Quand la Cour de justice explique comment conclure un accord de licence sur un brevet essentiel
La Cour précise les obligations du titulaire d’un brevet essentiel qui s’est engagé à consentir une licence dite FRAND, et indique à quelles conditions l’action en contrefaçon engagée à l’encontre d’un opérateur qui n’a pas obtenu de licence peut être jugée abusive.
CJUE, 16 juill. 2015, n° C-170/13
Le contexte juridique et factuel. – Le développement des nouvelles technologies implique l’utilisation de multiples normes techniques. Certains brevets sont qualifiés d’essentiels (brevets essentiels à une norme [BEN]), ce qui signifie qu’il n’est pas possible pour une entreprise de fabriquer un bien conforme à une norme sans mettre en œuvre le procédé breveté. Pour éviter que le titulaire de tels brevets ne se réserve un monopole sur la production des biens conformes à la norme, il s’engage à accorder des licences à des tiers à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, dites FRAND (« Fair, Reasonable And Non-Discriminatory »). Cette manière de procéder est notamment adoptée en Europe par le European Telecommunications Standards Institute (ETSI), qui est l’organisme européen chargé d’adopter les normes techniques en matière de télécommunications.
En l’espèce, l’affaire trouve son origine dans une action en contrefaçon intentée par une entreprise chinoise, Huawei, à l’encontre d’une entreprise européenne, ZTE, devant une juridiction allemande. Le brevet prétendument[...]
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Concl. av. gén. M. Wathelet, sous CJUE, 20 nov. 2014, n° C-170/13, Huawei Technologies Co. Ltd. c/ ZTE, pt 7.
J. Buhart, « Les normes privées et le droit de la concurrence, L’affaire Nokia c/ Qualcomm » : RRJ 2011, n° 25 (Colloque « Les normes privées internationales », Aix-Marseille Université, 10 juin 2011).
CJCE, 5 oct. 1988, n° 238/87, AB Volvo c/ Erik Veng (UK) Ltd.
CJCE, 29 avr. 2004, n° C-418/01, IMS Health GmbH & Co. OHG c/ NDC Health GmbH & Co. KG.
CJCE, 6 avr. 1995, nos C‑241/91 P et C‑242/91 P, RTE et ITP c/ Commission.
CJUE, 20 nov. 2014, n° C-170/13, Huawei Technologies Co. Ltd. c/ ZTE, préc., pt 48, et concl. av. gén. M. Wathelet précitées, pt 70.
Communiqué de presse Comm. UE n° IP/ 12/1448, MEMO/12/1021, 21 déc. 2012.
Résumé de la décision de la Commission du 29 avril 2014 relative à une procédure d’application de l’article 102 du TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE (aff. AT.39939 – Samsung – Respect des brevets essentiels pour la norme UMTS) : JOUE 4 oct. 2014, n° C 350 ; adde : Communiqué de presse Comm. UE n° IP/14/490, MEMO/14/322, 29 avr. 2014. Les engagements initiaux consistaient principalement en une renonciation à engager toute action en cessation à l’encontre d’une entreprise demandant à bénéficier de licences et à la mise en place d’un cadre global de négociation, limitant la durée d’examen à 12 mois et laissant à un tiers indépendant le soin de fixer les conditions de licence (v. F. Marty : Concurrences n° 1-2014, p. 67). Les modifications portent sur les conditions de licence elles-mêmes (durée de cinq ans, par exemple), sur la prohibition de tout conditionnement de la licence à l’octroi de licences croisées, sur le recours à l’arbitrage pour gérer d’éventuels différends liés au tiers désigné pour déterminer les conditions d’octroi des licences, les éventuelles sentences arbitrales devant être publiées.
Résumé de la décision de la Commission du 29 avril 2014 relative à une procédure d’application de l’article 102 du TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE (aff. AT.39985 – Motorola – Respect des brevets essentiels pour la norme GPRS) : JOUE 2 oct. 2014, n° C 344.
Concl. av. gén. M. Wathelet précitées, pt 31.
Ibid., pt 47.
Ibid., pt 81.
V. not. en français, A.-L. Sibony : Concurrences n° 4-2015, p. 120 ; L. Idot : Europe 2015, comm. 374 ; C. Caron : Comm. com. électr. 2015, comm. n° 65 ; A. Latil : JCP E 2015, n° 39, 1454 ; en anglais, N. Banasevic, « The Implications of the Court of Justice’s Huawei/ZTE Judgment » : Journal of European Competition Law & Practice (2015) vol. 6, n° 7, p. 463.
V. not. les références citées in L. Idot, « Le droit de la concurrence et les normes privées » : RRJ 2011, n° 25 (Colloque « Les normes privées internationales », Aix-Marseille Université, 10 juin 2011), et J. Buhart, « Les normes privées et le droit de la concurrence, L’affaire Nokia c/ Qualcomm », préc. ; sur les pratiques dites de « hold-up », v. not. N. Petit, Droit européen de la concurrence, LGDJ, coll. Précis Domat, 2013, nos 925 et s., ainsi que F. Lévêque, « La normalisation et le droit de la concurrence face au hold-up » : RLC 2007/12, p. 883.
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