Précisions sur les effets de la cession Dailly (et construction d'un droit commun des sûretés sur créances ?)
Plus de 30 ans après sa création par la loi du 2 janvier 1981, la cession Dailly, « reine » des sûretés sur créances, n’a pas encore livré tous ses secrets. Le présent arrêt est important à un double titre. Non seulement il précise la portée de l’énigmatique « garantie solidaire » à laquelle est tenu le cédant envers le cessionnaire, mais il aborde également la question essentielle de l’effet du paiement reçu par le bénéficiaire de la sûreté, au titre de la créance cédée, avant l’échéance de l’obligation garantie.
Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-13784
1. En l’espèce, deux sociétés avaient cédé plusieurs créances à titre de garantie au profit d’une banque, selon les formalités des articles L. 313-23 et suivants du Code monétaire et financier, c’est-à-dire par voie de bordereau Dailly. Les sociétés cédantes firent par la suite l’objet d’une procédure unique de redressement puis de liquidation judiciaires, dans laquelle la banque créancière se trouvait tenue de déclarer ses droits (C. com., art. L. 622-24). La difficulté ne portait pas ici sur la personne ayant qualité à effectuer cette déclaration, mais sur le contenu de celle-ci. Aucune hésitation ne semblait a priori permise, dès lors que l’article L. 622-25 du Code de commerce dispose que : « La déclaration porte le montant de la créance due au jour du jugement d’ouverture avec indication des sommes[...]
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Cass. com., 20 mars 2001, n° 98-13961 : Bull. civ. IV, n° 61 ; D. 2001, p. 1245, obs. A. Lienhard ; D. 2002, p. 1482, obs. A. Honorat ; JCP E 2001, 1674, 2e esp., note M. Behar-Touchais ; RTD civ. 2002, p. 805, obs. J. Mestre et B. Fages : chaque créancier peut déclarer ses droits pour le montant total de la créance.
C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, Montchrestien, 9e éd., 2014, n° 756 : « Si le créancier a touché un dividende dans une procédure (…) il peut déclarer l’intégralité de sa créance dans les autres procédures. »
C’est d’ailleurs à la faveur d’un rapprochement avec la solidarité que la Cour de cassation a pu affirmer la conformité du mécanisme des « parallel debts » à l’ordre public français, au motif qu’il ne permet pas un double paiement (v. L. d’Avout et N. Borga, note sous Cass. com., 13 sept. 2011, n° 10-25533 : D. 2011, p. 2518, spéc. I, B).
Cass. com., 4 déc. 2001, n° 98-17052 : Bull. civ. IV, n° 192 ; RTD com. 2002, p. 142, obs. M. Cabrillac ; Rev. proc. coll. 2002, p. 94, n° 5, obs. F. Legrand – v. égal. Cass. com., 26 mars 2002, n° 99-17917 : le cédant et ses cautions sont « tenus des mêmes obligations que le débiteur cédé. »
En ce sens, R. Marty, obs. sous Cass. com., 5 juin 2012, n° 11-18210 : JCP E 2012, 1560. On ne voit d’ailleurs pas très bien pourquoi une cession de créance instaurerait, entre cédant et cédé, les relations particulières qui découlent habituellement de la solidarité, telle que la garantie mutuelle des coobligés prévue à l’art. 1214 du Code civil (v. Ord. 2016-131 du 10 févr. 2016, art. 1317, al. 3, nouv.). Ainsi, lorsque la créance cédée pèse solidairement sur deux débiteurs, va-t-on permettre au solvens de faire supporter une part de l’insolvabilité de son codébiteur à son ancien créancier, au motif que celui-ci a transmis son droit à un tiers ?
Dans la mesure où le cédant-garant solidaire n’est tenu à aucune contribution à la dette, aucune extinction par confusion n’est à craindre (arg. C. civ., art. 1301, al. 3 ; Ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016, art. 1349-1 nouv.). On sait en outre que la confusion ne préjudicie pas aux droits acquis par les tiers sur la créance (v. à propos d’un usufruit, Cass. civ., 10 déc. 1838 : DP 1839, I, p. 179 ; S. 1839, 1, p. 133).
