Le juge et les restitutions
Les articles que l’ordonnance du 10 février 2016 consacre aux restitutions ont profondément été modifiés par rapport au projet d’ordonnance. Ils ambitionnent d’unifier et de simplifier le droit des restitutions, en le déconnectant de l’idée de rétroactivité. Ils poseront cependant de nombreuses difficultés aux plaideurs et aux juges qui y seront confrontés : difficultés d’application tenant notamment au domaine des règles nouvelles ; difficultés d’interprétation ensuite puisque le contenu de nombreuses notions devra être précisé par les juridictions, sans que l’on ne puisse exclure que la proportionnalité vienne perturber le fragile équilibre auquel sont parvenus les rédacteurs du texte.
Art. 1352. – La restitution d’une chose autre que d’une somme d’argent a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution.
Art. 1352-1. – Celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute.
Art. 1352-2. – Celui qui l’ayant reçue de bonne foi a vendu la chose ne doit restituer que le prix de la vente.
S’il l’a reçue de mauvaise foi, il en doit la valeur au jour de la restitution[...]
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De manière non exhaustive, v. M. Malaurie, Les restitutions en droit civil, préf. G. Cornu, Cujas, 1991 ; C. Guelfucci-Thibierge, Nullité, restitutions, responsabilité, préf. J. Ghestin, LGDJ, 1992 ; J.-L. Aubert, « Les restitutions consécutives à l’annulation d’un contrat : quel régime juridique ? » : D. 2003, p. 369 ; L. Aynès, « Rapport introductif », A. Bénabent, « La révision du passé entre les parties », P. Ancel, « La rétroactivité et la sécurité des tiers », P. Malinvaud, « Observations conclusives », in « L’anéantissement rétroactif du contrat » : RDC 2008, p. 9 et s. ; F. Rouvière, « L’évaluation des restitutions après annulation ou résolution du contrat » : RTD civ. 2009, p. 617 ; X. Lagarde, « Retour sur les restitutions consécutives à l’annulation d’un contrat » : JCP G 2012, I, 504 ; H. Boucard, « Les conséquences de l’anéantissement du contrat : restitutions et enrichissement sans cause » : RDC 2013, p. 1669.
C. civ., art. 549 et 550 ; C. civ., art. 1378 et s. ; C. civ., art. 1644 et s.
J. Klein, « Les restitutions » : JCP G 2015, suppl. au n° 21, p. 74 ; N. Blanc, « Les restitutions » : Gaz. Pal. 4 juin 2015, n° 225z3, p. 14 et s.
J. Klein, « Les restitutions », préc., n° 3 : « Le projet d’ordonnance peine à trouver sa filiation : beaucoup plus objectif que ne l’est (sic) le droit positif et le projet Terré, notamment sur la question du rôle de la bonne ou de la mauvaise foi dans la restitution des fruits, ou de la chose périe, il ne va cependant pas jusqu’au bout de la logique objective du projet Catala, puisqu’il continue à faire sur certains points – indemnisation des détériorations, restitutions en cas de revente (…) – de la bonne ou mauvaise foi, ou de la faute des parties un critère de l’étendue des restitutions. Dès lors, le projet d’ordonnance ne semble pas ici avoir de philosophie assumée des restitutions, ce qui risque d’affecter sa cohérence. »
Le projet Catala et le projet de la Chancellerie de 2008 avaient intégré la question des restitutions juste après les dispositions sur la nullité. Le projet Terré avait rattaché les restitutions à la répétition de l’indu et les avait intégrées dans une partie consacrée aux « autres sources d’obligations ».
Le projet d’ordonnance opérait une déconnection totale entre les restitutions et la rétroactivité. Ce lien réapparaît avec l’article 1178, alinéa 2, selon lequel « le contrat annulé est censé n’avoir jamais existé. » En revanche, la résolution et la caducité mettent fin au contrat sans que rien ne soit dit sur leur rétroactivité (art. 1129, al. 1er, et 1187, al. 1er).
À propos d’un fonds de commerce, v. Cass. com., 19 mai 1998, n° 95-15453 – Cass. 1re civ., 7 avr. 1998, n° 96-18790 : RTD civ. 1998, p. 905, obs. J. Mestre.
Déjà en ce sens, v. Cass. 1re civ., 7 avr. 1998, n° 96-18790.
