Rupture de crédit à une entreprise : le respect du formalisme légal ne suffit pas forcément
En présence d’une banque se trouvant en situation de conflit d’intérêts à raison d’un litige opposant deux de ses clients, une dénonciation du concours bancaire ouvert jusqu’alors au plus faible des deux peut apparaître à la vue des circonstances et d’un document interne à la banque frauduleux « car visant clairement à priver la SARL X. de ses facilités de caisse, sans faute de sa part, et ainsi amoindrir ses capacités de résister au projet de la SARL Y. à laquelle elle s’opposait ». En conséquence, la dénonciation du concours bancaire en question est annulée pour fraude.
TI, 10 juin 2016, n° 11-15-001132/3C
1. De nombreux crédits sont consentis à durée indéterminée. Songeons, notamment, aux autorisations de découverts précédées ou accompagnées d’une ouverture de crédit, pour lesquelles n’est généralement pas mentionnée d’échéance particulière.
2. Cette situation devrait dès lors présenter des incidences en matière de rupture du contrat par les cocontractants. En effet, il est de règle que les contrats à durée indéterminée peuvent être librement résiliés par chacune des parties1, du moment qu’est respecté un délai de préavis d’une durée raisonnable2. Ce délai doit ainsi permettre à son bénéficiaire de prendre ses dispositions dans la perspective de la fin annoncée du contrat3. Cette règle est aujourd’hui expressément mentionnée à l’article 1211 du[...]
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Simler P., « L’article 1134 du Code civil et la résiliation unilatérale des contrats à durée indéterminée », JCP G 1971, I, 2413.
V. par ex. Cass. com., 5 déc. 1984, n° 83-14273 : Bull. civ. IV, n° 332 – Cass. 1re civ., 5 févr. 1985, n° 83-15895 : Bull. civ. I, n° 54 – Cass. com., 5 avr. 1994, n° 92-17278 : Bull. civ. IV, n° 149 ; RTD civ. 1994, p. 604, obs. Mestre J. – Cass. 1re civ., 14 nov. 2012, n° 11-25900 – Cass. 1re civ., 11 mars 2014, n° 12-29876 : RDC 2014, p. 355, note Laithier Y.-M.
Fabre-Magnan M., Droit des obligations, t. 1, Contrat et engagement unilatéral, 3e éd., 2012, PUF, p. 601 ; Terré F., Simler P. et Lequette Y., Les obligations, 11e éd., 2013, Dalloz, n° 481-2.
Lasserre Capdeville J., « Le droit de rompre un crédit octroyé à une entreprise. Analyse contemporaine de l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier » : in Mélanges AEDBF, t. VI, 2013, RB éd., p. 313 et s. ; D. Legeais, « La loi bancaire et l’évolution du crédit aux entreprises » : Banque et droit 2014, n° spécial, 30 ans de loi bancaire, p. 82 et s.
Il découle de cette précision que les facilités de caisse, qui sont ponctuelles, ne rentrent pas dans le champ d’application de l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier. Le banquier peut donc rompre ce crédit sans avoir à respecter le formalisme prévu à l’article L. 313-12 du code, Cass. com., 30 juin 1992, n° 90-18639 : Bull. civ. IV, n° 251 – Cass. com., 11 juill. 2006, n° 04-18810 : Bull. civ. IV , n° 170 ; Banque et droit 2006, n° 110, p. 25, obs. Bonneau T. – Cass. com., 19 juin 2007, n° 06-11065 : RD bancaire et fin. 2007, comm. 212, obs. Crédot F.-J. et Samin T. – Cass. com., 27 janv. 2015, n° 13-26475 : LEDB mars 2015, p. 7, n° 047, obs. J. Lasserre Capdeville. – Cass. com., 22 sept. 2015, n° 14-17023 : LEDB nov. 2015, n° 167, p. 5, obs. Lasserre Capdeville J.
Depuis la loi du 19 octobre 2009, si l’entreprise concernée lui en fait la demande, l’établissement de crédit doit lui fournir les raisons de cette réduction ou interruption. Le banquier qui ne répond pas à l’emprunteur peut alors voir sa responsabilité civile engagée, CA Limoges, 9 oct. 2014, n° 13/01387 : LEDB déc. 2014, n° 164, p. 6, obs. Routier R.
Cass. com., 22 mai 2002, n° 00-16561 : Banque et droit 2002, n° 86, p. 54, obs. Bonneau T. – Cass. com., 2 mars 2010, n° 09-10435.
