L'usage du fonds dominant et la servitude d'enclave
La servitude d’enclave permet au propriétaire d’un fonds d’obtenir une issue sur la voie publique lorsqu’une telle issue n’existe pas ou qu’elle est insuffisante. Dans la seconde hypothèse, l’état d’enclave doit être apprécié en fonction de l’usage normal du fonds dominant.
Cass. 3e civ., 14 janv. 2016, n° 14-25089
Un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 14 janvier 2016 est l’occasion de revenir sur les conditions d’établissement d’une servitude d’enclave. La décision rappelle que l’état d’enclave peut résulter d’une issue insuffisante sur la voie publique et que cette insuffisance s’apprécie en fonction de l’usage normal du fonds.
En l’espèce, les propriétaires d’un fonds accédaient à leur propriété par le biais d’un chemin appartenant à leur voisin. Lorsque celui-ci a fermé l’accès au chemin, les propriétaires qui l’empruntaient se sont retrouvés dans une situation pour le moins inconfortable ; ils ne pouvaient plus accéder à leur propriété qu’en utilisant un escalier escarpé. Ils ont alors invoqué l’état d’enclave pour retrouver une desserte convenable de leur fonds.
La cour d’appel les a déboutés de leur demande, au motif que le fonds prétendument enclavé était desservi par un escalier et que si l’approche de la maison était impossible en véhicule, l’accès à la propriété restait envisageable moyennant certains[...]
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« Exceptio est strictissimae interpretationis ». Sur cet adage, v. H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, Litec, 4e éd, 1999, n° 125. S’il devait en être autrement, il ne serait plus possible de vérifier que l’exception confirme effectivement la règle (« exceptio firmat regulam »).
Il convient de noter que dans sa rédaction initiale, l’article 682 du Code civil n’envisageait que l’enclave objective, c’est-à-dire l’absence totale d’issue sur la voie publique. Sur l’adjonction de l’enclave relative, v. C. Beudant, Cours de droit civil français, t. 4, Les biens, Librairie Rousseau, 2e éd., 1938, n° 532.
V. en ce sens, Cass. ch. req., 18 févr. 1835 : S. 1835, 1, p. 806 – Cass. 1re civ., 6 janv. 1960 : Bull. civ. I, n° 12 – Cass. 3e civ., 4 oct. 1989, n° 88-12333 : Bull. civ. III, n° 182.
Il convient toutefois de réserver l’hypothèse dans laquelle l’aménagement demandé au propriétaire du fonds qui se plaint de l’état d’enclave ne pourrait être réalisé que moyennant un coût prohibitif ou, à tout le moins, excessif. V. en ce sens, Cass. 3e civ., 4 juin 1971, n° 70-11857 : Bull. civ. III, n° 359. Mais la Cour de cassation veille à ce que les juges du fond effectuent la recherche relative au coût de l’aménagement et censure les décisions qui font droit à la demande d’établissement d’une servitude d’enclave sans avoir procédé à cette vérification. V. en ce sens, Cass. 3e civ., 8 juill. 2009, n° 08-11745 : Bull. civ. III, n° 178. Il reste à s’entendre sur ce qu’il convient de considérer comme un aménagement au coût excessif. On rejoint volontiers la pensée de Planiol et Ripert à ce sujet, qui en adoptent une interprétation stricte. Selon ces auteurs, le coût est excessif lorsqu’il est « d’une valeur hors de proportion avec celle de la propriété [du fonds enclavé]. » V. M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil, t. 3, Les biens, par M. Picard LGDJ, 2e éd., 1952, n° 926.
Rappr. G. Baudry-Lacantinerie, Précis de droit civil, t. 1, Recueil Sirey, 11e éd., 1912, n° 1774 : « Le passage que la loi accorde est un passage de nécessité, et non un passage d’utilité, encore bien moins un passage de commodité ou d’agrément. »
Cass. 3e civ., 28 oct. 1974, n° 73-12270 – Cass. 3e civ., 19 mai 1993, n° 91-14819 : « l’article 682 du Code civil reconnaissant au propriétaire d’un fonds enclavé le droit d’obtenir sur le fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de son propre fonds, la cour d’appel, qui a relevé que l’accès, avec une voiture automobile, correspondait à l’usage normal d’un fonds destiné à l’habitation, a légalement justifié sa décision en fixant souverainement l’assiette du passage en fonction des besoins actuels de la desserte du fonds enclavé. »
Il ne saurait en aller autrement compte tenu de la définition qui est retenue de la destination en doctrine. V. en ce sens, S. Guinchard, L’affectation des biens en droit privé français, préf. R. Nerson, LGDJ, 1976, n° 423 ; S. Becquet, Le bien industriel, préf. T. Revet, LGDJ, 2005, n° 19 ; E. Dockes, « Essai sur la notion d’usufruit » : RTD civ. 1995, p. 479, spéc. n° 19, l’auteur illustre son propos à l’aide d’un morceau de bois et indique que « le propriétaire d’un morceau de bois pourra décider, notamment, de le brûler, de le sculpter ou d’en faire un tuteur. Ce choix est aussi celui d’un but assigné au bien. Il s’agit, à l’aide du morceau de bois en question, soit de se chauffer, soit de satisfaire un besoin esthétique, soit encore d’aider une plante à pousser verticalement. » V. égal. R. Boffa, La destination de la chose, préf. M.-L. Mathieu-Izorche, Defrénois, 2008, nos 9 et s., l’auteur indiquant que l’affectation recouvre un domaine plus vaste que la destination et que la première s’exerce à un moment déterminé alors que la seconde désigne « le résultat permanent vers lequel l’usage de la chose doit tendre. »
Rappr. M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil, t. 3, Les biens, op. cit., n° 928 : « Le propriétaire d’un fonds enclavé est libre de l’exploiter comme il l’entend et d’y apporter telle innovation qu’il juge utile, augmenter, par exemple, l’établissement industriel qu’il possède et réclamer en conséquence un nouveau passage si le passage primitif est devenu insuffisant. Il peut même changer complétement le mode d’exploitation de son fonds, ouvrir, par exemple, une carrière dans un fonds de culture, élever une construction ou un établissement industriel (…). Il serait contraire à l’intention du législateur de condamner le fonds enclavé à l’immobilité. »
V. supra, I.
V. supra, I.
Les règles relèvent ici d’une jurisprudence ancienne. Sur ces conditions, v. déjà G. Baudry-Lacantinerie, Précis de droit civil, t. 1, op. cit., nos 1175 et s. En ce qui concerne l’assiette de la servitude, v. C. civ., art. 683. À défaut d’accord, le passage ne saurait être établi par le propriétaire du fonds servant ; seul le juge est compétent dans une telle hypothèse. V. en ce sens, Cass. 3e civ., 4 janv. 1991, n° 89-18492 : Bull. civ. III, n° 7 ; D. 1992, I.R., p. 40 ; JCP G 1991, IV, p. 75 ; JCP N 1991, II, 272 ; Gaz. Pal. 1991, 1, pan., p. 111.
V. par ex., Cass. 3e civ., 25 mars 1992, n° 90-15995 : « en l’absence d’enclave, l’assiette d’un passage sur le fonds du défendeur ne pouvant s’acquérir par prescription acquisitive (…). »
V. à ce propos, C. Beudant, Cours de droit civil français, t. 4, Les biens, op. cit., n° 533 : « La servitude de passage est la conséquence nécessaire attachée par la loi à une situation de fait : l’état d’enclave d’un fonds. Par suite, dès que la situation de fait envisagée est établie, la servitude existe de plein droit. »
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