La saisie pénale : sanction provisoire ?
Une chambre de l’instruction saisie de l’appel d’une ordonnance de saisie pénale spéciale doit apprécier l’existence d’indices de commission d’une infraction de nature à justifier la mesure de saisie pénale.
Cass. crim., 4 mars 2020, n° 19-81371
Bien saisissable et confiscation. Le contentieux des saisies pénales s’apparente à un subtil équilibre linguistique. Deux raisons évidentes expliquent les nombreuses arguties du droit. L’enquête et l’instruction sont encore le temps de la suspicion, des incertitudes et des vraisemblances, de sorte que saisir un bien en vue d’une confiscation entame nécessairement le respect dû à la présomption d’innocence. Au-delà, la loi du 9 juillet 2010 a certes construit un droit d’une efficacité redoutable, mais demeurent nombreuses les ombres portées sur des notions aussi simples en apparence qu’objet1, produit2, instrument3 ou encore tiers4. La décision rendue le 4 mars 2020 par la chambre criminelle5 atteste des difficultés en présence. Dans le cadre d’une instruction ouverte du chef, entre autres, d’escroquerie aggravée, un individu conteste des saisies pénales visant un contrat d’assurance-vie et des comptes bancaires. La chambre de l’instruction confirme les saisies au terme d’une motivation pour le moins paradoxale. La cour d’appel constate en effet dans un premier temps que, par arrêt distinct, la mise en examen de l’intéressé a été annulée faute[...]
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Pour la proximité avec le produit, v. Segonds M., « À la recherche d’une définition du produit de l’infraction (selon la loi pénale) », Annales de l’institut de criminologie et de sciences pénales Roger Merle, vol. 1, 2020, PUTC, p. 120.
V. ainsi C. pén., art. 706-148 ; C. pén., art. 706-150 ; C. pén., art. 706-153.
Contra, Brenaut M., Le Renouveau des mesures de sûreté en droit pénal français, thèse, 2016, Paris 2, p. 226 et s.
V. Beaussonie G., « Le produit de l’infraction et le principe de la personnalité des délits et des peines », Annales de l’institut de criminologie et de sciences pénales Roger Merle, vol. 1, 2020, PUTC, p. 137.
S’agissant de la détention provisoire, voir le très important arrêt rendu le 11 décembre 2018 (Cass. crim., 11 déc. 2018, n° 18-85460) : Catelan N. « La détention provisoire, mystère de pacotille », Lexbase pénal, janv. 2020.
Guéry C., « Les paliers de la vraisemblance pendant l’instruction préparatoire », JCP G 1998, doctr. 140.
Une aliénation est toutefois possible, v. CPP, art. 99-2, al. 2.
V. Chérot J.-Y., « La question du point de vue interne dans la science du droit », Revue interdisciplinaire d’études juridiques 2007, vol. 59, p. 17.
Camous E., « Des saisies pénales spéciales – Régime général », JCl. Procédure pénale, art. 25, fasc. 20.
Si tant est que ceux qui emploient ce terme aient l’amabilité de le définir.
Qui, elle, ne peut exclusivement chercher à sanctionner par anticipation, v. CPP, art. 144.
Rien n’est en réalité confiscable car nul n’est condamné, v. supra.
Les sanctions au principal se distinguent des sanctions provisoires en ce que l’absence de recours rend définitif leur prononcé. À l’inverse, les sanctions provisoires ne durent qu’un temps. Si elles ne sont pas confirmées au stade du jugement, elles ne peuvent en principe être pérennes. Le contentieux des restitutions atteste toutefois du fait que lorsque des biens sont sous main de justice, cette dernière a quelques difficultés à desserrer son emprise.
Pour la motivation d’une saisie confinant à la culpabilité, Cass. crim., 17 déc. 2014, n° 13-87779.
Jeandidier W., « La présomption d’innocence ou le poids des mots », RSC 1991, p. 49.
Hart H. L., « The Ascription of Responsability and Rights », Proceedings of the Aristotelian Society 1949, vol. 49.
Austin J. L., Quand dire, c’est faire, 1991, Seuil, Essais, spéc. p. 85 ; Laugier S., « Performativité, normativité et droit », Archives de philosophie 2004, t. 67, p. 607 ; Fraenkel B., « Actes écrits, actes oraux : la performativité à l’épreuve de l’écriture », Études de communication 2006, vol. 29, p. 69.
CEDH, 25 mars 1983, n° 8660/79, Minelli c/ Suisse, § 37 : « La présomption d’innocence se trouve méconnue si, sans établissement légal préalable de la culpabilité d’un prévenu et, notamment, sans que ce dernier ait eu l’occasion d’exercer les droits de la défense, une décision judiciaire le concernant reflète le sentiment qu’il est coupable. Il peut en aller ainsi même en l’absence de constat formel ; il suffit d’une motivation donnant à penser que le juge considère l’intéressé comme coupable ».
Wittgenstein L., Tractatus logico-philosophicus, 1993, Gallimard, p. 101, § 6.1261.
Même si chez Dworkin cette notion est infiniment plus abstraite (v. L’Empire du droit, 1994, PUF, spéc. p. 251-252), elle permet ici de mettre en exergue le discours continu des juges dont il est difficile d’entraver la narration si l’épilogue est déjà écrit.
Le risque est que la justice pénale s’apparente à ces jeux de labyrinthe pour enfants où il suffit de partir de la sortie pour remonter paisiblement le bon chemin. Sans enjeu ni surprise.
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