Protection subsidiaire et ambivalence du droit d'asile
Le Conseil d’État confirme le revirement de la CNDA relatif à la situation des demandeurs d’asile afghans
En décalage apparent avec l’actualité récente, le Conseil d’État a rejeté le 9 juillet 2021, un pourvoi en cassation formé à l’encontre d’une décision de la grande formation de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), ayant mis fin, par un arrêt controversé du 19 novembre 2020, à sa jurisprudence dite Kaboul. Après la reprise du pouvoir par les talibans en Afghanistan le 15 août 2021 et le risque de violations des droits de l’Homme, l’intégration de cette solution dans le droit positif semble inappropriée pour beaucoup de défenseurs des droits humains. Pourtant, rien n’est moins sûr.
CE, 2e-7e ch. réunies, 9 juill. 2021, no 448707
L’actualité pose de manière régulière et souvent dramatique les problématiques à la fois millénaires et terriblement contemporaines du droit d’asile et du statut de réfugié1. Après 20 ans de guerre, le conflit en Afghanistan en constitue la plus récente illustration, car depuis l’entrée des talibans à Kaboul le 15 août 2021, il est effectivement à craindre, dans les prochaines semaines, un exode massif de civils afghans vers les États démocratiques d’Europe et d’Amérique du nord, et la question de l’ouverture des frontières et d’un traitement spécifique de ces populations prima facie2 est déjà au cœur de toutes les préoccupations (politiques, juridiques et médiatiques).
Sans revenir sur les propos polémiques du président[...]
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Réfugiés, demandeurs d’asile, déplacements forcés de populations, migrants, la notion d’asile est constante dans l’histoire de la France et de l’Europe, mais son sens a considérablement varié au cours du temps. D’origine judiciaire et religieuse, le droit d’asile s’est progressivement sécularisé pour devenir une notion politique et humanitaire permettant notamment de réglementer l’asile des réfugiés. Toutefois, ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale, que le droit d’asile sera véritablement consacré en droit positif, avec notamment l’entrée en vigueur de la convention dite de Genève du 28 juillet 1951 donnant statut général aux réfugiés.
À première vue – sur la base d’une présomption.
De son côté, le haut-commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR) demande « l’application pleine et entière du principe de non-refoulement », c’est-à-dire l’interdiction de renvoyer des Afghans vers des situations de danger, rappelant que les États ont « la responsabilité juridique et morale de permettre l’accès à leur territoire pour les personnes ayant fui l’Afghanistan en quête de sécurité, et de ne pas expulser les réfugiés », cela jusqu’au moment où « la situation de sécurité, l’État de droit et le respect des droits humains s’y seront suffisamment améliorés pour permettre des retours sûrs et dignes ».
Pour cela, il est nécessaire de déterminer si le conflit en cause génère, dans la partie du pays où un demandeur avait fixé ses centres d’intérêt, une violence aveugle l’exposant à une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne et, le cas échéant, le niveau de cette violence.
En 2019, la CNDA avait annulé près de 75 % des décisions de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), source OFPRA.
La Cour considérait en effet qu’un Afghan débouté de sa demande d’asile, et à qui la France demande de partir, devait nécessairement s’arrêter à Kaboul (avant de rejoindre sa province d’origine). Il se retrouvait de fait exposé à une menace. Cette jurisprudence attribuait donc une protection « subsidiaire » aux Afghans, à défaut du statut de réfugié qui est réservé aux cas de persécution individuelle.
CNDA GF, 19 nov. 2020, n° 19009476 R, M. N et CNDA GF, 19 nov. 2020, n° 18054661 R, M. M.
L’article L. 512.1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et dur droit d’asile est devenu l’article L.712-1 le 1er mai 2021.
Le choix de ces sources doit se conformer aux exigences des directives européennes et tenir compte des recommandations du Bureau européen d’appui en matière d’asile.
Tribune publiée dans Le Monde le 28 novembre 2020 de MM. A. Baczko et G. Dorronsoro, « Droit d’asile : La France aligne sa jurisprudence sur celle d’autres États européens pour expulser les Afghans » ; J. Bénézit, Le Monde, 13 janv. 2021, « Le revirement de la Cour nationale du droit d’asile à propos des Afghans critiqués » ; tribune collective publiée dans Le Monde le 3 mai 2021, « Comment est évaluée la dangerosité des situations pour les personnes demandeuses d’asile ? », par 10 chercheurs en sciences sociales spécialisés dans l’étude des sociétés d’où viennent les personnes demandeuses d’asile en France.
Étendue géographique, durée, fréquence et intensité des combats, nombre d’incidents liés au conflit, nombre de victimes civiles, y compris celles « seulement » blessées, au regard de la population nationale et dans les zones géographiques pertinentes, importance des déplacements de population provoqués par le conflit, nombre de retours volontaires.
Parties au conflit et forces militaires respectives, méthodes, tactiques de guerre et types d’armes utilisées, caractéristiques des cibles visées mais aussi prise en compte des violations des droits de l’Homme, de l’accès aux services publics de base, aux soins de santé et à l’éducation, de la capacité des autorités de contrôler la situation du pays et de protéger les civils y compris les minorités, de l’aide ou de l’assistance fournie par des organisations internationales, de la situation des personnes déplacées à leur retour.
CJUE, 10 juin 2021, n° C-901/19, CF et DN c/ Bundesrepublik Deutschland. Décision en réponse à une question préjudicielle d’une juridiction allemande qui avait interrogé la Cour sur le point de savoir si l’appréciation de l’existence d’une violence aveugle d’une exceptionnelle intensité, dispensant le requérant d’établir la réalité des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne, est subordonnée à la condition que le rapport entre le nombre de victimes civiles dans la zone concernée et le nombre total d’individus que compte la population de cette zone atteigne un seuil déterminé, ainsi que l’estime la Cour administrative fédérale.
Comme le souligne C. Teitgen-Colly, « La figure emblématique du républicain espagnol à protéger a ainsi cédé peu à peu la place dans l’imaginaire collectif à celle du “faux réfugié”, cherchant à détourner la procédure d’asile à des fins migratoires, voire criminelles, et de qui il faudrait se protéger », Le droit d’asile, 2019, PUF, Que sais-je ?,p. 89-90.
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