Le juge et les standards juridiques
La réforme du droit des contrats a pour objectif premier, selon les termes du rapport remis au Président de la République, de renforcer la sécurité juridique en réalisant notamment une clarification du droit français des contrats. La lecture de l’ordonnance révèle à cet égard une certaine méfiance à l’égard du juge et de la jurisprudence, jurisprudence décrite comme fluctuante voire incertaine. Pourtant, et il y a là un certain paradoxe, il est indéniable que l’ordonnance accroît et renforce le rôle du juge en matière contractuelle. La multiplication des standards juridiques en atteste. En usant de standards, les auteurs de la réforme confèrent au juge un nécessaire pouvoir d’interprétation. Dès lors, afin que ce développement des standards se fasse dans le respect de l’objectif de sécurité juridique, un encadrement est nécessaire. Cet encadrement est réalisé partiellement par l’ordonnance. Il pourra résulter, aussi, de l’action des parties et du juge lui-même.
1. Neuf, quarante : à quoi correspond ce passage du chiffre au nombre ? Aux standards juridiques présents dans le Code civil dans sa partie relative au droit commun des contrats. Ainsi, on compte neuf standards dans l’actuel Code civil, en son titre consacré aux contrats et obligations[...]
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Sur la notion de standard, v. spéc. S. Rials, Le juge administratif français et la technique du standard, Essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de normalité, LGDJ, 1980 ; A.-A. Al-Sanhoury, « Le standard juridique », in Recueil d’études sur les sources du droit en l’honneur de François Gény, t. II, Sirey, 1934, p. 145 et s. ; C. Bloud-Rey, in D. Alland et S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, v° « Standard », Lamy-PUF, 2003 ; J.-L. Bergel (dir.), « Les standards dans les divers systèmes juridiques », Actes du 1er Congrès de l’Association internationale de méthodologie juridique, sept. 1988 : RRJ 1988/4, Cahiers de méthodologie juridique, n° 3. Adde : C. Perelman et R. Vander Elst (dir.), Les notions à contenu variable en droit, Bruylant, Bruxelles, coll. Travaux du Centre national de recherches de logique, 1984.
G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, coll. Quadrige, 10e éd., 2014, v° « Standard ».
Ibid.
P. Malaurie et P. Morvan, Introduction au droit, Defrénois, 4e éd., 2012, n° 250.
S. Rials, Le juge administratif français et la technique du standard, Essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de normalité, op. cit., n° 93. Adde : T. Debard et S. Guinchard (dir.), Lexique des termes juridiques, Dalloz, 21e éd., 2013, v° « Standards juridiques » : le standard juridique y est défini comme « un terme difficile à définir avec précision (…) désignant le renvoi fait – notamment dans certains textes – à un comportement considéré correspondre à ce qui est communément admis en la matière par le groupe social à un moment donné. » Pour une étude des standards par matière, v. RDA févr. 2014, n° 9, p. 35 et s.
Sur ce point, v. D. Mazeaud, « Sur les standards » : RDA févr. 2014, n° 9, p. 35 : « L’intégration de notions standard dans la règle juridique incarne, en effet, parfaitement le processus de coproduction des règles du droit objectif (…) le juge crée du droit à partir d’une loi, sinon muette, du moins éthérée. »
Sur cette terminologie, v. not. G. Cornu, Droit civil approfondi : l’apport des réformes récentes du Code civil à la théorie du droit civil, Cours de DES, Les Cours de droit, 1970-1971, p. 134. Adde : P. Malaurie et P. Morvan, Introduction au droit, op. cit., qui évoquent non pas seulement une délégation, mais une « abdication intra legem par le législateur de son pouvoir », n° 250.
D. Mazeaud, « Sur les standards », op. cit., loc. cit.
Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
Ibid., p. 2 : « La sécurité juridique est le premier objectif. »
Ibid., p. 3. Adde p. 2 : « Le droit commun des obligations, à l’exception de quelques textes issus de la transposition de directives communautaires, n’a pas été modifié depuis plus de deux siècles. Ces règles ont certes été complétées par une jurisprudence abondante, mais cette dernière est par essence fluctuante, voire incertaine, et peut être ressentie par les acteurs économiques comme difficilement accessible et complexe dans son appréhension. »
Sur cette idée que les standards réveillent la peur du juge : « La crainte du pouvoir discrétionnaire du juge et celle du renforcement de son rôle », v. C. Bloud-Rey, V° « Standard », préc.
Sur cette terminologie, v. C. Perelman et R. Vander Elst (dir.), Les notions à contenu variable en droit, op. cit.
