L'emprise inéluctable des juges sur le nouveau droit des contrats
1. La place des juges dans l’adoption de la réforme du droit des contrats a été mise en lumière par Guillaume Meunier1 : les magistrats de la Chancellerie ont tellement œuvré à l’élaboration de l’ordonnance du 10 février 2016 et l’essentiel du contenu de celle-ci provenant de solutions prétoriennes2, que les juges apparaissent comme les principaux auteurs du nouveau droit commun des contrats.
2. Si l’on quitte la genèse de la réforme pour s’attacher à sa mise en œuvre, il est plus délicat de caractériser la place des juges, du fond comme de la Cour de cassation, et ce, pour deux raisons.
La première est d’ordre procédural. Elle tient au principe du dispositif : il est difficile de prédire quelles décisions seront prises par les juges sur le fondement du nouveau droit, car elles dépendront des demandes qui leur seront soumises par les contractants et de la valeur des éléments de preuve que les parties produiront au soutien de leurs prétentions.
La seconde raison pour laquelle il n’est pas aisé de caractériser la place du juge dans la mise en œuvre de la réforme est substantielle. Elle résulte de l’ambivalence de l’ordonnance vis-à-vis des juges, qui se manifeste aussi bien au sein des contrats, que du nouveau droit des contrats.
3. Sur les contrats, l’empreinte des juges sera variable, dans la mesure où leur office est globalement limité, mais où certains contrôles judiciaires se trouvent[...]
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V. dans le présent dossier, Meunier G., « Présentation générale de la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations », LPA 30 déc. 2016, n° 122p5, p. 3.
La codification à droit prétorien quasi-constant s’inscrit dans l’objectif premier de la réforme, celui de sécurité juridique, mis en avant par la loi d’habilitation n° 2015-177 du 16 février 2015, le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (JO n° 0035, 11 févr. 2016) et encore le projet de loi de ratification n° 3928 du 6 juillet 2016. En effet, le droit codifié est plus accessible que le droit jurisprudentiel et la codification de ce dernier est indispensable à la stabilité des règles sur lesquelles les contractants fondent leurs prévisions.
C. civ., art. 1195. La prévention du contentieux est d’autant plus importante lorsque les règles supplétives, que des clauses peuvent écarter, présentent un caractère répulsif. Tel est le cas de ce texte qui autorise une immixtion importante du juge dans le contrat.
En raison de leur caractère extrajudiciaire, il serait préférable d’abandonner la notion d’« action » employée par le rapport au président de la République et de leur préférer celle d’interpellation (v. not. Bénabent A., « Les nouveaux mécanismes », RDC avr. 2016, n° 112y8, p. 17, hors-série).
C. civ., art. 1123, C. civ., art. 1158 et C. civ., art. 1183.
C. civ., art. 1178, al. 1er.
C. civ., art. 1222, al. 1er.
Sur cet apport majeur de la réforme, v. not. Barbier H., « Les grands mouvements du droit commun des contrats après l’ordonnance du 10 février 2016 », RTD civ. 2016, p. 247 ; Dupichot P., Bretzner J.-D. et Thomas M., « User des prérogatives contractuelles », JCP E 2016, 1375.
Les conditions imposées par l’article 1112-1 du Code civil sont plus contraignantes que le devoir de bonne foi sur lequel les juges fondaient jusque-là cette exigence d’information (v. not. Fabre-Magnan M., « Le devoir d’information dans les contrats : essai de tableau général après la réforme », JCP G 2016, p. 1218).
En particulier, l’exigence d’un « avantage manifestement excessif », qui ne figurait pas dans le projet d’ordonnance du 25 février 2015 (http://www.justice.gouv.fr/publication/j21_projet_ord_reforme_contrats_2015.pdf).
« Si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ». Selon le rapport au président de la République, « le texte proposé s’analyse en une déclinaison de l’abus de droit, formulée de façon plus précise, pour encadrer l’appréciation du juge et offrir une sécurité juridique accrue ».
