Roméo, Juliette, le sexe et le droit pénal
Les incriminations spécifiques de viol et d’agression sexuelle sur mineur de 15 ans, introduites par la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021, réalisent un changement radical de paradigme, sans doute souhaitable, dans la caractérisation des infractions de violences sexuelles sur les jeunes mineurs. Celui-ci tend cependant à engendrer des situations pénales parfois discutables au regard de la particularité des faits et de l’enchevêtrement complexe de normes auquel il aboutit. Un rééquilibrage de la réponse pénale pourrait être envisagé, au moyen de sa graduation.
À la faveur d’affaires dont le retentissement a été mondial1, la criminalité et la délinquance sexuelles sont aujourd’hui régulièrement sous le feu des projecteurs. Dans le même temps, plusieurs épisodes concernant des infractions sexuelles commises sur de jeunes mineurs ont suscité une émotion légitime au sein de l’opinion publique2. Ces affaires avaient pour point commun de mettre en évidence ce qui a été légitimement perçu comme une insuffisance de la loi pénale. En vertu du principe de légalité criminelle, les actes sexuels pratiqués sur – ou par3 – la victime ne peuvent en effet classiquement revêtir la qualification de viol ou d’agression sexuelle s’ils ne s’accompagnent pas de l’un des adminicules[...]
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Affaire Weinstein en 2017 ; affaire Epstein en 2019 ; affaire Matzneff en 2020 ; affaire Duhamel en 2021.
« Une cour d’assises acquitte un homme accusé d’avoir violé une fille de 11 ans » Le Monde, 11 nov. 2017, (l’homme a finalement été condamné en appel) ; v. aussi l’affaire Julie, dans laquelle l’instruction ouverte pour viols et agressions sexuelles en réunion a finalement abouti à une requalification des faits du chef d’atteinte sexuelle en réunion (Cass. crim., 17 mars 2021, n° 20-86318, FS-PI : Gaz. Pal. 4 mai 2021, n° 420p5, p. 16, note L. Saenko) ; v. enfin l’arrêt de chambre criminelle rejetant le pourvoi formé contre l’arrêt de chambre de l’instruction confirmant l’ordonnance requalifiant des faits de viol par personne ayant autorité sur la victime en agression sexuelle incestueuse (à raison d’un cunnilingus effectué sur la victime, au motif d’une pénétration insuffisamment profonde : Cass. crim., 14 oct. 2020, n° 20-83273, F-D).
La loi n° 2018-703 du 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a en effet introduit, au sein de l’article 222-23 du Code pénal, l’élément matériel tiré de ce que l’acte de pénétration sexuelle a été commis « sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur (…) ».
B. Py, « Infractions sexuelles et inceste : ce qui ne se conçoit pas bien n’a aucune chance de s’énoncer clairement », Gaz. Pal. 22 juin 2021, n° 423n9, p. 13.
CE, avis, 15 mars 2018, n° 394437 : Lebon, p. 5, n° 21.
J. Léonhard, « La loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste : entre illusions et désillusions », AJ pénal 2021, p. 301.
C. Hardouin-Le Goff, « La loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste. Une avancée attendue de longue date… au goût d’inachevé », JCP G 2021, 513.
Cons. const., 16 sept. 2011, n° 2011-164 QPC, M. Antoine J. (responsabilité du « producteur » d’un site en ligne), cons. n° 3 ; dans le même sens, v. Cons. const., 16 juin 1999, n° 99-411 DC ; Cons. const., 10 juin 2009, n° 2009-580 DC ; Cons. const., 10 mars 2011, n° 2011-625 DC.
CEDH, 7 oct. 1988, n° 10519/83, Salabiaku c/ France, § 28 ; CEDH, 30 mars 2004, n° 53984/00, Radio France et a. c/ France, § 24.
Rapp. Sénat n° 271, 13 janv. 2021, Mme Marie Mercier, p. 11.
C. Hardouin-Le Goff, JCP G 2021, 513.
C. Hardouin-Le Goff, « Infractions sexuelles sur mineurs : lorsque le droit pénal retrouve sa fonction expressive et que la fixation d’un seuil d’âge devient constitutionnellement possible », Dr. pén. 2020, n° 12, étude 34, spéc. n° 17.
En ce sens, v. Cass. crim., 10 sept. 2019, n° 19-84012, D ; CA Paris, 14 juin 2006 : Juris-Data n° 2006-316011.
Cass. crim., 1er mars 1995, n° 94-85393 : Bull. crim., n° 92 – Cass. crim., 21 oct. 1998, n° 98-83843 : Bull. crim., n° 274 – Cass. crim., 10 mai 2001, n° 00-87659 : Bull. crim., n° 116 – Cass. crim., 14 nov. 2001, n° 01-80865 : Bull. crim., n° 239.
C. Hardouin-Le Goff, « Infractions sexuelles sur mineurs : lorsque le droit pénal retrouve sa fonction expressive et que la fixation d’un seuil d’âge devient constitutionnellement possible », Dr. pén. 2020, n° 12, étude 34, spéc. n° 6.
TJ Brive-la-Gaillarde, 10 juin 2021, n° 274/2021.
Rappelons, à ce titre, que la Cour européenne des droits de l’Homme considère qu’il faut des « raisons particulièrement graves pour que soit justifiée, aux fins de l’article 8, § 2, de la Convention, une ingérence des pouvoirs publics dans le domaine de la sexualité » (CEDH, 17 févr. 2005, nos 42758/98 et 45558/99, K.A. et A.D. c/ Belgique, § 84) ; v. aussi CEDH, 22 janv. 1981, n° 7225/76, Dudgeon c/ Royaume-Uni, dans lequel la Cour rappelle cette évidence que la vie sexuelle constitue « l’un des aspects les plus intimes de la vie privée » (§ 52).
C. Hardouin-Le Goff, « Infractions sexuelles sur mineurs : lorsque le droit pénal retrouve sa fonction expressive et que la fixation d’un seuil d’âge devient constitutionnellement possible », Dr. pén. 2020, n° 12, étude 34, spéc. nos 18 et s.
S. Detraz, « Le dédoublement des agressions sexuelles. Commentaire de certaines des dispositions de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste », Dr. pén. 2021, n° 6, étude 12, spéc. n° 6.
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