Sur ce point, v. L. Aynès, « Le juge et le contrat : nouveaux rôles ? » : RDC 2016, hors-série, p. 14 et s., spéc. p. 15 et 16 : « Dans la mesure où c’est le juge qui détermine lui-même le modèle à partir duquel il décèle l’illicite ou l’irrégulier, il faut souhaiter que la Cour de cassation exerce un contrôle régulateur sur ce point (…) faute de quoi nous entrerions dans l’incertitude d’une loi contractuelle indéterminée. »
Même si le terme de principe n’apparaît pas dans l’ordonnance.
Pour une étude de cette notion, v. not. D. Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ? », in Mélanges François Terré, Dalloz, 1999, p. 603 et s. Adde pour une étude récente pluridisciplinaire : RDA, févr. 2016, n° 12, p. 51 et s.
En ce sens, en droit des sûretés, v. C. Juillet, « Les standards en droit des sûretés » : RDA, févr. 2014, n° 9, p. 73 et s., spéc. n° 6.
Pour une étude récente de la notion de raisonnable, v. C. Bahurel, « Le standard du raisonnable » : RDA, févr. 2014, n° 9, p. 60 et s.
Art. 1197, sur le devoir de conservation : « L’obligation de délivrer la chose emporte obligation de la conserver jusqu’à la délivrance, en y apportant tous les soins d’une personne raisonnable. »
Art. 1188 : « Le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes. Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation. »
Sur cette question, v. C. Bahurel, « Le standard du raisonnable », préc.
F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 11e éd., 2013, n° 293. Sur les incertitudes entourant la notion d’abus, v. H. Capitant, F. Terré et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, Dalloz, 12e éd., 2008, 152-155, nos 25 et s.
V. infra, nos 13 et s.
V. art. 1166.
V. art. 1116, 1117, 1123, 1158, 1195, 1211, 1222, 1226, 1231.
R. Boffa, « Juste cause (et injuste clause) » : D. 2015, p. 335 et s., n° 23.
La formule est empruntée à C. Juillet, in « Les standards en droit des sûretés », préc., n° 9.
Ibid.
Cass. 1re civ., 30 mai 2000, n° 98-15242 (assurance) – Cass. 1re civ., 3 avr. 2002, n° 00-12932 (cession de droit d’auteur) : « Seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne peut vicier son consentement. »
Projet d’ordonnance, art. 1142.
Sur ce point, v. M. Mekki, « La réforme du droit des contrats et le monde des affaires : une nouvelle version du principe “comply or explain” » : Gaz. Pal. 5 janv. 2016, n° 1, p 18.
Souhaitant une telle intervention, v. L. Aynès, « Le juge et le contrat : nouveaux rôles ? », préc. ; M. Mekki, « La réforme du droit des contrats et le monde des affaires : une nouvelle version du principe “comply or explain” », préc.
Sur ce cas notable, v. G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité civile, LGDJ, 3e éd., 2006, n° 440. Les auteurs relèvent que le contrôle de la Cour de cassation « s’apparente singulièrement à celui d’un troisième degré de juridiction. »
Sur l’encadrement possible de cette notion par la détermination de critères, v. H. Aubry, « Un apport du droit communautaire au droit français des contrats : la notion d’attente légitime » : RID comp. 2005, vol. 57, n° 3, p. 627 et s., spéc. p. 633 et s.
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Plan
- 1Le juge, auteur et acteur de la réforme
du droit des contrats
- 1.1Le juge, auteur et acteur de la réforme du droit des contrats – Propos introductifs
- 1.2La place du juge en droit des contrats
- 1.3Le juge et les clauses abusives
- 1.3.1I – Le juge, inspirateur de l’innovation
- 1.3.2II – Le juge, acteur de la sanction
- 1.3.3III – Le juge, responsable de l’articulation des textes
- 1.4Le juge et la révision du contrat
- 1.4.1I – La révision judiciaire directe du contrat
- 1.4.1.1A – Les conditions de la révision judiciaire du contrat pour imprévision
- 1.4.1.2B – Les modalités de la révision judiciaire du contrat pour imprévision
- 1.4.2II – Les révisions judiciaires indirectes du contrat
- 1.4.1I – La révision judiciaire directe du contrat
- 1.5Le juge et la révision du contrat
- 1.6Les principes, les directives et les clauses relatives à l’interprétation
- 1.7Les principes, les directives et les clauses relatives à l’interprétation
- 1.8Le juge et les standards juridiques
- 1.9Le juge et les standards juridiques
- 1.10Le juge et les remèdes à l’inexécution du contrat
- 1.11Le juge et les remèdes à l’inexécution du contrat
- 1.12Le juge et les restitutions
- 1.13Rapport de synthèse