La compensation à l'épreuve des régimes communautaires
La Cour de cassation aborde la délicate question de l’appréciation de la condition de réciprocité dans les rapports entre époux communs en biens. Elle refuse le jeu de la compensation légale entre la créance d’un des époux envers un tiers, et la dette de son conjoint envers ce même tiers, quand bien même cette créance et cette dette pourraient être qualifiées de communes. Fruit de l’absence de personnalité juridique de la communauté, cette solution n’en laisse pas moins perplexe si on s’attache au gage du tiers créancier.
Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, n° 14-14003
Comment apprécier la condition de réciprocité, nécessaire à la compensation légale, dans les rapports entre deux époux communs en biens ? L’interférence d’un actif et d’un passif commun infléchit-elle cette appréciation ? Autorise-t-elle, en particulier, le jeu de la compensation entre la créance d’un des époux envers un tiers, qui entre en communauté, et la dette contractée par son conjoint, envers ce même tiers, si cette dette relève du passif commun ? C’est à cette difficile question que répond un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 25 novembre 2015. Deux époux étaient, en l’espèce, mariés sous le régime de la communauté universelle. L’époux, médecin, avait été exclu de la société civile professionnelle de gynécologues-obstétriciens dans laquelle il était associé. Ses[...]
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La réforme projetée du droit des obligations n’apportera, sur ce point, aucun changement, puisqu’elle préserve, à l’identique, la condition de réciprocité, et n’envisage pas particulièrement le sort des créances et des dettes des époux communs en biens.
V. sur cette question, J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, Armand Colin, 2e éd., 2001, nos 690 et s., p. 642 et s. Quelques rares exceptions à cette association au passif existent : c’est le cas par exemple des dettes grevant les biens reçus par succession ou donation qui auraient été exclus de l’actif commun par la volonté du disposant ; ces dettes sont personnelles à l’époux gratifié qui les supporte définitivement, et ne peuvent être payées que sur les biens propres de l’époux gratifié et sur ses revenus.
Sur cette question, v. J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, op. cit., nos 246 et s., p. 235 et s.
Dans le même sens, F. Terré et P. Simler, Les régimes matrimoniaux, Dalloz, 6e éd., 2011, n° 390, note 3.
La dette résultant de la condamnation de l’épouse aurait sans doute relevé du passif propre définitif de l’épouse (C. civ., art. 1417) si les époux avaient été mariés sous le régime légal. Elle aurait donc été propre du point de vue de la contribution, mais commune du point de vue de l’obligation à la dette.
Rappr. F. Terré et P. Simler, Les régimes matrimoniaux, op. cit., n° 390, note 3.
Rappr. Cass. 1re civ., 17 sept. 2003, n° 01-11418, qui décide que « si la compensation ne peut s’opérer qu’entre deux personnes respectivement débitrices l’une de l’autre, l’interposition d’une indivision post-communautaire n’empêche pas la compensation des dettes dont les ex-époux sont redevables l’un envers l’autre » (compensation entre deux créances de restitution des loyers, engendrés par deux ex-immeubles communs, perçus par chacun des ex-époux pendant la période d’indivision post-communautaire). La compensation entre ces deux dettes de l’indivision contre chacun des époux s’explique, en réalité, malgré la division des dettes, dès lors que les époux ont des droits égaux dans l’indivision : chacun des ex-époux est créancier à l’égard de l’autre de la moitié de ce que doit l’autre à l’indivision, ce qui aboutit à une extinction des créances du même montant par compensation.
CA Nîmes, 20 déc. 2001 : Juris-Data, n° 176701 ; JCP G 2003, I, 111, n° 11, obs. P. Simler.
En ce sens, P. Simler, obs. précitées sous CA Nîmes, 20 déc. 2001 ; F. Terré et P. Simler, Les régimes matrimoniaux, op. cit., n° 390, note 3.
La créance ayant vocation à indemniser un préjudice professionnel et à compenser une perte de revenus est certainement commune et le serait aussi sous le régime de la communauté légale.
À l’exception des gains et salaires de l’époux.
Cass. 1re civ., 4 nov. 1982, n° 81-13316 : D. 1983, somm., p. 174, obs. D. Martin. La créance commune était, en l’espèce, une créance d’indemnité due par une compagnie d’assurance à un de ses agents généraux, au titre de commissions diverses, et la dette commune, une dette d’emprunt consentie par la même compagnie d’assurance aux deux époux. La Cour a admis la compensation entre la créance commune due au mari et la dette commune due par la femme, mais elle semble s’appuyer, il est vrai, sur le critère de la contribution à la dette et non sur celui de l’obligation à la dette. Le critère de la compensation consisterait, selon elle, dans cet arrêt « en une exacte coïncidence de la masse bénéficiaire de la créance conjugale et de la masse grevée par la contribution à la dette en sens inverse » (D. Martin, obs. précitées).
V. not. sur cette question, P. Simler, « La compensation », in La réforme du régime général des obligations, Dalloz, 2011, p. 57 et s.
C’est peut-être cette considération qui explique la solution, retenue par la Cour de cassation, selon laquelle, en cas d’acceptation sous bénéfice d’inventaire, il ne peut y avoir compensation entre les dettes de la succession et une créance personnelle de l’héritier (Cass. 1re civ., 2 mai 2001, n° 98-22637 : Bull. civ. I, n° 116 ; RTD civ. 2002, p. 131, obs. J. Patarin). La succession n’a alors, pas plus que la communauté, la personnalité morale. Mais, du fait de la séparation des patrimoines, les créanciers successoraux ne seraient pas autorisés à se payer sur les fonds résultant d’une créance personnelle de l’héritier. La compensation, qui conduirait indirectement à ce résultat, ne peut donc avoir lieu. V. sur ce point, D. R. Martin et L. Andreu, J.-Cl. civil, V° « Contrats et obligations. – Compensation. – Conditions de la compensation », art. 1289 à 1293, n° 24.
La créance appartient, en effet, dans ce cas, en propre au conjoint de son débiteur. En ce sens, v. D. R. Martin et L. Andreu, V° « Contrats et obligations. – Compensation. – Conditions de la compensation », préc., n° 17.
Ibid., n° 17.
Sauf confusion de mobilier (C. civ., art. 1411, al. 2).
Pour paraphraser les propos de D. Martin, in obs. précitées sous Cass. 1re civ., 4 nov. 1982, n° 81-13316.
Sur ce critère, v. P. Simler, « La compensation », préc., p. 60.
Ibid., p. 60, sur cette interrogation, qui répond par la négative, mais utilise le critère du pouvoir d’engagement dans l’hypothèse où le tiers est créancier et débiteur du même époux.
Ibid., p. 61.
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