volontairement à autrui la propriété d’une chose (ou d’un droit) soit à titre onéreux, soit à titre gratuit, soit entre vifs, soit à cause de mort, soit à titre particulier, soit à titre universel ». V. : G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, PUF Quadrige, 2011, Paris, 9e éd., p. 54. Ici le texte ne vise expressément que les aliénations à titre onéreux.
L. n° 2014-366, 24 mars 2014, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové : JO 26 mars 2014, p. 5809 ; Defrénois flash 7 avr. 2014, p. 1, n° 122n8. Puis est intervenue à la marge l’ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014 relative à la partie législative du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique : JO 11 nov. 2014, p. 19003 ; Defrénois flash 24 nov. 2014, p. 5, n° 126c2.
R. Noguellou, « La loi ALUR et l’offre foncière » : AJDA 2014, n° 19, p. 1096 ; « À l’origine seule la cession de la totalité des parts de SCI pouvait donner lieu à préemption, puis, à la suite de la loi MOLLE du 25 mars 2009, les communes pouvaient, dans le cadre du DPU renforcé décider de préempter (…). La loi ALUR va plus loin : elle supprime la condition relative à l’institution d’un DPU renforcé – si bien que les dispositions relatives aux SCI s’appliquent dès que le DPU est institué ».
La fusion se définit comme « la réunion de deux ou plusieurs sociétés de telle manière qu’il n’en subsiste plus qu’une seule » : J. Hémard, F. Terré, P. Mabillat, Sociétés commerciales – Tome III, Dalloz, 1978, Paris, spéc. § 772.
La scission se définit comme « l’éclatement d’une société entraînant la disparition de celle-ci par transmission de la totalité de son patrimoine social, activement et passivement, à deux ou plusieurs sociétés » : Ibid, § 782.
Une circulaire n° 76-91 du 15 juillet 1976 relative aux zones d’intervention foncière avait d’abord admis que les transferts par voie de fusion de sociétés entraient dans le champ d’application du DPU. V. X. Jaspar et N. Métais, « Les limites à la transmission universelle du patrimoine : les contrats intuitu personae et les contraintes afférentes à certains biens » : BJS mai 1998, p. 448, n° 5.
Cass. 3e civ., 3 mai 1979 : Loyers 1979, p. 360. Cité par S. Pérignon, « Le domaine du droit de préemption urbain » : AJDI 1998, n° 1, p. 5.
Rép. min. n° 2766 : JO Sénat Q 3 août 1989, p. 1186 ; Defrénois 1990, p. 382, n° 37455.
Rép. min. n° 899 : JO Sénat Q 6 janv. 1994, p. 33.
On reprochera à cette vision de dénaturer l’opération même de fusion. À cet effet, la doctrine a affirmé depuis longtemps que « la société absorbante n’acquiert pas les actions de la société absorbée : ces actions disparaissent avec la société absorbée ». P. Le Cannu, B. Dondero, Droit des sociétés, LGDJ, 2015, Paris, 3e éd., p. 1025.
Rép. min. n° 3776 : JO Sénat Q 17 mars 1994, p. 601 ; « le droit de préemption n’a à s’exercer ni lorsque les sociétés transmettent leur patrimoine par voie de fusion ou de scission à une ou plusieurs sociétés existantes (…) ; cette position a d’ailleurs été confirmée (…) par un arrêt de la Cour de cassation AFTRP c/ Poliet et Chausson en date du 3 mai 1979 ».
Rép. min. n° 26363 : JO AN Q 20 janv. 2004, p. 507 ; Defrénois 30 avr. 2005, p. 741, n° 38152.
On pense ici au cas de la société de placement à prépondérance immobilière à capital variable, qui prend la forme d’une société anonyme, et dont le régime est fixé aux articles L. 214-62 et suivants du Code monétaire et financier.
Y. Brochen et L. Dejoie, « Droit de préemption urbain et fusions de sociétés (à propos d’une réponse ministérielle récente) » : JCP N 1993, 2804.