C. civ., art. 1112, al. 2 consacrant la jurisprudence Manoukian (Cass. com., 26 nov. 2003, n° 00-10243 : Bull. civ. IV, n° 186).
C. civ., art. 1164 et C. civ., art. 1165. La révision judiciaire du prix fixé unilatéralement dans le cadre de ces deux types de contrats et même, plus largement, dans les contrats à exécution successive, était au contraire admise par le projet d’ordonnance précité en date du 25 février 2015.
C. civ., art. 1171 et C. civ., art. 1184, al. 2.
L’article 1171 s’éloigne, à cet égard, du projet Catala qui avait admis la révision de telles clauses, ainsi que du projet Terré qui avait conféré un caractère facultatif à la sanction.
Contra : v. Mekki M., « Les juges et les remèdes à l’inexécution du contrat », RDC juin 2016, n° 113f6, p. 400.
Contra : v. Revet T., « Le juge et la révision du contrat », RDC juin 2016, n° 113g6, p. 373.
Sur les contrôles de nature économique et financière que la mise à l’honneur de l’équilibre contractuel impose aux juges, v. not. Barbier H., « Les grands mouvements du droit commun des contrats après l’ordonnance du 10 février 2016 », préc.
C. civ., art. 1171. Sur ce nouveau droit des contrats à deux vitesses, v. not. Revet T., « Une philosophie générale ? », RDC avr. 2016, n° 112y5, p. 5, hors-série.
Sur cette évolution, v. not. Brochier M., « Les nouveaux rôles du juge dans l’inexécution du contrat », Dr. & patr. juin 2016, n° 259, p. 44 ; Mekki M., « Les juges et les remèdes à l’inexécution du contrat », préc.
Pour différents points de vue doctrinaux, v. not. Chantepie G., « L’application dans le temps de la réforme du droit des contrats », AJCA 2016, p. 412 ; François C., « Application dans le temps et incidence sur la jurisprudence antérieure de l’ordonnance de réforme du droit des contrats », D. 2016, p. 506 ; Gaudemet S., « Dits et non-dits sur l’application dans le temps de l’ordonnance du 10 février 2016 », JCP 2016, p. 958 ; Molfessis N., « Synthèse sur la mise en œuvre de la réforme du droit des contrats », JCP E 2016, 1377.
Cass. 3e civ., 23 mars 1977, n° 75-14708 : Bull. civ. III, n° 151.
Cass. 3e civ., 15 déc. 1993, n° 91-10199 : Bull. civ. III, n° 174.
Cass. 3e civ., 10 févr. 2010, n° 08-21656 : Bull. civ. III, n° 41.
V. not. Balat N., Essai sur le droit commun, 2016, LGDJ ; Chagny M., Droit de la concurrence et droit commun des obligations, 2004, Dalloz ; Chagny M., « Droit commun et droit des contrats spéciaux », RLDA juill. 2016, hors-série, p. 9 ; Goldie-Genicon C., Contribution à l’étude des rapports entre le droit commun et le droit spécial des contrats, 2009, LGDJ.
V. not. Béhar-Touchais M., « Le déséquilibre significatif dans le Code civil », JCP 2016, p. 391 ; Chagny M., « Les contrats d’affaires à l’épreuve des nouvelles règles sur l’abus de l’état de dépendance et le déséquilibre significatif », AJCA 2016, p. 115 ; Deshayes O., « La formation des contrats », RDC avr. 2016, n° 112z6, p. 28, hors-série ; Fenouillet D., « Le juge et les clauses abusives », RDC juin 2016, n° 113h2, p. 358 ; Lagarde X., « Questions autour de l’article 1171 du Code civil », D. 2016, p. 2147.
