Les pouvoirs du juge du divorce en matière de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des époux après l'ordonnance du 15 octobre 2015
L’ordonnance du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille renforce les pouvoirs du juge du divorce en matière de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des époux. Attendue, cette réforme suscite de nombreuses interrogations pratiques.
1. L’habilitation. L’ordonnance du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille1 lève les incertitudes existantes quant aux pouvoirs du juge du divorce en matière de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des époux. Elle entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2016 et s’appliquera y compris aux instances en cours. Elle a été adoptée sur le fondement de la loi d’habilitation du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit2. Dans son article 3, celle-ci autorisait le Gouvernement « à prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour : 1° Articuler, en cas de divorce, l’intervention du juge aux affaires familiales et la procédure de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des époux, en renforçant les pouvoirs liquidatifs du juge saisi d’une demande en divorce pour lui permettre, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la liquidation[...]
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Ord n° 2015-1288, 15 oct. 2015.
L. n° 2015-177, 16 févr. 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures JO 17 févr. 2015, p. 2961.
C. civ., art. 267, al. 4.
Cass. 1re civ., 20 mars 2013, n° 11-27845 : Bull. civ. I, n° 47 ; D. 2013, p. 1451, note S. Le Gac-Pech ; AJ famille 2013, p. 388, obs. A. Boiché.
Sur ce point, le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille affirme qu’« un règlement des conséquences patrimoniales de la séparation, dès la phase de divorce n’est ainsi ni totalement écarté ni au contraire systématiquement imposé, mais il est favorisé par rapport à l’état actuel du droit, par le moyen d’une procédure alternative soumise à certaines conditions ».
L’étude d’impact évoquait trois pistes : renvoi clair au droit commun du partage, procédure spécifique à la liquidation partage des intérêts patrimoniaux des époux, renvoi à la procédure de partage successoral avec des adaptations (projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, 26 nov. 2013, p. 62 et 63).
AN, 18 févr. 2014, amendement n° CL51. Cet amendement a été déposé par le Gouvernement, en réaction à la version votée par le Sénat jugée insuffisante (était prévue la possibilité pour le juge de désigner un notaire), qui partageait le souhait de renforcer les pouvoirs du juge du divorce en lui permettant de régler les intérêts patrimoniaux des époux et en ne lui octroyant pas seulement la possibilité de désigner un notaire. Le projet de loi se contentait initialement de prévoir une articulation entre divorce et liquidation partage.
C’est seulement le cas concernant l’habilitation familiale : article 10 de l’ordonnance commentée. Un projet de décret était annoncé au cours des travaux parlementaires : C. Untermaier, Compte rendu des débats AN, 15 avr. 2014, p. 26.
Il n’en avait toutefois pas la compétence juridictionnelle. L’article 267-1 du Code civil introduit par la loi du 26 mai 2004 et abrogé par la loi du 12 mai 2009 instaurait certes un continuum entre l’instance en divorce et la phase de liquidation et de partage du régime matrimonial mais le tribunal de grande instance était compétent.
En raison du renvoi de l’article 267-1 ancien du Code civil (« Les opérations de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des époux se déroulent suivant les règles fixées par le Code de procédure civile ») à l’article 1136-2 du Code de procédure civile, qui renvoie lui-même aux règles du partage successoral (« Les dispositions de la section VI, du chapitre II, du titre III, du livre III sont, sous réserve des dispositions de l’article 267 du Code civil, applicables au partage des intérêts patrimoniaux des époux, des personnes liées par un pacte civil de solidarité et des concubins »).
Des chartes professionnelles établies entre avocats, magistrats et notaires reprenaient cette interprétation, elles devront être adaptées aux solutions issues de l’ordonnance du 15 octobre 2015 : V. E. Buat-Ménard, « De l’utilité des chartes en matière de liquidation partage des intérêts patrimoniaux des époux » : AJ famille 2013, p. 78 et les réf. citées.
Circ. garde des Sceaux n° CIV/10/10, 16 juin 2010.
Cass. 1re civ., 7 nov. 2012, n° 11-10449 : Bull. civ. I, n° 230 ; D. 2013, p. 798, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ famille 2013, p. 55, obs. P. Hilt ; AJ famille 2013, p. 57, obs. E. Buat-Ménard ; RTD civ. 2013, p. 96, obs. J. Hauser ; Dr. Famille 2012, n° 179, obs. V. Larribau-Terneyre.
Cass. 1re civ., 12 avr. 2012, n° 11-20195, D : D. 2012, p. 2011, note C. Brenner ; AJ famille 2012, p. 403, obs. S. David ; AJ famille 2012, p. 607, note E. Buat-Ménard ; RTD civ. 2012, p. 519, obs. J. Hauser ; JCP N 2012, 1302, note J. Combret et N. Baillon-Wirtz ; Gaz. Pal. 23 juin 2012, p. 7, n° 50166, obs. J. Casey – Cass. 1re civ., 11 sept. 2013, n° 12-18512 : Bull. civ. I, n° 164 ; D. 2014, p. 689, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ famille 2013, p. 585, obs. P. Hilt.
Sur ces arguments, V. par ex. P. Hilt, note sous Cass. 1re civ., 7 nov. 2012, préc.
Sur tous ces éléments et la controverse, V. en particulier les notes de C. Brenner et de J. Casey sous Cass. 1re civ., 12 avr. 2012, préc.
Cette réserve est reprise par le premier alinéa de l’article 267 du Code civil. Les époux peuvent conclure une convention pour la liquidation et le partage de leur régime matrimonial pendant l’instance en divorce (C. civ., art. 265-2), à ce stade, l’immutabilité du régime matrimonial ne s’y oppose plus. Ils devront la soumettre à l’homologation du juge (C. civ., art. 268) qui sera donc amené à la contrôler. Sur le report des effets de ces conventions : v. C. civ., art. 1451.
Sur la notion d’« intérêts patrimoniaux des époux », v. par ex. E. Buat-Ménard, « La compétence liquidative en cas de séparation du couple » : AJ famille 2015, p. 458.
Cass. 1re civ., 26 oct. 2011, n° 10-24214 : Procédures 2012, comm. 4, note R. Perrot ; JCP G 2012, 690, n° 17, obs. L. Cadiet ; RTD civ. 2012, p. 102, n° 21, obs. J. Hauser – Adde, F. Dupuis, « Le juge, le notaire et le déni de justice » : Dr. famille mai 2015, étude 9.
Sur la mise en œuvre des opérations de partage, V. par ex. : S. David, « Le partage judiciaire » : AJ famille 2013, p. 94.
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