Le terme accessoire semble peu approprié en ce qu’il exige un principal, difficile ici à caractériser. Il convient mieux en terme d’objet de l’obligation.
Il en est de même dans le cas d’une opération de scission aboutissant à la division du patrimoine de la société scindée au profit de deux ou plusieurs bénéficiaires et par laquelle une des sociétés bénéficiaires ne recevrait que l’immeuble.
V. J. Hémard, F. Terré et P. Mabillat, op. cit. note 5, § 789.
Cass. com., 16 févr. 1988, n° 86-19645 : Bull. civ. IV, n° 69 : BJS mars 1988, p. 271, n° 3 ; JCP E 1988, I, 15177, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain ; RTD com. 1988, p. 639, obs. Y. Reinhard.
V. aussi P. Le Cannu et B. Dondero, op. cit. note 11, p. 1051.
Pour une explication de la qualification de société relevant du terme « société civile immobilière » : W. Altide et D. Dutrieux, « “Alur”, parts de SCI et droit de préemption urbain » : JCP N 2014, 1302. Les auteurs relèvent qu’il ne s’agit d’une qualification aucunement textuelle mais contextuelle, notamment en droit fiscal.
Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus : là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer.
W. Altide et D. Dutrieux, op. cit. note 21.
D. Braye, Rapp. n° 81, fait au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan sur le projet de loi portant engagement national pour le logement, 15 nov. 2005. [En ligne] http://www.senat.fr/rap/l05-081/l05-0811.pdf.
Le cas de l’apport de titres autres que de SCI ne peut clairement pas être soumis au droit de préemption, les textes ne faisant référence qu’à cette forme de société.
Certes rémunéré par des parts mais il s’agit ici de la modalité de l’exécution de l’obligation.
Cass. com., 21 janv. 1970, n° 68-11085 : Bull. civ. IV, n° 28 ; JCP 1970, II, 16541, note B. Oppetit. Cité par P. Mousseron, « Cession de contrôle » : Rép. sociétés, spéc. § 38 : « Il a ainsi été jugé que la clause d’agrément qui vise toutes cession d’actions à titre onéreux ou gratuit doit recevoir application en cas d’apport (…) » lorsque celle-ci est légale, ce qui n’est pas le cas quand cette dernière est statutaire.
Cass. com., 15 déc. 2009, n° 08-21037 : Bull. civ. IV, n° 173 ; D. 2010, AJ p. 148, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2010, p. 140, obs. C. Champaud et D. Danet ; Rev. sociétés 2010, p. 291, note H. Le Nabasque ; Banque et droit janv. 2010, p. 52, obs. M. Storck ; Dr. sociétés 2010, comm. n° 64, note M.-L. Coquelet ; RJDA n° 04/10, n° 377 ; BJS mai 2010, p. 486, n° 5, note D. Poracchia.
C’est ici le cas d’une société A détentrice de 40 % des titres d’une SCI qui apporte à une société B, déjà détentrice de 20 % de parts de ladite SCI, tous ses titres. La société B, par cet apport, détiendra la majorité des titres de la SCI.
Peu importe ici quelle société est à l’origine ou bénéficiaire de l’apport, c’est l’objet de cet apport qui est appréhendé par le texte.
On rappellera aussi qu’il s’agit d’une cession de parts de société constituée d’une unité foncière, et qu’en admettant que l’apport est une cession, encore faut-il que cet apport soit celui de parts d’une SCI formée d’une seule unité foncière. V. en cela W. Altide et D. Dutrieux, op. cit. note 21.
TA Cergy-Pontoise, 10 avr. 2008, n° 0708561 : Defrénois 30 oct. 2008, p. 2314, n° 38861-5, obs. J.-P. Meng ; AJDA 2008, p. 1791.
L’attendu indique en effet que les scissions échappant au DPU, il en va de même pour l’APA sous les conditions étudiées, manière maladroite de dire en réalité que l’APA doit être soumis au régime des fusions/scissions pour entraîner TUP et que cette soumission se fait à certaines conditions.
