Liberté d'appeler au boycott de produits d'origine étrangère : une protection prévisible face à une ingérence imprévisible ?
À l’occasion d’une série de décisions de justice rendues conformément aux recommandations d’une circulaire émise par la Chancellerie en 2010, plusieurs juridictions françaises ont choisi d’appliquer aux appels au boycott de produits d’origine israélienne la qualification pénale de provocation à la discrimination à raison de l’origine nationale d’une personne ou d’un groupe de personnes. La Cour européenne des droits de l’Homme vient de se prononcer sur cette solution, qu’elle a jugée contraire à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme protégeant la liberté d’expression, sans toutefois constater de violation de l’article 7 consacré au principe de légalité des délits et des peines.
CEDH, 11 juin 2020, n° 15271/16
L’arrêt Baldassi et a. c/ France1 vient clore, au moins provisoirement, la problématique, un temps très débattue et relative à la légalité, en France, de la pratique des appels au boycott de produits d’origine étrangère à des fins de protestation politique.
À l’origine de cet arrêt, sept requêtes ont été introduites par des ressortissants de l’État français, qui ont tous pour point commun d’avoir fait l’objet de condamnations pénales pour avoir participé à des actions publiques organisées dans le cadre du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS). Celui-ci prit naissance en 2005, à l’occasion du premier[...]
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CEDH, 11 juin 2020, nos 15271/16, 15280/16, 15282/16, 15724/16, 15842/16 et 16207/16, Baldassi et a. c/ France.
CIJ, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif : CIJ Rec. 2004, p. 136, https://lext.so/GSyhL-.
Circ. CRIM-AP n° 09-900-A4, 12 févr. 2010.
Trib. corr. Mulhouse, 15 déc. 2011, n° 3310/2011 : Gaz. Pal. 16 févr. 2012, n° I8750, p. 9, note Poissonnier G ; D. 2012, p. 439, note Poissonnier G.
Cass. crim., 20 oct. 2015, n° 14-80021, D : Bull. crim., n° 382.
En ce sens, v. Besse T., La pénalisation de l’expression publique, thèse, 2019, Institut francophone pour la justice et la démocratie, n° 187, spéc. nos 226 et s.
CEDH, 25 mai 1993, n° 14307/88, Kokkinakis c/ Grèce, § 52.
V., dernièrement : CEDH, 20 oct. 2015, n° 35343/05, Vasiliauskas c/ Lituanie, § 154.
Cette différence trouve en effet sa justification dans le fait que certaines catégories de personnes protégées par l’alinéa 9 (homosexuels, transsexuels) voyaient, lors de son adoption en 2004, leur accès à certains droits légalement entravé ou limité (mariage, adoption entre autres), et qu’il ne fallait pas que les débats relatifs à leur éventuel accès à de tels droits puissent donner lieu à des poursuites pénales. Si certaines de ces limites légales subsistent encore à ce jour, elles tendent néanmoins à s’amenuiser peu à peu.
CEDH, 16 juill. 2009, n° 10883/05, Willem c/ France.
TGI Pontoise, 14 oct. 2010, n° 0915305065 – TGI Paris, 8 juill. 2011, n° 0918708077 : Gaz. Pal. 1er sept. 2011, n° I6928, p. 15, note Poissonnier G. – Trib. corr. Mulhouse, 15 déc. 2011, n° 3310/2011 : Gaz. Pal. 16 févr. 2012, n° I8750, p. 9, note Poissonnier G ; D. 2012, p. 439, note Poissonier G. – TGI Bobigny, 3 mai 2012, n° 09-07782469 – CA Paris, 24 mai 2012, n° 11/6623 : Gaz. Pal. 26 juill. 2012, n° J0502, p. 20, note Poissonnier G. – CA Paris, 28 mars 2012, n° 11/05257 ; Trib. corr. Perpignan, 14 août 2013, n° 1738/2013 – TGI Pontoise, 20 déc. 2013, n° 10208005397 : AJ pénal 2014, p. 78, obs. Poissonnier G.
CA Paris, 24 mai 2012, n° 11/6623 – CA Colmar, ch. app. corr., 27 nov. 2013, n° 12/00645 : JCP G 2014, 64, note Poissonnier G. et Dubuisson F. – CA Caen, 24 nov. 2014, n° 14/00235 : D. 2015, p. 158.
Duhamel J.-C., « L’appel au boycott des produits israéliens ne relève pas de la liberté d’expression, mais constitue une provocation à la discrimination. Analyse critique d’une jurisprudence française », RDLF 2016, chron. 9 ; Poissonnier G. et Duhamel J.-C., « Cette singulière interdiction française de l’appel au boycott des produits israéliens », D. 2016, p. 287 ; Poissonnier G.et Dubuisson F., « Peut-on appeler au boycott de produits originaires d’un État dont la politique est critiquée ? », JCP G 2014, 64 ; François L., « L’appel public au boycott de produits importés d’Israël sanctionné comme une provocation à la discrimination », RLDI 2016, n° 123.
Besse T., La pénalisation de l’expression publique, thèse, 2019, Institut francophone pour la justice et la démocratie, p. 198, n° 228.
François L., « L’appel public au boycott de produits importés d’Israël sanctionné comme une provocation à la discrimination », RLDI 2016, n° 123.
Besse T., « Le débat d’intérêt général : un fait justificatif conventionnel », Archives de politique criminelle 2018/1, n° 40, p. 87 ; François L., « La réception du critère européen de “débat d’intérêt général” en droit français de la diffamation », D. 2018, p. 636.
V. not. CEDH, 7 nov. 2006, n° 12697/03, Mamère c/ France, § 20.
Ce raisonnement rappelle celui formulé par les juridictions du fond parisiennes à l’occasion d’une affaire mettant en cause une militante du mouvement BDS qui avait mis en ligne la vidéo d’une manifestation dans un centre commercial (TGI Paris, 8 juill. 2011, n° 0918708077 ; CA Paris, 24 mai 2012, n° 11/6623). La cour d’appel de Paris, confirmant le jugement de première instance, avait jugé que l’appel au boycott de produits étrangers relevait de la « critique pacifique de la politique d’un État relevant du libre jeu du débat politique, qui se trouve, aux termes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, au cœur même de la notion de société démocratique ».
CEDH, gde ch., 15 oct. 2015, n° 27510/08, Perinçek c/ Suisse, § 229 et s.
Roets D., « Le délit d’apologie de crimes de guerre rétréci par le juge européen des droits de l’Homme », RSC 2009, p. 663.
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