Les principes, les directives et les clauses relatives à l'interprétation
Malgré une simplification certaine de la matière, les nouvelles dispositions relatives à l’interprétation des contrats laissent un sentiment d’inachevé. Au-delà des interrogations et des regrets relatifs au sens de certaines directives d’interprétation, la valeur normative de celles-ci demeure largement imprécise. L’avenir des dispositions relatives à l’interprétation est donc entre les mains du juge. La Cour de cassation pourrait continuer d’y voir de simples conseils laissant toute liberté au juge ou au contraire prendre acte de la mutation esquissée par les nouveaux textes, qui pourraient être compris comme de véritables règles de droit, contraignantes et cohérentes.
1. Au regard de la masse des travaux qui ont été consacrés à la réforme du droit des obligations, les nouvelles dispositions relatives à l’interprétation du contrat sont loin de déclencher les passions1. La Cour de cassation y est pour beaucoup, en ayant qualifié les directives d’interprétation des articles 1156 à 1164 du Code civil de simples conseils ne liant pas le juge. L’interprétation se présente ainsi comme une matière essentiellement factuelle, molle et fluctuante, ce qui peut expliquer que la doctrine ait tendance à la dédaigner. Au regard de la liberté des juges du fond, les[...]
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V. néanmoins Deshayes O., « L’interprétation des contrats » : JCP G 2015, suppl. au n° 21, 39 ; Witz C., « L’interprétation du contrat dans le projet de réforme du droit des contrats » : D. 2015, p. 2020.
La section relative à l’interprétation était en 1804 placée dans le chapitre consacré aux effets du contrat.
V. les articles 136 à 140 du projet de l’Académie des sciences morales et politiques. En revanche, l’avant-projet Catala avait maintenu, pratiquement inchangées, toutes les dispositions du Code de 1804 (art. 1136 à 1141).
Terré F., « L’interprétation », in Pour une réforme du droit des contrats, Dalloz, 2009, p. 302.
Il nous semble cependant que ces textes étaient porteurs de véritables règles d’interprétation, mais que celles-ci pouvaient être rattachées, soit à la recherche de la commune intention des parties, soit à l’interprétation « raisonnable », v. Etienney de Sainte Marie A., « L’“interprétation créatrice” : l’interprétation et la détermination du contenu du contrat » : RDC 2015, p. 166, spéc. nos 47-48.
Repris en substance par le nouvel article 1194.
V. Etienney de Sainte Marie A., « L’“interprétation créatrice” : l’interprétation et la détermination du contenu du contrat », préc.
C’est peut-être aussi pour éviter toute confusion entre les deux procédés que l’ordonnance ne reprend pas l’article 1139 de l’avant-projet Catala, selon lequel « le contrat s’interprète en raison et en équité ».
Les alinéas 2 et 3 de l’article 1119 prévoient respectivement que, « en cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l’une et l’autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet », et que, « en cas de discordance entre des conditions générales et des conditions particulières, les secondes l’emportent sur les premières. » V. aussi PDEC : art. 2:209 (1) : « Lorsque les parties sont parvenues à un accord mais que l’offre et l’acceptation renvoient à des conditions générales incompatibles, le contrat est néanmoins conclu. Les conditions générales s’intègrent au contrat pour autant qu’elles sont pour l’essentiel communes aux parties », qui revient à éliminer les clauses incompatibles.
Contra : Haftel B., « La conclusion du contrat dans le projet d’ordonnance portant réforme du droit des obligations » : Gaz. Pal. 30 avr. 2015, n° 120, p. 8, spéc. n° 26.
La technique est donc exactement inverse à celle qui sous-tend l’interprétation dite « utile », reprise par le nouvel article 1191 qui prévoit que le sens qui confère un effet à la clause l’emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun.
Rappr. C. civ., art. 1118, al. 3, nouv. : « L’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet, sauf à constituer une offre nouvelle. »
L. n° 2015-177, 16 févr. 2015, art. 8.
Il est vrai que le nouvel article 1100-1 du Code civil indique que les actes juridiques conventionnels ou unilatéraux « obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats. » Mais précisément, l’interprétation est distincte de la validité et des effets du contrat, comme en témoigne sa place dans un chapitre autonome. Comp. Projet Catala, art. 1136, al. 2, et Projet Terré, art. 12.
