La compensation, les époux et la communauté universelle
L’article 1289 du Code civil exclut légitimement la compensation lorsque les personnes qui y interviennent comme créancière et débitrice ne coïncident pas. Ce refus doit a priori être maintenu quand des époux se trouvent respectivement créancier et débiteur à l’égard d’une tierce personne : chacun disposant d’un patrimoine séparé, l’éviction de la compensation se justifie par les principes. Cette exclusion doit-elle se maintenir quand ces mêmes époux sont mariés sous le régime de la communauté, et qu’elle a été stipulée universelle ? Faut-il alors tabler sur l’hétérogénéité des personnes, ou sur l’unité du patrimoine ? On constate que la Cour confirme son hostilité à la compensation, tout en regrettant qu’elle n’ait pas franchement abordé la difficulté de principe, qui se révèle redoutable.
Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, n° 14-14003
La présente décision ne surprend guère par ses enseignements de surface : il est acquis que la compensation n’est possible qu’en présence d’obligations réciproques, de sorte qu’elle ne peut pas jouer quand une personne et son conjoint sont respectivement créancier et débiteur à l’égard d’un même tiers. Or l’espèce transportait cette question bien connue en matière de régimes matrimoniaux, de communauté universelle pour être plus précis, où son issue n’était plus très prévisible car les certitudes juridiques y perdent leur tranchant.[...]
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Sur la nécessité ou non d’invoquer la compensation, v. L. Andreu, « De l’effet automatique de la compensation », in Mélanges en l’honneur du professeur Didier R. Martin, LGDJ, 2015, p. 1. La réflexion prolonge une réflexion antérieure destinée à mieux saisir l’effet principal de l’institution, v. L. Andreu, « Réflexions sur la nature juridique de la compensation » : RTD com. 2009, p. 655.
Ce qui était d’autant plus notable que son conjoint avait également été assigné devant le tribunal correctionnel, par lequel il avait été relaxé.
Cass. com., 5 févr. 2013, nos 12-12808 et 12-14571 : Bull. civ. IV, n° 21 – Cass. com., 28 mai 1991, n° 89-20587 : Bull. civ. IV, n° 182, p. 129 ; Rev. sociétés 1991, p. 764, obs. Y. Guyon ; RTD civ. 1992, p. 103, obs. J. Mestre – Cass. com., 12 févr. 1980, n° 78-12872 : Bull. civ. IV, n° 73, p. 57 – v. dans le même sens, Cass. soc., 12 janv. 2011, n° 09-69348 : Bull. civ. V, n° 21 ; D. 2011, p. 1198, note F. Khodri.
Cass. com., 9 mai 1995, n° 93-11724 : Bull. civ. IV, n° 130, p. 117 ; D. 1996, p. 322, note G. Loiseau ; JCP G 1995, II, 22448, rapp. J.-P. Rémery ; RTD civ. 1996, p. 163, obs. J. Mestre.
Cass. civ., 11 mars 1902 : DP 1902, I, p. 168 ; S. 1905, 1, p. 487.
Cass. 1re civ., 2 mai 2001, n° 98-22637 : Bull. civ. I, n° 116, p. 76; RTD civ. 2002, p. 131, obs. J. Patarin.
Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, n° 94-20674 : Dr. et patr. juin 1997, n° 50, § 1691, p. 80, obs. A. Bénabent.
J. François, Les obligations. Régime général, Economica, 3e éd., 2013, n° 57, p. 58.
V. par ex. Cass. 1re civ., 13 nov. 1979, n° 78-13013 : Bull. civ. I, n° 275.
Dans une espèce un peu confuse, deux personnes se présentaient comme créanciers de deux époux ; par ailleurs, ils se reconnaissaient débiteurs de madame, seule. La compensation ne fut pas admise, dès lors, « d’une part, que la compensation ne peut jouer qu’entre deux personnes débitrices l’une de l’autre et, d’autre part, que les époux n’avaient pas contesté être mariés sous le régime de la séparation des biens » (Cass. 1re civ., 18 juill. 1973, n° 71-12852 : Bull. civ. I, n° 250, p. 220).
V. par ex. Cass. 1re civ., 4 nov. 1982, n° 81-13316 : Bull. civ. I, n° 315 ; D. 1983, IR, p. 174, obs. crit. D. R. Martin, où la Cour refuse la compensation entre une dette d’époux s’imputant sur la masse, et une dette délictuelle de monsieur, qui pouvait être payée par la masse quoiqu’elle relevât in fine des propres de monsieur.
F. Terré et P. Simler, Les régimes matrimoniaux, Dalloz, 7e éd., 2015, n° 392, p. 304, à la note 3.
À défaut peut-être des libéralités faites par les tiers, avec une clause d’exclusion de communauté (Cass. 1re civ., 10 juin 1975, n° 73-11265 : Bull. civ. I, n° 193, p. 164 ; JCP G 1975, II, 18141, note R. Savatier).
Il y a là un point tout à fait délicat, qui procède de ce que le régime de communauté universelle nous est en réalité très mal connu dans son fonctionnement de détail. À suivre l’article 1526, alinéa 2, « la communauté universelle supporte définitivement toutes les dettes des époux, présentes et futures. » Faut-il considérer que certaines, qui seraient spécifiquement liées à la personne, demeureraient personnelles, de façon somme toute latente ? M. Champenois a opiné en ce sens (G. Champenois, obs. sous Cass. 1re civ., 16 mars 2004, n° 01-17292 : Defrénois 2004, p. 1470, spéc. note 10), sans le secours de décisions venant garantir ce fonctionnement. Or cela revient à faire survivre des masses propres à l’état latent, qui pourraient être le support de certaines dettes, voire d’actifs marginaux (Cass. 1re civ., 10 juin 1975, n° 73-11265, préc.). Dès lors, on rétablirait l’unité de fonctionnement de l’ensemble des régimes communautaires, qui demeureraient soumis aux principes de rééquilibrage des masses prévus par le code pour la seule communauté légale. Dans la suite de cette note, on ne suivra pas ce mode de fonctionnement pour la communauté universelle absolue. Parce que l’on doute de sa pertinence, l’absence de masses propres justifiant l’éviction de tout mécanisme de récompense ? L’argument est tentant, mais insuffisant. Si l’on répudie ici l’analyse, ce n’est pas qu’elle ne paraisse pas pertinente, mais, plus simplement, pour pouvoir suivre les raisonnements théoriques jusqu’à leur terme.
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