Des dispositions sont également consacrées aux dégradations et aux détériorations (C. civ., art. 1352-1), à l’hypothèse de la revente de la chose (art. 1352-2), aux dépenses de conservation (art. 1352-5), etc.
Cass. ch. mixte, 9 juill. 2004, n° 02-16302 : JCP G 2004, II, 10190, note G. François ; Defrénois 2004, p. 692, note R. Wintgen : « Attendu que pour accueillir la demande des consorts Y., l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que les époux X. ont occupé l’immeuble pendant 65 mois et que la vente de cet immeuble ayant été annulée, ils sont redevables d’une indemnité d’occupation pour la période durant laquelle ils ont utilisé l’immeuble sans en être propriétaires ; Qu’en statuant ainsi, alors que le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
Le rapport fait au président de la République admet sans ambages que : « Par ailleurs, l’ordonnance renverse la jurisprudence actuelle de la chambre mixte de la Cour de cassation, en accordant la compensation de la jouissance que la chose a procurée, qui apparaît comme un équivalent économique des fruits que la chose aurait pu produire. »
C. François, « Application dans le temps et incidence sur la jurisprudence antérieure de l’ordonnance de réforme du droit des contrats » : D. 2016, p. 506.
Rappr. M. Mekki, « L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Le volet régime des obligations et de la preuve » : D. 2016, p. 608, n° 26.
Cass. avis, 15 févr. 2015, n° 15002, à propos de l’application de l’article 24 de la loi ALUR aux contrats en cours, alors que des dispositions transitoires précisaient que ce texte n’était pas immédiatement applicable : « La Cour a retenu, conformément à une jurisprudence ancienne (…) que la loi nouvelle régit immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées. Elle a estimé que la faculté offerte au juge d’accorder un délai de paiement de trois ans au plus au locataire en situation de régler sa dette locative s’analysait comme un effet légal du bail, s’agissant non pas d’un dispositif soumis à la liberté contractuelle des parties mais d’un pouvoir accordé au juge par la loi. La Cour de cassation a considéré en conséquence que l’article 24 modifié de la loi du 6 juillet 1989 s’appliquait aux baux en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi ALUR » – Cass. 3e civ., 18 févr. 2009, n° 08-13143, à propos de la révision des loyers d’un bail commercial – Cass. ch. mixte, 13 mars 1981, n° 80-12125 à propos de l’action directe instituée en matière de sous-traitance par la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975.
Cass. 3e civ., 29 janv. 2013, n° 01-03185 : « Attendu que pour infirmer le jugement en ses dispositions ordonnant, ensuite de la résolution de la vente, la restitution de la partie du prix réglé par la société civile immobilière Sephora à la société civile immobilière Les Mimosas, l’arrêt retient que la restitution du prix n’avait pas été demandée ni en première instance ni en appel et qu’elle ne pouvait en conséquence être ordonnée sous peine de statuer ultra petita ; Qu’en statuant ainsi, alors que lorsqu’un contrat synallagmatique est résolu pour inexécution par l’une des parties de ses obligations, les choses doivent être remises au même état que si les obligations nées du contrat n’avaient jamais existé, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
La question porte sur l’éventuel versement d’une indemnité correspondant à l’usure du bien, du fait de son utilisation par le restituant. Par deux arrêts du 21 mars 2006, la Cour de cassation a clairement distingué les restitutions opérant à la suite de la résolution d’un contrat et celle opérant à la suite de sa rédhibition, en décidant que, dans l’action rédhibitoire, le vendeur était tenu de restituer le bien vendu sans pour autant pouvoir obtenir une indemnité liée à l’utilisation de la chose vendue et à l’usure en résultant (Cass. 1re civ., 21 mars 2006, nos 03-16075 et 03-16307 : RDC 2006, p. 1140, obs. P. Brun, et p. 1230, obs. G. Viney ; D. 2006, p. 1869, note C. Montfort ; JCP E 2006, 2406, note C. Houin-Bressand ; Contrats, conc., consom. 2006, comm. 130, obs. L. Leveneur ; D. 2006, p. 950, obs. I. Gallmeister ; S. Hocquet-Berg, « Garantie des vices cachés, défaut de conformité et restitutions » : Resp. civ. et assur. 2006, étude 9). Dans un arrêt postérieur, la Cour a rendu une décision ambiguë de laquelle il était possible de déduire que désormais, qu’il s’agisse d’une résolution ou d’une rédhibition, l’indemnité n’était jamais due (Cass. 1re civ., 19 févr. 2014, n° 12-15520 : RDC 2015, p. 358, obs. E. Savaux ; D. 2014, p. 642, obs. S. Pellet ; JCP E 2014, 1125, note J.-B. Seube).