C’est aussi le cas des projets d’harmonisation européenne du droit des contrats, qui n’envisagent que la clause d’intégralité.
V. cependant Mazeaud D., « L’encadrement des pouvoirs du juge : l’efficacité des clauses relatives à l’interprétation » : RDC 2015, p. 187, et les réf. citées.
V. not. CA Paris, 4 mars 1980 : Expertises, avr. 1980, n° 17, p. 8 : sauf précision contraire, la clause d’intégralité n’a pas d’effet sur le rôle interprétatif de la correspondance. Dans le même sens, l’article 2.1.17 des Principes UNIDROIT précise que la clause n’a pas en principe pour effet d’interdire l’interprétation par des éléments extrinsèques, et l’article 2 :105 des PDEC exige que la clause excluant l’interprétation fondée sur les déclarations antérieures des parties ait été l’objet d’une négociation individuelle. Adde : Lamoureux M., « La clause d’intégralité en droit français, anglais et américain » : RLDC 2007/35, n° 2418.
V. not. Principes UNIDROIT, art. 4.1, 1) ; PDEC, art. 5:101 (3) ; DCFR, art. 8:101.
Projet Terré, art. 136, al. 2.
V. not. Deshayes O., « Les directives d’interprétation du Code civil : la cohérence des textes », RDC 2015, p. 159 et s., spéc. p. 163 et s.
V. not. Chantepie G., « Interprétation du contrat (Projet, art. 1188 et 1189) » : blog Dalloz obligations, 2015 (http://reforme-obligations.dalloz.fr/2015/03/17/interpretation-du-contrat-projet-art-1188-et-1189/), qui relève que « c’est surtout à cet “individu raisonnable” que s’adresseraient alors les autres directives d’interprétation (art. 1189 et s.). »
Projet Catala, art. 1139.
V. not. Principes UNIDROIT, art. 4.3, et PDEC, art. 5:102.
La formule peut être restée vague à dessein (comp. Principes UNIDROIT, art. 4.1.2, et PDEC, art. 5:101 [3]). Puisqu’il est fait référence à l’impossibilité de déterminer l’intention des parties, la personne raisonnable paraît être celle placée dans la même situation que les parties. Mais l’expression est suffisamment imprécise pour pouvoir englober l’interprète, ce qui permettrait au juge d’interpréter le contrat non pas seulement au regard des circonstances contemporaines de sa conclusion, mais aussi de l’évolution postérieure. Le juge pourrait ainsi faire sienne l’analyse de la Cour de Strasbourg dans l’arrêt Pla et Puncernau c/ Andorre (CJCE, 13 juill. 2004, n° 69498/01), qui prend en considération les circonstances nouvelles pour l’interprétation du contrat. Il n’est d’ailleurs pas anodin que la Cour européenne se soit saisie de la question de l’interprétation des conventions en faisant valoir qu’elle « ne saurait rester inerte lorsque l’interprétation par une juridiction nationale d’un acte juridique (…) apparaît comme déraisonnable (…) ». Malgré sa malléabilité, le raisonnable pourrait cependant difficilement constituer la porte d’entrée des droits fondamentaux dans l’interprétation, en raison de son caractère subsidiaire par rapport à l’intention des parties.
V. not. Cass. 1re civ., 28 oct. 2015, n° 14-11498 : D. 2016, p. 187, obs. Ferrié S.-M.
Disposition reprise du projet Terré (art. 137, al. 2) ; rappr. C. civ., art. 1186, al. 3, nouv. : « La caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. » Au contraire, l’article 1137, alinéa 2, du projet Catala se référait à la notion d’ensemble contractuel sans énoncer de critère subjectif pour qualifier celui-ci.
Art. 1190 et 1193, entre lesquels s’intercalaient l’interprétation globale et l’interprétation dite « utile ».
Contra : v. Chénedé F., « Le contrat d’adhésion dans le projet de réforme » : D. 2015, p. 1226, spéc. n° 5, qui aurait préféré que le texte fasse référence à l’« auteur » des clauses plutôt qu’à celui qui les a proposées.
V. not. Simler P., J.-Cl. Civil Code, Art. 1156 à 1164, fasc. 10, 2009, spéc. nos 55 et 59.
Or l’article L. 133-2 du Code de la consommation prévoyant l’interprétation contra proferentem ne distingue pas selon que le contrat a pu ou non être négocié par le consommateur.
