Le rejet de la mise en œuvre de l'usucapion pour autrui
L’usucapion est un mode originaire d’acquisition que seul peut invoquer celui qui entend revendiquer la propriété d’un bien.
Cass. 3e civ., 5 nov. 2015, n° 14-20845
La présente décision rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation pose une solution, à notre connaissance inédite, aux termes de laquelle seul celui qui entend revendiquer la propriété d’une parcelle peut se prévaloir des règles de la prescription acquisitive.
En l’espèce, suite aux tempêtes de 1999, les rochers d’une falaise se sont éboulés sur le fonds situé en contrebas. Les occupants de ce fonds ont alors recherché la responsabilité du propriétaire de la falaise. Ce dernier a tenté d’échapper à sa responsabilité en invoquant deux arguments.
Il a d’abord soutenu que la falaise était un bien sans maître pour avoir été abandonnée, et qu’en conséquence les victimes de l’éboulement auraient dû diriger leur recours contre la commune du lieu sur laquelle se situe l’immeuble litigieux ou contre l’État1.
Il a ensuite fait valoir le fait que la falaise litigieuse était devenue la propriété d’un tiers, en l’occurrence une association, par le jeu de la prescription acquisitive, et que c’est en conséquence à l’encontre de ce prétendu acquéreur par usucapion que les victimes de l’éboulement devaient diriger leur action en responsabilité.
Ces arguments n’ont pas convaincu les juges du fond ; ils n’ont pas davantage[...]
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C. civ., art. 713 : « Les biens qui n’ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés. (…) Toutefois, la propriété est transférée de plein droit à l’État si la commune renonce à exercer ses droits (…). »
L’article 537 du Code civil prévoit que les particuliers ont la libre disposition de leurs biens. Ainsi, le propriétaire a la possibilité d’abandonner les biens qui lui appartiennent. Toutefois, cet abandon doit être tangible et doit ainsi être corroboré par des actes concrets. De tels actes doivent être appréciés par les juges du fond ; faute pour le propriétaire de la falaise d’avoir apporté la preuve de ces actes devant la cour d’appel, la Cour de cassation ne pouvait que rejeter l’argumentation comme nouvelle, mélangée de fait et de droit. C’est la raison pour laquelle cet aspect de la décision ne retiendra pas davantage notre attention.
Cons. const., 29 juill. 1998, n° 98-403 DC : JO 31 juill. 1998, p. 11710.
J.-L. Bergel, M. Bruschi et S. Cimamonti, in J. Ghestin (dir.), Traité de droit civil, Les biens, LGDJ, 2e éd., 2010, n° 198 ; F. Zénati-Castaing et T. Revet, Droit civil, Les biens, PUF, coll. Droit fondamental, 3e éd., 2008, n° 466 ; F. Terré et P. Simler, Droit civil, Les biens, Dalloz, 9e éd., 2014, n° 482.
Beudant tient à cet égard les propos suivants : « La certitude dans l’assiette des droits est une des conditions essentielles de la liberté civile, laquelle consiste dans la sécurité. Il importe que la sécurité soit assurée ; l’ordre général y est intéressé, car il ne doit souffrir ni la négligence, ni de l’imprudence que telle ou telle personne peut commettre. Un système idéal de la preuve suffirait à assurer la stabilité et la sécurité des droits. Mais, au point de vue pratique, les preuves finissent toujours par disparaître, quelque soin que l’on ait mis à les réunir : les écrits s’égarent ou sont détruits, les témoins disparaissent… Il fallait donc une preuve subsidiaire, pouvant remédier à l’insuffisance des autres : de là la prescription, sur le fondement de laquelle la loi tient pour légitime ce que le temps a consolidé. À défaut d’autres preuves, le temps, sous certaines conditions, consolide les situations et les rend inattaquables. » V. C. Beudant, Cours de droit civil français, t. 4, Les biens, Librairie Rousseau, 2e éd., 1938, n° 753. Adde, à propos de la prescription acquisitive : M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil, t. 3, Les biens, par M. Picard LGDJ, 2e éd., 1952, n° 688 ; W. Dross, Droit civil, Les choses, LGDJ, 2012, n° 268.
C’est même pour cette raison que la prescription acquisitive fut créée à Rome. Baudry-Lacantinerie retrace la création de la prescription acquisitive de la manière suivante : « On sait que, en vue de combler une lacune que présentait l’institution de l’usucapion à Rome, le préteur introduisit la prescription de long temps, longi temporis praescriptio. À la différence de l’usucapion, la praescriptio longi temporis n’était pas un mode d’acquisition de la propriété ; elle engendrait seulement au profit de celui qui était en situation de l’invoquer une exception contre l’action en revendication du propriétaire. Cette exception, à l’origine tout au moins, offrait cette particularité qu’elle figurait en tête de la formule d’action délivrée par le magistrat, elle était prae scripta. D’où le nom de « prescription », que cette institution reçut au début, et qu’elle porte encore dans notre droit actuel, bien que le souvenir de ce détail de procédure soit depuis longtemps effacé. » V. G. Baudry-Lacantenerie, Droit civil, t. 1, Librairie Recueil Sirey, 11e éd., 1912, n° 1375 bis.
C. civ., art. 815-17.
Cass. 1re civ., 14 déc. 1971, n° 67-10577 : Bull. civ. I, n° 315.
C. civ., art. 2255 et 2261.
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