En ce sens, le rapport au président de la République indique : « Ainsi, les règles générales posées par l’ordonnance seront notamment écartées lorsqu’il sera impossible de les appliquer simultanément avec certaines règles prévues par le code civil pour régir les contrats spéciaux, ou celles résultant d’autres codes tels que le code de commerce ou le code de la consommation. »
Cette argumentation peut cependant être discutée en soulignant que l’expression ne fait que distinguer l’action rédhibitoire, caractérisée par la restitution de la chose et du prix, de l’action estimatoire, caractérisée par la conservation de la chose et la diminution du prix. Plus descriptif que prescriptif, l’article 1644 n’interdit nullement, selon nous, d’appliquer le versement d’une indemnité liée à la dépréciation de la chose restituée.
Par exemple, Planiol et Ripert considéraient que « la rédhibition n’anéantit pas la vente de plein droit » et qu’elle « a seulement pour effet d’imposer certaines obligations au vendeur et à l’acheteur » (M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. X, LGDJ, 2e éd., par G. Hamel, F. Givord et A. Tunc, n° 134).
A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, Montchrestien, 9e éd., 2011, n° 368 ; F. Collart Dutilleul et P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, Dalloz, 9e éd., 2011, n° 287 ; J. Huet, G. Decocq, C. Grimaldi et H. Lécuyer, Les principaux contrats spéciaux, LGDJ, 3e éd., 2012, nos 11362 et s. ; P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, Defrénois, 6e éd., 2012, n° 409 ; P. Puig, Contrats spéciaux, Dalloz, 5e éd., 2011, n° 463).
On pourrait ajouter l’appréciation du caractère nécessaire des dépenses de l’article 1352-7.
« Art. 1352-1. – Celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute. »
« Art. 1352-2. – Celui qui l’ayant reçue de bonne foi a vendu la chose ne doit restituer que le prix de la vente. S’il l’a reçue de mauvaise foi, il en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix. »
« Art. 1352-7. – Celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande. »
Cass. 1re civ., 19 févr. 2014, n° 12-15520 : RDC 2014, p. 358, obs. E. Savaux.
Cass. 3e civ., 26 juin 2013, n° 12-18121 : RDC 2013, p. 1315, obs. Y.-M. Laithier ; Constr.-urb. 2013, comm. 126, obs. C. Sizaire.
Cass. 3e civ., 15 oct. 2015, n° 14-23612 : JCP G 2016, n° 3, 51, note M. Behar-Touchais.
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Plan
- 1Le juge, auteur et acteur de la réforme
du droit des contrats
- 1.1Le juge, auteur et acteur de la réforme du droit des contrats – Propos introductifs
- 1.2La place du juge en droit des contrats
- 1.3Le juge et les clauses abusives
- 1.3.1I – Le juge, inspirateur de l’innovation
- 1.3.2II – Le juge, acteur de la sanction
- 1.3.3III – Le juge, responsable de l’articulation des textes
- 1.4Le juge et la révision du contrat
- 1.4.1I – La révision judiciaire directe du contrat
- 1.4.1.1A – Les conditions de la révision judiciaire du contrat pour imprévision
- 1.4.1.2B – Les modalités de la révision judiciaire du contrat pour imprévision
- 1.4.2II – Les révisions judiciaires indirectes du contrat
- 1.4.1I – La révision judiciaire directe du contrat
- 1.5Le juge et la révision du contrat
- 1.6Les principes, les directives et les clauses relatives à l’interprétation
- 1.7Les principes, les directives et les clauses relatives à l’interprétation
- 1.8Le juge et les standards juridiques
- 1.9Le juge et les standards juridiques
- 1.10Le juge et les remèdes à l’inexécution du contrat
- 1.11Le juge et les remèdes à l’inexécution du contrat
- 1.12Le juge et les restitutions
- 1.13Rapport de synthèse