Comp. PDEC, art. 5:104 : « Les clauses qui ont été l’objet d’une négociation individuelle sont préférées à celles qui ne l’ont pas été ».
Principes UNIDROIT, art. 4.6 ; PDEC, art. 5:103 ; DCFR, art. 8:103. V. aussi Projet Terré, art. 140. Comp. Projet Catala, art. 1140-1, qui se référait au contrat établi « sous l’influence dominante d’une des parties ».
Ce qui était le cas dans le projet d’ordonnance (art. 1192).
Simler P., J.-Cl. Civil Code, Art. 1156 à 1164, préc., spéc. n° 46.
V. not. Cass. 1re civ., 20 janv. 1970 : Bull. civ., n° 24 : cassation au visa de l’article 1156. Rappr. Cass. soc., 19 juill. 1988 : Bull. civ. V, n° 475.
Cass. ch. req., 18 mars 1807 : S. 1807, 1, p. 361.
Cass. civ., 15 avr. 1872 : Bull. n° 72.
Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016 : JO 11 févr. 2016.
V. aussi Deshayes O., « L’interprétation des contrats », préc., spéc. n° 13, qui souhaitait que le texte soit placé à la fin du chapitre puisqu’il s’applique à toutes les directives d’interprétation. Le texte trouverait cependant plus naturellement sa place en tête du chapitre, puisque l’obscurité du contrat conditionne l’interprétation.
V. not. Chantepie G., « Interprétation du contrat (Projet, art. 1188 et 1189) », préc.
V. not. le plaidoyer de Grimaldi C., « Paradoxes autour de l’interprétation des contrats » : RDC 2008, p. 207 ; v. aussi Witz C., « L’interprétation du contrat dans le projet de réforme du droit des contrats » : D. 2015, p. 2020.
V. not. Cass. 1re civ., 6 mars 1979, n° 77-14827 : Bull. civ. I, n° 81 – Cass. com., 19 janv. 1981, n° 79-14310 : Bull. civ. IV, n° 36 – Cass. 1re civ., 28 mars 1995, n° 93-11672 – Cass. 1re civ., 19 déc. 1995, n° 94-10478 : Bull. civ. I, n° 466 – Cass. 1re civ., 20 déc. 2000, n° 99-10697 – Cass. 1re civ., 1er mars 2005, n° 02-16802.
V. not. Cass. 1re civ., 21 janv. 2003, nos 00-13342 et 00-19001 : Bull. civ. I, n° 19 ; Dr. et patr. 2003, n° 115, p. 112, obs. Chauvel P. ; RTD com. 2003, p. 559, obs. Bouloc B. ; RTD civ. 2003, p. 292, obs. Mestre J. et Fages B. ; RDC 2003, p. 91, obs. Bruschi M. ; RGDA 2003, p. 442, note Kullmann J.
V. Grimaldi C., « Paradoxes autour de l’interprétation des contrats », préc., spéc. n° 26.
V. not. Dereux G., De l’interprétation des actes juridiques privés, thèse Paris, 1905, p. 88 et s. ; Ivainer T., « L’ambiguïté dans les contrats » : D. 1976, chron. p. 153, et « Qu’est-ce qu’un texte clair ? », in Le droit en procès, 1983, PUF, p. 147.
V. not. Revet T., « L’uniformisation de l’interprétation : contrats types et contrats d’adhésion » : RDC 2015, p. 199, spéc. n° 7.
V. not. Revet T., « Le projet de réforme et les contrats structurellement déséquilibrés » : D. 2015, p. 1217, spéc. n° 2.
V. Revet T., « L’uniformisation de l’interprétation : contrats types et contrats d’adhésion », préc.
V. déjà, Boré J., « Un centenaire : le contrôle par la Cour de cassation de la dénaturation des actes » : RTD civ. 1972, p. 17, spéc. n° 117.
V. not. Simler P., J.-Cl. Civil Code, Art. 1156 à 1164, Fasc. 10, spéc. n° 33.
V. les propositions de Trofimoff H., in « Les sources doctrinales de l’ordre de présentation des articles 1156 à 1164 du Code civil sur l’interprétation des contrats » : Rev. hist. dr. 1994, p. 203 ; Grimaldi C, « Paradoxes autour de l’interprétation des contrats », préc. ; Deshayes O., « Les directives d’interprétation du Code civil : la cohérence des textes », préc.
