La règle spéciale ne déroge pas à la règle spéciale… toujours pas de conflit entre les articles L. 124-5 et L. 113-3 du Code des assurances !
La Cour de cassation confirme que les articles L. 124-5 (relatif à l’application dans le temps de la couverture d’assurance) et L. 113-3 du Code des assurances (relatif à la résiliation du contrat pour non-paiement des primes) n’entrent pas en conflit. L’adage specialia generalibus derogant n’a donc pas vocation à s’appliquer.
Cass. 3e civ., 4 mars 2021, n° 19-26333
« L’antinomie des règles est insupportable »1… mais encore faut-il que les deux règles soient antinomiques2 ! Pour évidente qu’elle soit, l’affirmation mérite d’être répétée, comme en témoigne un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 4 mars 2021.
Un particulier avait eu recours à une société pour effectuer un chantier de rénovation de son appartement, qui débuta au second semestre 2010. Des retards, malfaçons, non-façons et non-conformités survinrent entre mars et août 2011 : le maître de l’ouvrage formula une réclamation à l’assureur de l’entrepreneur par lettre du 22 août 2012. L’assureur refusa sa garantie : c’est que l’entrepreneur, assuré, n’avait pas réglé sa prime pour 2011, l’assureur l’ayant mis en demeure de régler par lettre du 11 mars, la garantie s’étant donc trouvée suspendue au 11 avril3 ; finalement, l’assurance fut résiliée à effet au 1er janvier 2012 pour non-paiement de la cotisation.
On le voit : les[...]
L'accès à l'intégralité de ce document est réservé aux abonnés
P. Malaurie, « Les antinomies des règles et de leurs fondements », in Le droit privé français à la fin du XXe siècle. Études offertes à Pierre Catala, 2001, LexisNexis, p. 25 et s., spéc. p. 27.
Sur les rapports entre l’adage specialia generalibus derogant et l’antinomie, v. Dictionnaire du contrat, 2018, LGDJ, v° Specialia generalibus derogant, par C. Goldie-Genicon, spéc. p. 1035 et s.
C. assur., art. L. 113-3, al. 2.
Cass. 2e civ., 12 déc. 2019, n° 18-12762 : RGDA févr. 2020, n° 117d9, p. 41, obs. J. Kullmann ; D. 2020, p. 252, note A. Touzain.
Si la jurisprudence récente peut parfois viser expressément le « principe » selon lequel les lois spéciales dérogent aux lois générales (Cass. 1re civ., 9 mars 2016, n° 15-18899), c’est que désormais la valeur normative du principe découle expressément, en droit des contrats, de l’article 1105 du Code civil, issu de la réforme du 10 février 2016 (sur cette valeur juridique du principe, v. Dictionnaire du contrat, 2018, LGDJ, v° Specialia generalibus derogant, par C. Goldie-Genicon, spéc. p. 1033).
C. Goldie-Genicon, Contribution à l’étude des rapports entre le droit commun et le droit spécial des contrats, 2009, LGDJ, Bibl. dr. priv., p. 491, n° 382.
L. Lucienne, Specialia generalibus derogant, thèse dactyl., 2020, université de Tours, p. 331 et s., nos 410 et s.
C. Goldie-Genicon, « Droit commun et droit spécial », in « Les grandes distinctions en droit privé », Rev. dr. Assas, févr. 2013, n° 7, p. 29 et s., spéc. n° 10, p. 34. V. aussi, sur la généralité absolue du droit commun, N. Balat, Essai sur le droit commun, t. 571, 2016, LGDJ, Bibl. dr. priv., p. 45 et s., nos 63 et s.
Il s’agissait de combattre la pratique assurantielle qui exigeait cumulativement que le fait dommageable et la réclamation soient survenus pendant la période de garantie (sur cette pratique et l’évolution, v. Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., 2017, Dalloz, Précis, p. 509 et s., n° 712).
Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., 2017, Dalloz, p. 370 et s., nos 522 et s.
M. Chagny et L. Perdrix, Droit des assurances, 4e éd., 2018, LGDJ, Manuel, n° 309.
Cass. 2e civ., 12 déc. 2019, n° 18-12762. La clause fut, dans cette espèce, réputée non écrite.
En ce sens, J. Kullmann in RGDA févr. 2020, n° 117d9, p. 41. L’auteur évoque la possibilité de stipuler une clause paralysant la prise d’effet au paiement de la prime mais conclut qu’il semble « que la concurrence entre entreprises d’assurance tende à ne pas favoriser son intégration, car les assurés n’en sont guère friands » ; et de souligner les difficultés qu’une telle clause pourrait générer au moment de la tacite reconduction.
J. Kullmann, « Assurances de responsabilité civile », obs. sous Cass. 2e civ., 24 mai 2012, n° 10-27972 : RGDA 2013, p. 174.
En ce sens, L. Mayaux, « Suspension de la garantie entre les faits dommageables : l'assureur demeure tenu », obs. sous Cass. 3e civ., 4 mars 2021, n° 19-26333 : RGDA avr. 2021, n° 200b0, p. 34.
V. les développements de L. Mayaux, in RGDA avr. 2021, n° 200b0, p. 34.
Y. Lambert-Faivre, « La durée de la garantie dans les assurances de responsabilité : fondement et portée de la nullité des clauses “réclamation de la victime” », D. 1992, p. 13, spéc. p. 18.
Système qui est parfois critiqué en ce qu’il favorise les fraudes, en permettant à l’assuré ayant connaissance du fait dommageable de payer l’arriéré pour être couvert… (Cass. 2e civ., 24 mai 2012, n° 10-27972 : RGDA avr. 2021, n° 200b0, p. 34, note L. Mayaux ; Resp. civ. et assur. 2012, comm. 257, note H. Groutel). La critique doit néanmoins être relativisée car le paiement de l’arriéré de prime, s’il réactive la garantie, ne le fait pas rétroactivement : « Le sinistre survenu avant la réactivation de la garantie d’assurance n’est pas couvert » (J. Bigot (dir.), Traité de droit des assurances, t. 3, Le contrat d’assurance, 2e éd., 2014, p. 582, n° 1235 – v. par ex. Cass. 1re civ., 4 déc. 1996, n° 93-13657). Il n’en demeure pas moins que la garantie demeure due pendant le délai de 30 jours entre la mise en demeure et la suspension de garantie (J. Kullmann (dir.), Le Lamy Assurance, 2021, Wolters Kluwer, Lamy Expert, p. 209, n° 472).
Cela serait intéressant en matière de construction : dès lors que le constructeur présente une attestation d’assurance pour assurer son client de sa couverture, ne faudrait-il pas que la mise en demeure de régler les primes par l’assureur soit portée à la connaissance des clients, pour leur permettre de payer à la place de l’assuré dans le délai de 30 jours, pour éviter une suspension de garantie ? Si une notification individuelle serait excessive (voire impossible, car l’assureur n’a pas forcément connaissance de l’identité des clients du constructeur), une publicité générale des mises en demeure est envisageable.
Étant entendu que la « continuité » ne saurait découler du laps de temps nécessaire entre le fait générateur et le dommage si l’on admet que la naissance de la créance de responsabilité est la date du dommage (v. ainsi J. Kullmann (dir.), Le Lamy Assurances, 2021, Wolters Kluwer, Lamy Expert, p. 548, n° 1497).
Ce qui est conforme à l’article L. 124-1-1 du Code des assurances, duquel il découle qu’il n’y a qu’une seule cause génératrice par dommage (en ce sens, L. Mayaux, « Suspension de la garantie entre les faits dommageables : l'assureur demeure tenu », RGDA avr. 2021, n° 200b0, p. 34).
Testez gratuitement Lextenso !