Cass. com., 18 mai 1993, n° 91-17675 : Bull. civ. IV, n° 189 ; RTD com. 1993, p. 552, obs. Cabrillac M. et Teyssié B. ; Banque 1993, p. 100, obs. Guillot J.-L.
Cass. com., 19 févr. 1991, n° 89-14825 : D. 1992, somm. p. 27, obs. Vasseur M. ; RTD com. 1991, p. 421, obs. Cabrillac M. et Teyssié B. – Cass. com., 18 mars 2014, n° 12-29583 : LEDB mai 2014, n° 023, p. 3, obs. Routier R. ; Gaz. Pal. 14 mai 2014, n° 176q9, p. 14, note Lasserre Capdeville J. ; RD bancaire et fin. 2014, comm. 127, obs. Crédot F.-J. et Samin T.
Ce délai est jugé suffisant dans toutes les circonstances, Cass. com., 14 janv. 2014, n° 12-29682 : LEDB mars 2014, n° 023, p. 4, obs. Routier R. ; LPA 21 oct. 2014, p. 4, obs. Gérard Y. ; Gaz. Pal. 13 mars 2014, n° 169z1, p. 8, note Lasserre Capdeville J.
Les magistrats ont eu l’occasion de caractériser ce cas de figure dans des circonstances bien distinctes. Il en a été ainsi, par exemple, avec la remise de bordereaux de cession de créances professionnelles éteintes (CA Aix-en-Provence, 14 déc. 1990: Banque 1991, p. 657, obs. Rives-Lange J.-L.), la remise de chèque de complaisance (Cass. com., 8 mars 2005, n° 02-20348 : D. 2005, AJ p. 450, obs. Avena-Robardet V. ; RTD com. 2005, p. 571, obs. Cabrillac M.) ou encore de production d’un compte de résultat non-sincère (Cass. com., 20 juin 2006, n° 04-16238 : Bull. civ. IV, n° 148 ; RTD com. 2006, p. 891, obs. Legeais D. ; Banque et droit 2006, n° 110, p. 24, obs. Bonneau T.).
Cette situation implique l’impossibilité d’un rétablissement de l’entreprise au moyen d’un plan de redressement sérieux. Elle ne saurait donc être assimilée à la simple cessation des paiements, c’est-à-dire l’état du débiteur dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, Cass. com., 31 mars 2004, n° 02-16437 : Bull. civ. IV, n° 64 ; Banque et droit 2004, n° 96, p. 50, obs. Bonneau T.
Cass. com., 14 juin 2016, n° 14-17121 : LEDB sept. 2016, n° 131, p. 5, obs. Mathey N.
Cornu G., Vocabulaire juridique, 7e éd., 2005, PUF, p. 6.
Trib. civ. Strasbourg, 10 juin 2016, n° 11-15-001132/3C. Notons que la décision a fait l'objet d'un article dans la presse satirique alsacienne : Heb'di juill. 2016.
C. mon. fin., art. L. 313-12, in fine.
Lasserre Capdeville J., « Le droit de rompre un crédit octroyé à une entreprise : analyse contemporaine de l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier » : in Mélanges AEDBF t. VI, n° 68.
Cass. 1re civ., 13 févr. 2007, n° 05-18097 : Bull. civ. I, n° 57. – Cass. 1re civ., 24 avr. 2013, n° 11-27082 : Bull. civ. I, n° 84.
V. par ex. Cass. com., 15 avr. 2006, n° 05-12734 – Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, n° 07-20717 : Bull. civ. II, n° 256.
C. civ., art. 1182, al. 3.
V. égal. pour un manquement à un devoir de loyauté pour un établissement ayant agi de manière brutale et contraire à la rationalité économie, CA Paris, 4 mars 2003, n° 2001/19709 – Pour une résiliation intervenant sans intérêt légitime alors que le débiteur pouvait compter sur un concours d’un minimum de durée, par exemple en raison d’une restructuration en cours, CA Paris, 18 déc. 2001, nos 2000/01240 et 2000/19528 : RD bancaire et fin. 2002, p. 122, obs. Crédot F.-J. et Gérard Y. – Enfin, concernant, comme dans notre affaire, un abus de droit de l’établissement de crédit en l’absence de justes motifs de résiliation du crédit, T. com. Paris, 30 sept. 2002 : Banque et droit 2004, n° 95, p. 56, obs. Guillot J.-L.
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