V. supra, n° 12.
V. supra, n° 16.
V. not. Grimaldi C., « Paradoxes autour de l’interprétation des contrats », préc., spéc. n° 19.
V. Deshayes O., « L’interprétation des contrats », préc., spéc. n° 14.
V. supra, n° 15.
Certes, l’article L. 132-1 du Code de la consommation réserve l’application des directives d’interprétation du Code civil, mais le texte n’est relatif qu’à l’appréciation du caractère abusif d’une clause. Sur le fondement de l’article L. 133-2, en revanche, la Cour de cassation censure systématiquement les décisions retenant une interprétation défavorable au consommateur, v. not. Cass. 1re civ., 17 juin 2015, n° 14-17009. V. aussi la démonstration de Lamoureux M., « L’interprétation des contrats de consommation » : D. 2006, p. 2848.
V. not. Revet T., « Le projet de réforme et les contrats structurellement déséquilibrés », préc., spéc. n° 5 ; v. aussi n° 10.
En ce sens, l’article 1190 n’a pas repris la nuance qui figurait dans le projet Terré, dont les nouvelles dispositions se sont pourtant manifestement inspirées : « en cas d’ambiguïté, les clauses d’un contrat qui n’ont pas été négociées s’interprètent, de préférence, à l’encontre de celui qui en est l’auteur » (art. 140, al. 2). La même nuance figure dans les PDEC (art. 5:103) et les Principes UNIDROIT (art. 4.6).
V. not. Revet T., « Le projet de réforme et les contrats structurellement déséquilibrés », préc., spéc. n° 4.
V. aussi, à propos de l’ancien article 1156, de Ly F., « Les clauses d’interprétation dans les contrats internationaux » : RD aff. int. 2000, n° 6, spéc. n° 754 ; Gelot B., Finalités et méthodes objectives d’interprétation des actes juridiques, Aspects théoriques et pratiques, 2003, LGDJ, spéc. n° 315 ; Rawach E., « La portée des clauses tendant à exclure le rôle des documents contratctuels dans l’interprétation du contrat » : D. 2011, p. 233, spéc. nos 14 et s.
V. not. T. com. Seine, 5 déc. 1919 : Gaz. Pal. Rec. 1920, 1, p. 580.
V. not. Mazeaud D., « L’encadrement des pouvoirs du juge : l’efficacité des clauses relatives à l’interprétation », préc., spéc. n° 19.
V. not. Dissaux N. et Jamin C., Projet de réforme, suppl. au Code civil 2016, 115e éd., Dalloz, p. 91 ; Chantepie G., « Interprétation du contrat (Projet, art. 1188 et 1189) », préc.
C. civ., art. 1193 nouv.
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Plan
- 1Le juge, auteur et acteur de la réforme
du droit des contrats
- 1.1Le juge, auteur et acteur de la réforme du droit des contrats – Propos introductifs
- 1.2La place du juge en droit des contrats
- 1.3Le juge et les clauses abusives
- 1.3.1I – Le juge, inspirateur de l’innovation
- 1.3.2II – Le juge, acteur de la sanction
- 1.3.3III – Le juge, responsable de l’articulation des textes
- 1.4Le juge et la révision du contrat
- 1.4.1I – La révision judiciaire directe du contrat
- 1.4.1.1A – Les conditions de la révision judiciaire du contrat pour imprévision
- 1.4.1.2B – Les modalités de la révision judiciaire du contrat pour imprévision
- 1.4.2II – Les révisions judiciaires indirectes du contrat
- 1.4.1I – La révision judiciaire directe du contrat
- 1.5Le juge et la révision du contrat
- 1.6Les principes, les directives et les clauses relatives à l’interprétation
- 1.7Les principes, les directives et les clauses relatives à l’interprétation
- 1.8Le juge et les standards juridiques
- 1.9Le juge et les standards juridiques
- 1.10Le juge et les remèdes à l’inexécution du contrat
- 1.11Le juge et les remèdes à l’inexécution du contrat
- 1.12Le juge et les restitutions
- 1.13Rapport de synthèse