L'obligation de bonne foi de la banque dans la rupture des négociations engagées avec une société cliente
S’il ne pouvait être reproché à la banque d’avoir refusé de consentir le prêt sollicité par une SCI, elle avait néanmoins manqué à son obligation de bonne foi en rompant soudainement les négociations relatives à l’octroi d’un prêt destiné à sauver sa trésorerie, sur lequel elle avait donné un accord de principe, dès le début de l’année 2014, et qui s’était concrétisé par la transmission à un notaire, courant juin 2015, d’une offre en vue de sa régularisation par acte notarié.
CA, 31 oct. 2019, n° 18/02110
1. Il est peu fréquent que des cours ou tribunaux soient amenés à se prononcer sur l’obligation de bonne foi des banques en matière de rupture des négociations avec un client. Il est encore plus rare qu’une faute de l’établissement de crédit soit relevée en la matière1. Une décision récente de la cour d’appel de Nancy attire par conséquent l’attention2.
2. Les faits étaient les suivants. Par courrier du 7 juillet 2015, la banque A avait notifié à la société civile immobilière (SCI) R. le prononcé de la déchéance du terme des prêts de 106 714,31 €, 300 000 € et 580 000 €, et mis en demeure celle-ci de lui verser la somme de 725 573,70 €, au titre des échéances impayées sur ces derniers.
3. Or, par un jugement en date du 22 août 20183, le TGI de Nancy avait, notamment, déclaré que[...]
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Pour des décisions ayant refusé de retenir une quelconque faute de la banque à l’occasion de la rupture des négociations ou des pourparlers, CA Paris, 4 avr. 2003, n° 02/18122 – CA Nîmes, 17 févr. 2011, n° 09/01927 – CA Aix-en-Provence, 5 avr. 2012, n° 12/0174 : LEDB juin 2012, n° 071, p. 2, obs. Routier R. – CA Colmar, 16 janv. 2019, n° 17/02926.
TGI Nancy, 22 août 2018, n° 16/05182.
Lasserre Capdeville J., Storck M., Mignot M., Kovar J.-P. et Éréséo N., Droit bancaire, 2e éd., 2019, Dalloz, Précis, n° 1570. Bonneau T., Droit bancaire, 13e éd., 2019, LGDJ, n° 685. Stoufflet J., « Le droit au crédit », in Mélanges A.-M. Sohm, 2005, PUF Clermont-Ferrand, p. 205. Lasserre Capdeville J., « Vers la reconnaissance d’un droit au crédit ? », RD bancaire et fin. 2019, dossier 9, p. 99. V. cependant, contra, Legais D., Opérations de crédit, 2015, LexisNexis, Traités, nos 415 et s. Nicolle M., Essai sur le droit du crédit, Thèse, Université Paris Descartes, 2014.
Cass. ass. plén., 9 oct. 2006, n° 06-11056 : Bull. ass. plén., n° 11 ; D. 2006, p. 2933, note Houtcieff D. ; D. 2007, p. 758, obs. Martin D.-R. ; RTD com. 2007, p. 207, obs. Legeais D. ; JCP G 2006, II 10175, note Bonneau T. ; RD bancaire et fin. 2006, comm. 188, obs. Crédot F.-J. et Samin T. ; Banque et droit, janv.-févr. 2007, p. 25, obs. Bonneau T. – CA Paris, 28 avr. 2011, n° 08/09606 : LEDB juin 2011, n° 078, p. 2, obs. Lasserre Capdeville J. – Cass. com., 25 oct. 2017, n° 16-16839 : JCP E 2017, 1246, note Mathey N. ; Banque et droit janv.-févr. 2018, n° 177, p. 21, obs. Bonneau T. ; LEDB déc. 2017, n° 110z2, p. 3, obs. Piédelièvre S. ; RTD com. 2017, p. 972, obs. Legeais D. ; AJ contrat 2017, p. 530, obs. Lasserre Capdeville J.
Il s’agit ici du banquier qui, alors qu’il s’est engagé à consentir un crédit, change ensuite d’avis. Dans ce cas, la jurisprudence estime que cette « volte-face » du professionnel de la banque entraînera l’engagement de sa responsabilité civile, et il se verra condamner à verser des dommages et intérêts à l’autre partie, V. par ex., CA Paris, 10 déc. 2015, n° 14/15218 : BJE janv. 2016,n° 113a2, p. 42, note Lasserre Capdeville J. – CA Grenoble, 17 oct. 2017, n° 15/05057 : LEDB févr. 2018, n° 111c5, p. 3, obs. Lasserre Capdeville J.
Mathey N, « Période précontractuelle. Les négociations », JCl Contrats-Distribution, fasc. 20, n° 16.
Selon ce dernier : « L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi ». Il se poursuit en déclarant qu’« en cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages ».
Cette affirmation du notaire peut surprendre. Tout prêt accordé à une personne physique ou morale dans une finalité professionnelle échappe (à l’exception du découvert) au champ d’application de l’usure, Lasserre Capdeville J., Storck M., Mignot M., Kovar J.-P. et Éréséo N., Droit bancaire, 2e éd., 2019, Dalloz, Précis, n° 1757. Or, un crédit accordé à une SCI échappe traditionnellement au régime juridique du crédit immobilier, Lamy droit économique, 2019, n° 5955.
Elle avait également sollicité la restitution de la somme de 3 000 € avancée au notaire, en vue de la rédaction de l’acte notarié.
Rappelons que la faute commise dans l’exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers n’est pas la cause du préjudice consistant dans la perte de chance de réaliser les gains espérés à la conclusion du contrat, Cass. com., 26 nov. 2003, n° 00-10243, Manoukian : Bull. civ. IV, n° 186 ; JCP G 2004, I 163, spéc. n° 18, obs. Viney G. ; RDC 2004, p. 257, obs. Mazeaud D. ; Rev. sociétés 2004, p. 325, note Mathey N. ; RTD civ. 2004, p. 80, obs. Mestre J. et Fages B.
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