Cass. com., 18 sept. 2007, n° 06-13736 : Bull. civ. IV, n° 197 ; RD bancaire et fin. 2007, comm. 44, obs. F.-J. Crédot et T. Samin ; RTD com. 2007, p. 821, obs. D. Legeais ; JCP E 2007, 2377, n° 40, obs. J. Stoufflet : « si le cessionnaire d’une créance professionnelle qui a notifié la cession en application de l’article L. 313-28 du Code monétaire et financier bénéficie d’un recours en garantie contre le cédant, garant solidaire, sans avoir à justifier préalablement d’une poursuite judiciaire contre le débiteur cédé ou même de sa mise en demeure, il est cependant tenu de justifier d’une demande amiable adressée à ce débiteur ou de la survenance d’un événement rendant impossible le paiement. »
Encore que la clause contraire soit admise par la jurisprudence, v. Cass. com., 5 juin 2012, n° 11-18210 : Bull. civ. IV, n° 112 ; JCP E 2012, 1560, note R. Marty : « la société cédante (…) s’interdisait d’exiger de la banque l’accomplissement d’une formalité quelconque ou une intervention de quelque nature que ce soit auprès du débiteur cédé. »
Cass. com., 1er févr. 2011, n° 09-73000 : JCP E 2011, 1394, n° 3, obs. J. Stoufflet ; D. 2011, p. 509, obs. X. Delpech ; RTD com. 2011, p. 394, obs. D. Legeais ; D. 2012, p. 1913, obs. D. R. Martin : « la garantie, à laquelle le cédant est tenu lors du paiement en application de l’alinéa 2 de ce texte, porte non seulement sur la solvabilité du débiteur cédé mais également sur l’existence de la créance cédée. »
X. Delpech, obs. sous Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-13724 : Dalloz actualités 31 juill. 2015.
D. Legeais, Les garanties conventionnelles sur créances, préf. P. Rémy, thèse Poitiers, Economica, 1986, n° 423 : « Dans cette dernière hypothèse, en effet, le remettant est tenu à titre principal. Il ne saurait donc être considéré comme un garant. » Rappr. R. Bonhomme, note sous Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-13724 : LPA 11 sept. 2015, p. 15 : « La solution choisie par la Cour conduit à la négation, de principe, de la garantie du cédant lorsque la cession Dailly a été consentie en garantie de crédits sous-jacents. L’article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier serait, de fait, réservé exclusivement à la cession-escompte. » La distinction entre cession en garantie et escompte est cependant réduite depuis que la jurisprudence reconnaît à l’escompteur un recours personnel contre le remettant (Cass. com., 30 janv. 1996, n° 94-12885 : Bull. civ. IV, n° 27 ; D. 1996, jur. p. 320, note J.-L. Rives-Lange ; RTD com. 1996, p. 302, obs. M. Cabrillac).
Ce texte déroge au droit commun de la cession de créance, dans lequel le cédant n’est garant que de l’existence de la créance, mais non de son paiement (C. civ., art. 1693 ; v. égal. Ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016, art. 1326 nouv.).
Rappr. N. Borga, obs. sous Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-13724 : LEDEN sept. 2015, p. 2 : « Juridiquement, l’analyse [de la Cour de cassation] est probablement discutable dans la mesure où les deux créances n’ont pas la même source, l’une est d’origine contractuelle et l’autre légale, et que leur recouvrement pourrait s’effectuer dans des conditions différentes. » V. égal. R. Bonhomme, note précitée sous Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-13724 : « La garantie du cédant est une garantie abstraite de l’existence et du paiement de la dette du cédé, qui n’adopte même pas les caractères de la dette du cédé sauf son montant, pas plus que les caractères du crédit garanti. »
Cela ressort très nettement des textes relatifs au nantissement de créance de droit commun (v. C. civ., art. 2364 qui évoque la perception du paiement lorsque la créance nantie arrive à échéance avant la créance garantie). En matière de cession Dailly, l’article L. 313-28 du Code monétaire et financier ne subordonne aucunement la notification ou le paiement entre les mains du cessionnaire à l’exigibilité de la créance garantie.
Le cédant apparaît alors comme un débiteur ayant promis une garantie à son créancier et se trouvant tenu de la lui fournir, un peu à la manière dont le constituant d’un gage avec dépossession souscrit l’obligation de remettre la chose à son créancier (à cette différence près qu’ici, cette obligation n’a vocation à s’exécuter qu’en cas de défaut de paiement de la créance cédée). Cette explication permettrait d’identifier une obligation propre pesant sur le cédant, au titre du contrat de sûreté, rendant ainsi inutile l’affirmation selon laquelle le cédant est tenu « des mêmes obligations que le débiteur cédé » (v. supra, n° 5).
