Faux-semblants d'une prétendue action en requalification des contrats
Il arrive que des décisions soient à double fond. C’est le cas du présent arrêt, qui semble mettre en cause la notion de renouvellement du contrat, à laquelle il n’accorde apparemment pas son effet habituel consistant à créer un nouveau contrat sur les brisées de l’ancien. En considérant l’arrêt de plus près, il apparaît qu’il se signale surtout par l’intervention d’une action en requalification, spécifique et autonome. Quoiqu’elle se retrouve désormais assez régulièrement dans la jurisprudence de la Cour de cassation, on pense volontiers qu’elle est dépourvue de consistance propre. Les tribunaux ne l’utiliseraient ainsi que pour éviter d’avoir à se prononcer sur la demande qui leur est présentée, en brandissant la prescription de l’action prétendue pour en retenir l’irrecevabilité.
Cass. 3e civ., 3 déc. 2015, n° 14-19146
La décision commentée est de nature à inquiéter les juristes rigoureux, qui n’y retrouvent pas quelques règles de base qu’ils croyaient acquises en matière de formation et de prolongation des contrats. Plus grave encore, c’est tout leur sens du juste qui s’alarme en présence d’une solution qui aboutit à remettre en cause les règles essentielles concernant l’office du juge. Si l’arrêt se signale à l’attention par un traitement inattendu et discutable de la notion de renouvellement (I), c’est l’existence d’une action en requalification, opératoire en arrière-plan, qui[...]
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La doctrine maîtrise parfaitement les trois modalités qui organisent la continuation d’un contrat après la période pour laquelle il a été initialement prévu. Dans l’hypothèse la plus simple, le terme d’emblée prévu se trouve repoussé par une prorogation, de sorte que c’est le contrat initial qui se prolonge au gré d’une rencontre de volonté modificatrice de l’accord initial. Dans un second cas de figure, plus élaboré, l’arrivée du terme met un point final au premier contrat, mais un accord des parties, passé ou présent, aboutit à la création d’un nouveau contrat dont le contenu est identique au premier : c’est le renouvellement. La situation la plus complexe se présente quand l’arrivée du terme initial prend de court les parties, qui continuent de se comporter comme si de rien n’était : leurs relations ne sont donc plus organisées par un contrat efficace, encore qu’elles se réfèrent à l’acte périmé pour réglementer la situation prolongée. On parle alors de tacite reconduction, pour marquer la différence avec le renouvellement : faute de rencontre de volontés nouvelle, il ne devrait plus y avoir de contrat mais une situation quasi-contractuelle. La Cour de cassation décide néanmoins que l’on est en présence d’un nouveau contrat au même contenu que l’ancien, mais d’une durée indéterminée – ce qui permet aux parties d’y mettre fin à leur convenance, par décision unilatérale (A. Bénabent, Droit des obligations, LGDJ, 14e éd., 2013, n° 311, p. 248 ; P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 6e éd., 2011, n° 419, p. 194 ; F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 11e éd., 2013, n° 481-1, p. 534 ; v. aussi Projet de réforme du droit des contrats, art. 1214 à 1216, qui fixent ces principes tout en confondant renouvellement et tacite reconduction, ce qui est discutable).
Ce qui paraît acquis dans la jurisprudence concernant le bail. Pour la requalification d’une location-gérance en bail commercial, v. Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-16103 : Bull. civ. IV, n° 96 ; AJDI 2014, p. 32, obs. J.-P. Blatter – Cass. 3e civ., 22 janv. 2013, n° 11-22984 ; AJDI 2013, p. 609, obs. R. Hallard – Cass. 3e civ., 29 oct. 2008, n° 07-16185 : AJDI 2009, p. 123, obs. A. Mbotaingar. Pour la requalification d’un bail professionnel, v. Cass. 3e civ., 23 nov. 2011, nos 10-24163 et 10-27188 : Bull. civ. III, n° 199 ; AJDI 2012, p. 266, obs. J. Monéger.
La situation du droit français se révèle du reste contradictoire, pour peu que l’on confronte la durée des prescriptions utiles dans les matières civile et pénale. À mesure que l’une s’abrège, l’autre s’allonge au point parfois de friser l’imprescriptibilité – cette situation particulière qui ne concernait naguère que l’exception des crimes contre l’humanité. La même exigence de justice peut-elle se satisfaire, dans des domaines qui ne sont pas si éloignés, d’une amnésie provoquée et d’une hypermnésie contraire à tout apaisement social ?
L. n° 2014-626, 18 juin 2014, art. 6.
A. Posez, « De la prétendue imprescriptibilité de la clause réputée non écrite » : D. 2014, p. 2119.
Pour éviter d’inutiles méprises, précisons que le réputé non écrit est un anéantissement qui ne passe pas par une annulation, même dans ses effets. À quelque moment que la partie obligée s’en avise, la clause ainsi caractérisée cesse d’être opératoire pour l’avenir ; mais il n’y a pas de raison que cet anéantissement produise ses effets pour le passé aussi. Il n’y a donc aucune raison de supposer que ce réputé joue de façon rétroactive.
Cass. 3e civ., 23 janv. 2008, n° 06-19129 : Bull. civ. III, n° 11 ; JCP G 2008, II, 10083, note F. Auque ; RTD civ 2008, p. 292, obs. B. Fages ; Defrénois 2008, p. 688, obs. R. Libchaber.