V. dans ce dossier, les contributions de Champ V., Herrnberger O., Pihéry R. et Thaumiaux J.-L.
C. civ., art. 1110, al. 2.
La responsabilité civile de l’auteur de la clause et la nullité de celle-ci ne sont certes pas incompatibles, mais la sanction du Code civil peut-elle être admise entre partenaires commerciaux alors que l’article L. 442-6, III, du Code de commerce réserve le droit de faire constater la nullité des clauses au ministre chargé de l’Économie et au ministère public ?
Force obligatoire du contrat et efficacité économique des contrats d’affaires versus loyauté et justice contractuelles.
C. com., art. L. 442-6, III, al. 5, et C. com., art. D. 442-3.
V. infra n° 21.
V. supra n° 3.
Ce, malgré la suppression des notions de bonnes mœurs et de cause et l’absence de référence aux droits et libertés fondamentaux comme bornes à la liberté contractuelle, ainsi qu’à l’état de nécessité dans le nouveau vice de violence, que le projet d’ordonnance du 25 février 2015 avait au contraire visés.
Sur lesquels, v. not. Blanc N., « Le juge et les standards juridiques », RDC juin 2016, n° 113f5, p. 394.
Cass. com., 22 oct. 1996, n° 93-18632 : Bull. civ. IV, n° 261 – Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11841 : Bull. civ. IV, n° 115.
Cass. com., 10 juill. 2007, n° 06-14768 : Bull. civ. IV, n° 188.
C. civ., art. 1116, 1117, 1123, 1158, 1195, 1211, 1222, 1226 et 1231.
V. Viney F., « L’expansion du “raisonnable” dans la réforme du droit des obligations : un usage déraisonnable ? », D. 2016, p. 1940.
V. Fédou J.-F., « Le juge et la révision du contrat », RDC juin 2016, n° 113f2, p. 382 ; Revet T., « Le juge et la révision du contrat », RDC juin 2016, n° 113g6, p. 373.
Ibid.
V. not. Mekki M., « Réforme des contrats et des obligations : la promesse unilatérale de contrat », JCP N 2016, p. 5 et « Réforme des contrats et des obligations : le pacte de préférence », JCP N 2016, p. 9.
Sur ces difficultés, v. Etienney-de Sainte-Marie A., « Les principes, les directives et les clauses relatives à l’interprétation », RDC juin 2016, n° 113e5, p. 384.
Pour d’autres illustrations, v. not. Barbier H., « Les grands mouvements du droit commun des contrats après l’ordonnance du 10 février 2016 », préc. ; Peres C., « Règles impératives et supplétives dans le nouveau droit des contrats », JCP G 2016, p. 770.
Cass. 3e civ., 3 nov. 2011, n° 10-26203 : Bull. civ. III, n° 178.
V. supra n° 20.
Proposition de règlement relatif à un droit commun européen de la vente du 11 octobre 2011 : « un comportement caractérisé par l’honnêteté, la franchise, et la prise en considération des intérêts de l’autre partie à la transaction ou à la relation en question ».
V. supra n° 21.
V. not. Fenouillet D., « Le juge et les clauses abusives », préc. ; Mekki M., « Fiche pratique sur les clauses abusives : quel modus operandi pour les professionnels du droit ? », Gaz. Pal. 10 mai 2016, n° 262w2, p. 11.
V. supra n° 24.
Jean-Jacques Urvoas, compte-rendu du conseil des ministres, 10 févr. 2016.
C. civ., art. 1102, C. civ., art. 1103 et C. civ., art. 1104.
Aynès L., « Le juge et le contrat : nouveaux rôles ? », RDC avr. 2016, n° 112z2, p. 14, hors-série ; Blanc N., « Le juge et les standards juridiques », préc.
Sturlèse B., « Le juge et les standards juridiques », RDC juin 2016, n° 113h1, p. 398.
V. Amrani-Mekki S., Haeri K. et Vert F., « Gérer le contentieux en évitant le juge », JCP E 2016, p. 37.
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