L'application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours
L’application de la loi dans le temps de la réforme du droit des contrats peut être source de difficultés. Si le législateur a anticipé la question, c’est sans compter le pouvoir du juge en ce domaine. L’arrêt rendu le 9 février 2017 offre à cet égard l’occasion d’une réflexion par analogie.
Cass. 3e civ., 9 févr. 2017, n° 16-10350
À l’heure où est désormais entrée en vigueur la réforme du droit des contrats issue de l’ordonnance du 10 février 2016, l’arrêt rendu le 9 février 2017 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation1 invite à une réflexion plus large quant à l’application de la loi nouvelle au contrat en cours. En l’espèce, une société avait, en février 2007, donné à bail à une autre société, deux appartements dans le cadre de l’exploitation d’une résidence de tourisme. Le 26 septembre 2012, la preneuse donne congé pour le 1er juillet 2013, à l’expiration de la deuxième période triennale. La société bailleresse assigne alors le preneur en nullité du congé. La cour d’appel la déboute : l’article L. 145-7-1 du Code de commerce issu de la loi du 22 juillet 2009, qui empêche effectivement toute résiliation unilatérale à l’issue de la période triennale en ce qui concerne l’exploitant d’une résidence de tourisme, n’est pas applicable au contrat en cours lors de l’entrée en vigueur (le 25 juillet 2009) ;[...]
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Cass. 3e civ., 9 févr. 2017, n° 16-10350, FS+P+B+I.
La notion d’ordre public « englobe tous les principes et toutes les règles, que le législateur juge essentiels pour le bon ordre de la société, et qui, de ce fait, s’imposent au respect de tous » (Aubert J.-L., Savaux E., Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 16e éd., 2016, Sirey, n° 101).
Marty G., Raynaud P., Droit civil. t. 1. Introduction générale à l’étude du droit, 2e éd., 1972, Sirey, n° 108.
Cornu G., Droit civil. Introduction au droit, 13e éd., 2007, Montchrestien, n° 338.
Bonneau T., La Cour de cassation et l’application de la loi dans le temps, préf. Gobert M., 1990, PUF, n° 180.
Cass. 1re civ., 17 mars 1998, n° 96-12183 : Bull. civ. I, n° 115 ; RTD civ. 1999, p. 378, obs. Mestre J., qui casse, au visa notamment de l’article 2 du Code civil, l’arrêt d’appel qui s’était fondé sur le caractère d’ordre public de la disposition nouvelle pour justifier de son application immédiate au contrat en cours : « Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans caractériser les raisons d’une application immédiate de la loi que sa nature d’ordre public ne pouvait à elle seule justifier, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». V. égal. Bonneau T., op. cit., nos 178 et s.
Cass. com., 3 mars 2009, n° 07-16527 : Bull. civ. IV, n° 31.
Cass. 1re civ., 4 déc. 2001, n° 98-18411 : Bull. civ. I, n° 307.
Lardeux G., « Le droit transitoire entre concepts classiques et impératifs nouveaux », D. 2009, p. 1450.
Aubert J.-L., Savaux E., op. cit., n° 110.
Mazeaud H., Mazeaud L., Mazeaud J. et Chabas F., Leçons de droit civil, t. 1, 1er vol., Introduction à l’étude du droit, 12e éd., par Chabas F., 2000, Montchrestien, n° 148 : les situations contractuelles qui étaient en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle « tomberont parfois sous son empire, lorsqu’elle aura été dictée au législateur par des motifs impérieux d’ordre public. Ici la sécurité des particuliers cède devant l’intérêt social ».
Cass. soc., 20 mars 1952 : D. 1952, p. 453.
Cass. 1reciv., 4 déc. 2001, op. cit.
Rouquet Y., « Résidence de tourisme : la durée incompressible de neuf ans vaut pour les baux en cours », Dalloz actu., 13 févr. 2017.
Malaurie P. et Morvan P., Introduction au droit, 6e éd., 2016, LGDJ, n° 310.
Rapp. annuel de la Cour de cassation, Le temps dans la jurisprudence de la Cour de cassation, 2014, La Documentation française, p. 331.
Bonneau T., op. cit., nos 190 et 191 bis.
Cass. avis, 16 févr. 2015, n° 15002 – Adde Cass. 3e civ., 17 nov. 2016, n° 15-24552 : « Attendu que la loi nouvelle régissant immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, il en résulte que la majoration prévue par l’article 22 de la loi du 6 juillet 1989 modifié par la loi du 24 mars 2014 s’applique à la demande de restitution formée après l’entrée en vigueur de cette dernière loi ».
La question diffère donc de celle de l’influence du droit nouveau sur les décisions des juges relatives aux contrats en cours, ou dit autrement de celle du « phénomène classique d’éclairage rétroactif des nouveaux textes » (Bénabent A., Droit des obligations, 15e éd., 2016, Montchrestien, n° 10). Pour une illustration récente : Cass. ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20411.
Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, JORF n° 0035 du 11 février 2016. V. Gaudemet S., « Dits et non-dits sur l’application dans le temps de l’ordonnance du 10 février 2016 », JCP G 2016, 559.
Roubier P., Le droit transitoire. Conflit de lois dans le temps, 2e éd., 1960, Sirey, rééd. 2008, Dalloz.
En ce sens, Gaudemet S., op. cit. Adde Molfessis N., « Synthèse. Sur la mise en œuvre de la réforme du droit des contrats », JCP E 2016, 1377, spéc. n° 5 ; Mekki M., « Contrats préparatoires : principes et clauses contractuelles. Nouveaux textes, nouveaux temps », JCP N 2016, 1112, spéc. n° 18.
Mainguy D., « Pour l’entrée en vigueur immédiate des règles nouvelles du droit des contrats », D. 2016, p. 1762, n° 6.
Ibid.
V. supra.
Bonneau T., op. cit., nos 131 et s ; Aubert J.-L. et Savaux E., op. cit., n° 110.
En ce sens, Usunier L., « Questions de méthodologie. Réforme du droit commun des contrats et détermination de la loi applicable au contrat », RLDA 2016/5 : « il convient d’abord de relever que les dispositions relatives à la validité du contrat, par exemple l’article 1143 relatif à l’abus de dépendance ou l’article 1171 relatif aux clauses abusives, ne devraient en aucun cas pouvoir être appliquées aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la réforme, car il y aurait là, non pas seulement une application immédiate de ces textes nouveaux aux contrats en cours, mais une application rétroactive de ces dispositions. Or la jurisprudence n’a pas le pouvoir de déroger au principe de non-rétroactivité en l’absence de dérogation légale expresse, quand bien même la loi nouvelle serait d’ordre public ».
Ce qui serait d’ailleurs d’autant plus problématique que la sécurité juridique est précisément un des principaux objectifs du législateur dans la réforme du droit des contrats, à suivre le rapport au président de la République.
Puisque l’article 1112-1 prévoit, en son dernier alinéa, que la nullité s’entend « dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants » du Code civil, c’est-à-dire dans le paragraphe dédié aux vices du consentement.
Marty G. et Raynaud P., op. cit., nos 106 et s.
En ce sens, à propos de l’hypothèse inverse où la loi nouvelle validerait un acte nul sur le fondement de la loi antérieure, Grimaldi M., « Les donations déguisées entre époux faites avant le 1er janvier 2005 restent nulles », RTD civ. 2009, p. 764 : « si le législateur veut que sa réforme valide des actes nuls au regard du droit antérieur, il doit le dire. S’il ne dit rien, la non-rétroactivité s’impose au juge ».
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