Cass. 3e civ., 11 déc. 2007, n° 06-21197 – Cass. 1re civ., 12 mai 2001, n° 10-16516 – Cass. 3e civ., 27 mai 1998, n° 96-15774 : Bull. civ. III, n° 110, p. 73 – Cass. 3e civ., 13 mars 2002, n° 99-14152 : Bull. civ. III, n° 61, p. 52 – Cass. 3e civ., 19 févr. 1992, n° 90-16148 : Bull. civ. III, n° 46, p. 28.
Caractère rappelé à l’article 1211 du projet de réforme du droit des contrats : « Les engagements perpétuels sont prohibés. »
On évoque ici un arrêt étonnant : Cass. 3e civ., 15 déc. 1999, n° 98-10430 : Bull. civ. III, n° 242, p. 167 ; JCP G 2000, II, 10236, concl. av. gén. J.-F. Weber ; JCP N 2000, 559, note M. Billiau, où la Cour reconnaissait que « si le bail était entaché d’un vice de perpétuité, l’action en nullité du contrat souscrit en 1953 avait été engagée en 1991 (…) », ce qui conduisait le demandeur à être déclaré irrecevable dans sa mise en cause du contrat. D’où le paradoxe, précisément dû au passage du temps : c’est au fur et à mesure de sa durée d’exercice que le contrat perpétuel se révèle insupportable. En exigeant une prompte action, on exige de le soumettre à la critique juridique avant même que ses inconvénients ne soient éprouvés – quand la perception de sa durée est encore indolore.
À moins que la solution d’avenir ne consiste à considérer les contrats perpétuels comme des contrats à durée indéterminée, ce qui permettrait une résiliation unilatérale. La solution est sans doute commode ; elle n’en reste pas moins choquante du point de vue des principes, puisqu’un contrat voulu perpétuel est critiquable au regard des intentions mêmes qui président à sa formation.
CEDH, 21 févr. 1975, n° 4451/70, Golder c/ Royaume-Uni : GACEDH, 6e éd., PUF 2011, n° 27, p. 292 et s.
Est-ce d’ailleurs si évident ? Il était demandé au juge de requalifier une location-gérance en sous-bail commercial. En faisant d’emblée intervenir l’article L. 145-60 du Code de commerce à la prescription, il usait de façon anticipée d’une disposition dont l’emploi était logiquement conditionné à la requalification : celle qui lui était précisément demandée, mais à laquelle il se refusait pour cette raison même. La prescription biennale était-elle véritablement concernée, dès lors que les règles du bail commercial n’ont jamais été appliquées par le juge ?
Les premières décisions font apparaître des demandes de requalification (l’expression est courante à partir de Cass. soc., 18 nov. 1992, n° 91-45905 : Bull. civ. V, n° 560), le mot action apparaissant dix ans après (Cass. soc., 2 avr. 2003, n° 01-40073). L’expression action en requalification se trouve esquissée (Cass. soc., 30 nov. 2004, nos 01-45613 et 02-44922 : Bull. civ. V, n° 05), avant d’être assumée par la Cour (Cass. soc., 8 déc. 2004, n° 02-40513 : Bull. civ. V, n° 323 ; les arrêts sont rares qui utilisent l’expression ; elle est bien plus fréquente dans les sommaires, v. Cass. soc., 20 sept. 2006, n° 05-41883 : Bull. civ. V, n° 269 – Cass. soc., 28 nov. 2006, n° 05-41189 : Bull. civ. V, n° 358 – Cass. soc., 27 juin 2007, n° 06-41345 : Bull. civ. V, n° 114). À partir du début du XXIe siècle, les expressions de demande de requalification et d’action en requalification voisinent sans intention clairement différenciée.
Selon un même mouvement, c’est d’abord la demande de requalification qui apparaît dans les arrêts (Cass. 3e civ., 26 janv. 1994, n° 91-21485 : Bull. civ. III, n° 10), avant que le terme d’action ne soit assumé bien plus tard (Cass. 3e civ., 23 nov. 2011, nos 10-24163 et 10-27188, préc.).
Encore peut-on reconnaître un autre adage dissimulé derrière le premier, mais qui serait ici employé à tort : « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans », pris dans une acception peu rigoureuse. On sait que dans sa signification technique, l’adage signifie seulement qu’en cas d’annulation d’un contrat frauduleusement formé, les parties ne pourront pas obtenir de restitution (P. le Tourneau, La règle Nemo auditur…, préf. P. Raynaud, LGDJ, 1970). Ici, on a davantage le sentiment que le fait d’avoir été conscient d’une supercherie dans la qualification pourrait empêcher l’une ou l’autre des parties de demander une requalification, ce qui va très au-delà du régime positif de la maxime. La preuve en est d’ailleurs qu’en admettant aussi largement la règle, l’article 12, alinéa 2, du Code de procédure civile se révélerait virtuellement inutile.
Une autre voie d’interprétation pourrait être suivie. L’action en requalification se retrouve dans deux domaines aujourd’hui caractérisés par une volonté de protection de la partie faible : les baux et le droit du travail. Ce qui conduirait logiquement à se demander quels enjeux politiques sous-tendent la détection de cette action en trompe-l’œil. En l’occurrence, ce n’est pas le sous-locataire qui se révèle protégé, mais le locataire principal – qui n’est pourtant pas la partie la plus faible in concreto !
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