Réserves de propriété en crédit à la consommation : à consommer avec modération
Dans un contrat de crédit, sont considérées comme abusives les clauses qui prévoient la subrogation par acte sous-seing privé du prêteur dans la réserve de propriété du vendeur ; ménagent au prêteur la faculté de renoncer à la réserve de propriété grevant le bien financé afin d’y substituer, à son seul gré, pendant l’exécution du contrat de crédit, un gage portant sur le même bien ; et mettent en jeu la réserve de propriété.
Cass., avis, 28 nov. 2016, n° 16-70009
Le 28 novembre 2016, la Cour de cassation a rendu un avis1 à la demande du tribunal d’instance de Villefranche-sur-Saône portant sur la légalité de certaines formes de sûretés réelles en droit du crédit à la consommation. Dans un contrat de crédit accessoire à la vente d’un véhicule automobile, le tribunal avait identifié trois clauses qui posaient problème : une subrogation par acte sous-seing privé du prêteur dans la réserve de propriété du vendeur ; un cumul de ladite garantie avec un gage sans dépossession ; une valeur du bien repris déterminée par son seul prix de revente. Fallait-il considérer comme abusives ces clauses ? La Cour de cassation répond positivement.
I – Le contexte de l’avis
Qu’il soit permis de commencer ce commentaire en rendant hommage à un « grand juge » qui est à l’origine de l’avis rendu le 28 novembre 2016. Depuis des années, Étienne Rigal[...]
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Il est une figure centrale du roman d’Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne, 2009, P.O.L. V. la critique élogieuse de Rérolle R., « D’autres vies que la mienne, d’Emmanuel Carrère : ces vies arrachées au vide », Le Monde, 20 mars 2009 ; Devarrieux C., « Carrère, un livre lame de fond », Libération, 4 mai 2009 ; Carrère E., « D’autres vies que la mienne, dans le monde judiciaire », D. 2010, p. 1408, entretien.
D’autres vies que la mienne a été adaptée au cinéma dans le film Toutes nos envies de Philippe Lioret, sorti en 2011, avec les acteurs Marie Gillain et Vincent Lindon, AFP ; « Étienne Rigal, juge acteur du droit du surendettement, incarné par Lindon », L’Express, 4 nov. 2011.
Chartier C., « Étienne Rigal, juge des plus faibles », L’Express, L’Expansion, 19 mars 2009 ; Salles A., « Étienne Rigal, juge en équilibre », Le Monde, 22 juin 2009 ; Cosnay F., « Surendettement : le combat d’un juge », Europe 1, 9 nov. 2011.
Perras D., « Le Goût des autres », L’Express, 13 août 2009.
Legros M., « Le contrat social d’Étienne Rigal », Philosophie Magazine, 21 févr. 2013 ; « Étienne Rigal, juge aux multiples facettes », portrait sur le site de l’ENM, 20 nov. 2015 : http://www.enm.justice.fr/?q=actu-20novembre2015.
Robert-Diard P., « Comment deux “petits juges” ont mis à terre les sociétés de crédit », Le Monde, 2 août 2016. Selon la journaliste : « Philippe Florès et Étienne Rigal, rompus aux dossiers de surendettement, ont bouleversé le droit de la consommation ».
CJUE, 21 nov. 2002, n° C-473/00 : Contrats, conc. consom. 2003, 31, obs. Raymond G. ; D. 2002, Jur., p. 3339, obs. Avena-Robardet V. ; D. 2003, Jur., p. 486, note Nourissat C. ; Europe 2003, 4, obs. Rigaux A. ; JCP G 2003, II, 10082, note Paisant G.
TI Vienne, 15 déc. 2000 : Contrats, conc. consom. 2001, 16, obs. Raymond G.
Cass. 1re civ., 15 févr. 2000, n° 98-12713 : Bull. civ. I, n° 49 ; JCP G 2001, 379, note Gout O.
CJUE, 4 juin 2009, n° C-243/08, Pannon GSM Zrt c/ Erzsébet Sustikné Győrfi, selon lequel « le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet » ; D. 2009, p. 2312, note Poissonnier G. – CJUE, 30 mai 2013, n° C-488/11, Dirk Frederik Asbeek Brusse et Katarina de Man Garabito c/ Jahani BV.
C. consom., anc. art. L. 141-4, issu de la L. n° 2008-3, 3 janv. 2008, devenu C. consom., art. R. 632-1 en vertu du D. n° 2016-884, 29 juin 2016, relatif à la partie réglementaire du Code de la consommation.
Cass. 1re civ., 22 janv. 2009, n° 05-20176 : Bull. civ. I, n° 9 – Cass. 1re civ., 1er oct. 2014, n° 13-21901 : Bull. civ. I, n° 158 – Cass. 1re civ., 12 mai 2016, n° 14-24698.
Rigal É., « Douteuses réserves de propriété », Justice 2000, p. 15.
TI Vienne, 22 sept. 2000, Société DIAC c/ Gerboulet : Contrats, conc. consom. 2000, 181, obs. Raymond G.
Poissonnier G., « Les clauses résolutoires abusives dans les contrats de crédit à la consommation », D. 2006, p. 370 ; CA Paris, 4-9, 14 nov. 2013, n° 12/18676 : D. 2013, p. 2909, obs. Poissonnier G.
Poissonnier G., « Les principales irrégularités des offres préalables de crédit à la consommation », Contrats, conc. consom. 2011, étude 7.