Comp. R. Bonhomme, note précitée sous Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-13724, qui relève que la Cour de cassation est parfois plus souple : « La caution (…) peut ajouter sa déclaration personnelle à la déclaration du créancier dont elle va bénéficier à titre subrogatoire : elle a bien deux actions contre le débiteur principal, qui n’ont pas la même nature, un recours personnel et un recours subrogatoire pas nécessairement assortis des mêmes caractéristiques ; cela dit, la caution ne déclare pas pour autant deux créances distinctes. »
En ce sens, v. D. Legeais, obs. sous Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-13724 : Lettre d’actualité des procédures collectives civiles et commerciales n° 14, sept. 2015, repère 216 ; C. Coupet, note sous Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-13724 : JCP G 2015, 1095, spéc. II.
Cass. com., 18 nov. 2014, n° 13-13336 : Bull. civ. IV, n° 168 ; JCP E 2015, 1101, note R. Marty ; Gaz. Pal. 17 mars 2015, n° 76, p. 23, obs. S. Moreil ; RTD civ. 2015, p. 185, obs. P. Crocq ; RD bancaire et fin. 2015, comm. 33, obs. F.-J. Crédot et T. Samin ; RDC 2015, p. 516, note M. Julienne.
Si l’on admet que le cessionnaire est propriétaire des sommes, on ne voit pas à quel titre il serait exposé au concours d’autres créanciers.
V. not. M. Vasseur, « L’application de la loi Dailly : escompte ? Cession de créance en propriété à titre de garantie ? Ou bien l’un ou l’autre suivant les cas ? » : D. 1982, chr. p. 273. Comp. D. Legeais, Les garanties conventionnelles sur créances, op. cit., n° 428 et s.
Rappr. C. Coupet, note précitée sous Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-13724, spéc. II : « Cette motivation incite à distinguer la cession à titre de garantie des autres types de cessions de créances professionnelles », notamment la cession-paiement ou la cession-escompte.
R. Bonhomme, note précitée sous Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-13724 : « Le cessionnaire continue à détenir les sommes encaissées, à titre de garantie. Mais alors, l’encaissement modifie nécessairement la nature de la garantie : il provoque sa mutation en gage-espèces ou en nantissement de l’article 2364 du Code civil. » Par où l’on retrouve le lien, évoqué plus haut, entre les garanties sur créances et les garanties sur la monnaie (v. supra, n° 7).
Comp. en matière de subrogation ex parte debitoris, la loi veillant à ce que le créancier ne soit pas privé de ses intérêts contre son gré, v. Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016 ; C. civ., art. 1346-1, al. 2, nouv. : « La subrogation peut être consentie sans le concours du créancier, mais à la condition que la dette soit échue ou que le terme soit en faveur du débiteur. »
En ce sens, R. Bonhomme, note précitée sous Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-13724 : « À partir du moment où le cessionnaire encaisse les sommes (…) il se rembourse, en tout ou en partie, du montant qui lui est dû par le cédant. Il en irait autrement si les sommes avaient été reçues avant l’exigibilité de la créance garantie : le créancier n’étant pas tenu de recevoir un paiement avant échéance, il pourrait conserver sa créance intacte, au moins jusqu’à son exigibilité. »
A. Gouëzel, La subsidiarité en droit privé, préf. P. Crocq, thèse Paris II, Economica, 2012, n° 480, spéc. note 1 : « La réalisation de la sûreté reste subsidiaire puisque le créancier ne deviendra définitivement propriétaire des sommes qu’après que la défaillance du débiteur aura été constatée. »
C’était peut-être le cas en l’espèce. Les motifs de l’arrêt d’appel indiquent en effet que : « À défaut d’autres éléments d’imputation, le solde des paiements susvisés, vu l’article 1256 du Code civil, sera imputé sur les dettes les plus anciennes, soit celles de la SARL X échues au 3 juillet 2008, et sur celles au titre du compte courant et du prêt car il s’agit là de créances exigibles alors que celles pour les engagements de caution sont des créances futures restant éventuelles. »
Cette distinction est transposable à la fiducie nommée portant sur une créance. Si le fiduciaire notifie la cession (C. civ., art. 2018-2), les sommes reçues devraient demeurer dans le patrimoine fiduciaire en attendant le dénouement de l’opération. Ce n’est qu’à ce moment que s’opérera la réalisation de la sûreté, lorsque le bénéficiaire acquerra « la libre disposition du bien ou du droit cédé à titre de garantie » (C. civ., art. 2372-3). Si le bénéficiaire n’est pas lui-même fiduciaire, il pourra alors exiger la remise de la somme (C. civ., art. 2372-3, al. 2).