J.-P. Meng, « Un apport partiel d’actif n’ouvre pas droit au DPU » : BJS janv. 2009, p. 36, n° 1.
P. Le Cannu et B. Dondero, op. cit. note 11, p. 1053, n° 1648.
CJCE, 13 déc. 1991, n° C-164/90 : BJS févr. 1992, p. 197, n° 2, note P. Derouin.
P. Le Cannu et B. Dondero, op. cit. note 11, p. 403.
S. Pérignon, op. cit. note 8 ; P. Le Cannu et B. Dondero, op. cit. note 11, n° 612 : « Le partage est le but de la liquidation des sociétés comptant au moins deux associés (C. civ., art. 1832, al. 1) ».
Cet oubli vient-il de la volonté du législateur de codifier une jurisprudence bien établie, depuis un arrêt du Conseil d’État en date du 6 octobre 1995 (cne de Maisonsgoutte c/ SA Sogestim), rendue alors que la procédure de sauvegarde n’existait pas encore ?
V., pour le principe général, l’alinéa 1er de l’article 1832 du Code civil et les articles L. 225-1 du Code de commerce pour les sociétés anonymes et L. 221-1 pour les sociétés en nom collectif.
P. Le Cannu et B. Dondero, op. cit. note 11, p. 388.
Rép. min. n° 26363 préc., note 13.
L. n° 2001-420, 15 mai 2011, relative aux nouvelles régulations économiques : JO 16 mai 2001, p. 7776.
P. Le Cannu et B. Dondero, op. cit. note 11, p. 397.
V. par exemple : L. n° 78-22, 10 janv. 1978, relative à l’information et à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit : JO 11 janv. 1978, p. 299 ; L. n° 89-1010, 31 déc. 1989, relative à la prévention et du règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles : JO 2 janv. 1990, p. 18.
Selon le Dictionnaire de l’académie française, le partage est « le fait de diviser quelque chose en plusieurs parts distinctes qu’on attribue à différentes personnes ».
Il convient toutefois d’attirer l’attention sur les risques de l’assimilation entre personnes physiques et personnes morales. V., sur l’inadaptation de cette assimilation pour l’expiration de l’usufruit : H. Hovasse, « Le sort de l’usufruit constitué au profit d’une société lors de sa dissolution » : JCP N 2009, 1059 ; R. Mortier, « L’usufruit dont est titulaire une société dissoute s’éteint-il ou lui survit-il ? » : JCP N 2013, 1214. V. aussi H. Le Nabasque, « Le sort de l’usufruit en cas de fusion », in Mélanges en l’honneur du Professeur Michel Germain, LexisNexis – LGDJ Lextenso éditions, 2015, Paris, p. 437 et s., spéc. § 11 et s.
L’article L. 213-1 du Code de l’urbanisme ne vise que l’aliénation à titre onéreux, ce qui pouvait faire dire avant la loi ALUR que toutes les aliénations à titre gratuit n’étaient pas soumises. La loi ALUR a désormais introduit la possibilité de purger dans certains cas le DPU en cas de donation, aliénation à titre gratuit (article L. 213-1-1 du même code), tendant encore à renforcer l’idée selon laquelle les cas de dévolutions des personnes physiques ou morales sont toujours exemptés, en ce que l’objet premier de l’obligation est la transmission d’une universalité juridique et non une transmission d’un bien.
Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-12601 : Bull. civ. IV, n° 62 ; D. 2009, AJ p. 1415.
M.-L. Coquelet, « Effets de la dissolution-liquidation d’une société unipersonnelle dont l’associé unique est une personne physique » : Dr. sociétés 2009, comm. n° 131.
Ibid : « L’exclusion du jeu de la transmission universelle de patrimoine ne vaut que s’agissant du mode liquidatif de la société unipersonnelle. (…) [C]e qui conduit à conclure que l’appréhension du patrimoine de la société par l’associé unique/personne physique est, en vertu de l’article 1844-5, al. 4, simplement reportée dans le temps ».
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