C. consom., anc. art. L. 311-33 (pour les contrats souscrits avant le 1er mai 2011) ; C. consom., anc. art. L. 311-48, al. 1er (pour les contrats souscrits à partir du 1er mai 2011), devenu C. consom., art. L. 341-1 à L. 341-9.
TI Villefranche-sur-Saône, 6 sept. 2016, n° 11-15-000346, SA Credipar c/ F. Belhadj.
La somme de 16 446 € était réclamée au titre du remboursement du crédit souscrit le 13 septembre 2012 portant sur 14 458 €. Il était demandé une condamnation au paiement de cette somme, outre intérêts au taux annuel de 7,95 %. La déchéance du terme datait du 28 décembre 2014 et l’assignation en justice du 28 mai 2015.
C. consom., art. L. 212-1 : est qualifiée d’abusive toute clause qui, dans un contrat, crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
V. en ce sens, le rapport du conseiller rapporteur Vitse S., p. 16 et les conclusions de l’avocat général Sassoust P., p. 3. https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/avis_15/integralite_avis_classes_annees_239/2016_7429/2016_16_7921/16011_28_35606.html. Une telle sûreté est prévue par C. civ., art. 2367.
C. consom., art. L. 132-1, dans sa rédaction applicable au litige issu de la L. n° 95-96, 1er févr. 1995. En vertu de l’ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, relative à la partie législative du Code de la consommation, l’art. L. 132-1 est devenu les art. L. 212-1, L. 212-2, L. 212-3 et L. 241-1 du même code.
Il a été proposé de considérer que le déséquilibre significatif consistait soit en un unilatéralisme (défaut de réciprocité entre les parties et pouvoir discrétionnaire injustifié du professionnel), soit en la négation ou la privation d’un droit reconnu au consommateur : v. Peglion-Zika C.-M., « La notion de clause abusive au sens de l’article L. 132-1 du Code de la consommation », thèse, 2013, Paris II, nos 393 et s.
Par application des dispositions de C. civ., art. 1250, 1°, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016.
Cet article modifié par la L. n° 2016-1087, 8 août 2016, devenu l’article 1346-1 du Code civil, est relatif à la subrogation conventionnelle (le créancier recevant paiement d’une tierce personne la subrogeant dans ses droits contre le débiteur), subrogation qui doit être expresse et faite en même temps que le paiement.
Cass. req., 19 avr. 1831 : D. Juris. Gén., V° Obligation, n° 1878 – Cass. civ., 13 juin 1914 : DP 1916, 1, p. 41 – Cass. req., 3 févr. 1936 : S 1936, 1, p. 128 – Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-20420 : Bull. civ. IV, n° 112.
V. le rapport du conseiller rapporteur Vitse S., p. 19.
V. par ex., Cass. 1re civ., 19 juin 2001, n° 99-13395 : Bull. civ. I, n° 181 – Cass. 1re civ., 14 nov. 2006, n° 04-15645 – Cass. 1re civ., 20 mars 2013, n° 12-14432 : Bull. civ. I, n° 53.
V. note explicative relative à l’avis n° 16011 : Cass., avis, 28 nov. 2016, n° 16-70009 et le rapport du conseiller rapporteur Vitse S., p. 22.
V. note explicative relative à l’avis n° 16011 : Cass., avis, 28 nov. 2016, n° 16-70009.
« La subrogation a lieu également lorsque le débiteur, empruntant une somme à l’effet de payer sa dette, subroge le prêteur dans les droits du créancier avec le concours de celui-ci. En ce cas, la subrogation doit être expresse et la quittance donnée par le créancier doit indiquer l’origine des fonds ».
C. civ., art. 2233. Si le gage portant sur un véhicule automobile fait l’objet d’une section particulière au sein du Code civil, le droit commun du gage a tout de même vocation à lui être appliqué de manière subsidiaire, les seules particularités concernant les conditions de son opposabilité et la dépossession fictive qu’il emporte.
Rapport du conseiller rapporteur Vitse S., p. 25. La Cour de cassation sanctionne généralement les clauses qui réservent aux professionnels le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives aux droits et obligations des parties : Cass. 1re civ., 14 nov. 2006, n° 04-17578 : Bull. civ. I, n° 489 – Cass. 1re civ., 14 nov. 2006, n° 04-15646 : Bull. civ. I, n° 488.
Sauf preuve contraire, par C. consom., art. R. 132-2, 6°, dans sa rédaction antérieure à celle issue du D. n° 2016-884, 29 juin 2016.
Rapport du conseiller rapporteur Vitse S., p. 25.
V. en ce sens, TI Villeurbanne, 19 nov. 2012, SA Consumer France c/ Chaker Z. : Contrats, conc. consom. 2013, comm. 18, obs. Raymond G.
Conformément à C. civ., art. 2371.
V. note explicative relative à l’avis n° 16011 : Cass., avis, 28 nov. 2016, n° 16-70009.
Cass. 1re civ., 12 nov. 1987, n° 85-18350 : Bull. civ. I, n° 289.
CA Versailles, 10 oct. 1997 : RJDA 1997, n° 205.
V. note explicative relative à l’avis n° 16011 : Cass., avis, 28 nov. 2016, n° 16-70009.
Commission des clauses abusives, 23 juin 2005, avis n° 05-04, sur une question du TI de Bourganeuf.
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