La formule selon laquelle les paiements « restent acquis [au créancier] tant que les créances garanties par cette cession ne sont pas payées, l’excédent éventuel n’étant restitué qu’après ce paiement », est très proche de l’article 2364 du Code civil : « (…) le créancier nanti les conserve à titre de garantie (…) à charge pour lui de les restituer si l’obligation garantie est exécutée. »
De nombreux arrêts affirment que l’encaissement des sommes « vaut réalisation » de la sûreté et confère un « droit définitif » sur les sommes, sans rien préciser de l’échéance du crédit (ex. : Cass. com., 19 mars 1974, n° 72-13743 : Bull. civ. IV, n° 99 – Cass. com., 23 mai 1978, n° 76-13678 : Bull. civ. IV, n° 148).
J. Boulanger, Bull. soc., ét. lég. 1938, p. 241 : « On peut certes objecter que, dans cette hypothèse le créancier gagiste bénéficie d’un paiement anticipé. C’est vrai, mais, comme par hypothèse, une constitution de gage a eu lieu, le titulaire de la créance engagée ne pourrait pas davantage recevoir le paiement. »
Comp. la rédaction plus neutre de l’article 2389 nouveau du Code civil (réd. issue de Ord. n° 2006-346, 23 mars 2006), qui ne fixe pas le moment auquel a lieu l’imputation : « Le créancier perçoit les fruits de l’immeuble affecté en garantie à charge de les imputer sur les intérêts, s’il en est dû, et subsidiairement sur le capital de la dette. »
Ex. G. Loiseau, « Le nantissement de films cinématographiques » : Dr. et patr. 2002, n° 106, p. 66 et s. spéc. III : la sûreté « permet au créancier de percevoir directement les recettes des distributeurs ou des exploitants de salles, sans même attendre l’échéance de sa propre créance. Les recettes s’imputant alors sur le montant de cette créance, le mécanisme a l’avantage de pallier le risque d’une diminution de la valeur du film objet du nantissement au fur et à mesure de l’exploitation. La valeur de la garantie initiale est ainsi compensée par une réduction progressive de la créance à mesure des recettes encaissées. »
Dig. 13, 7, 18 (Paul) et Dig. 20, 1, 13, § 2 (Marcien) : ces deux fragments ne prévoient la conservation de l’objet payé à titre de sûreté (pignoris loco) que lorsqu’il s’agit d’un bien autre que de l’argent.
Rappr. P. Delebecque, « Les sûretés sur créances monétaires », in Mélanges Yves Chaput, LexisNexis, 2014, p. 85, n° 5 : le droit positif connaît deux techniques, « celle du nantissement et celle de la cession fiduciaire. Il est alors permis de se demander si ces sûretés à trois personnes obéissent à des règles communes, si un droit commun de ces sûretés est établi, sinon concevable. En considérant l’assiette, il est certain que des solutions communes peuvent être dégagées. »
V. C. com., art. L. 521-1, al. 4 : « Il n’est pas dérogé aux dispositions des articles 2355 à 2366 du Code civil en ce qui concerne les créances mobilières. »
L’article 107 du Code des marchés publics prévoit que : « [L]e bénéficiaire encaisse seul, à compter de cette notification ou signification au comptable, le montant de la créance ou de la part de créance qui lui a été cédée ou donnée en nantissement. » Mais il ne prévoit rien quant aux suites de ce paiement.
Pour une application récente, v. Cass. com., 23 oct. 2012, n° 11-23599 : Bull. civ. IV, n° 191 ; JCP G 2013, 585, n° 18, obs. P. Delebecque ; Dr. et patr. 2013, n° 222, p. 92, obs. P. Dupichot.
Si l’immeuble est déjà loué au jour de la constitution de la sûreté, le créancier doit simplement « notifier son droit au locataire antérieur » (C. Mouly, J.-Cl. Civil, V° « Antichrèse », art. 2085 à 2091, 1992, n° 68), ce qui n’est pas sans évoquer l’article 2362 du Code civil.
P. Crocq, obs. sous Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-13724 : RTD civ. 2015, p. 666, in fine.
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