Date de naissance de la créance de recours en contribution du débiteur in solidum
Dans un arrêt rendu le 13 octobre 2015, la chambre commerciale de la Cour de cassation pose en principe que la créance indemnitaire du débiteur in solidum contre son coresponsable naît du jour où il a été assigné en réparation du dommage par la victime. Bien qu’il paraisse s’inscrire dans le sillage d’une jurisprudence établie relative aux recours entre coobligés, l’arrêt néglige toutefois la spécificité de l’obligation in solidum pour privilégier une conception finaliste de la date de naissance des créances.
Cass. com., 13 oct. 2015, n° 14-10664
1. La curiosité juridique que constitue l’obligation in solidum, forme de solidarité imparfaite d’origine jurisprudentielle, n’en finit pas de soulever des difficultés. Elles portent ici sur la détermination de la date de naissance de la créance du débiteur in solidum qui a désintéressé la victime à l’encontre de son coresponsable.
Le litige trouvait sa source dans l’aménagement d’un port de plaisance confié à une société spécialisée, l’État assurant toutefois une mission partielle de maîtrise d’œuvre du projet. Invoquant des malfaçons, le maître de l’ouvrage avait recherché et obtenu devant un tribunal administratif la condamnation solidaire de l’État et de la société chargée du projet à réparer le préjudice subi1. Après avoir intégralement indemnisé le maître de l’ouvrage, l’État avait émis un titre de perception contre la société[...]
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Le montant de la condamnation avait par la suite été modifié par une cour administrative d’appel puis par le Conseil d’État.
Le raisonnement ayant conduit les juridictions administratives, peu familières du droit des procédures collectives, à prononcer une condamnation solidaire apparaît au demeurant hasardeux, l’ouverture du redressement judiciaire entraînant logiquement une interdiction des poursuites individuelles (C. com., art. L. 621-40, I, anc., devenu C. com, art. L. 622-21, I) qui aurait dû faire obstacle au prononcé d’une condamnation à l’encontre de la société chargée du projet. V. en ce sens L.-C. Henry, obs. sous Cass. com., 13 oct. 2015, n° 14-10664 : Rev. sociétés 2015, p. 764.
Le fait que le texte en cause visait non pas la « naissance » mais « l’origine » de la créance ne change pas l’analyse, la jurisprudence ayant toujours assimilé les deux termes, assimilation consacrée en 2005 par l’harmonisation du vocabulaire employé (F. Pérochon, Entreprises en difficulté, LGDJ, coll. Manuel, 10e éd., 2014, n° 567, p. 262).
Cass. com., 1er mars 2005, n° 02-13176 : D. 2005, p. 1365, note P.-M. Le Corre : « la créance des époux X ayant pris naissance à la date de leur engagement de caution antérieur à la procédure collective » – Cass. com., 1er avr. 2008, n° 07-12238 – Cass. com., 30 sept. 2008, n° 07-18479.
Cass. com., 16 juin 2004, n° 01-17199 : Bull. civ. IV, n° 123 ; JCP E 2005, chron. 31 spéc. n° 15, p. 32, obs. M. Cabrillac ; RD bancaire et fin. 2004, comm. n° 200, obs. D. Legeais, et comm. 244, obs. F.-X. Lucas ; RTD com. 2004, p. 811, obs. A. Martin-Serf ; RTD civ. 2004, p. 758, obs. P. Crocq ; Gaz. Pal. 1er-3 août 2004, p. 12, note P.-M. Le Corre : « La créance de la caution qui a payé la dette et qui agit contre son cofidéjusseur sur le fondement de l’article 2033 du Code civil, prend naissance à la date de l’engagement de caution. »
Cass. com., 19 déc. 2006, n° 05-13461 : Bull. civ. IV, n° 249 : « la créance de recours du garant contre le donneur d’ordre prenait naissance à la date à laquelle l’engagement à première demande autonome avait été souscrit. »
Cass. com., 30 juin 2004, n° 01-14086 : Bull. civ. IV, n° 142 ; RTD com. 2005, p. 171, obs. A. Martin-Serf : « la créance de remboursement de Mme Z, née de l’engagement solidaire contracté le 17 janvier 1987 envers le créancier, avait son origine antérieurement à l’ouverture de la procédure collective et devait être déclarée au passif de M. X... »
Sur l’exposé de cette analyse, v. P.-E. Audit, La « naissance » des créances. Approche critique du conceptualisme juridique, préf. D. Mazeaud, Dalloz, coll. Nouvelle Bibliothèque de Thèses, 2015, n° 295, p. 207.
On a ainsi pu avancer que, là où la solidarité est une modalité de l’obligation qui empêche sa division, dans l’obligation in solidum, l’obligation serait par nature, en raison de l’indivisibilité du lien de causalité, une obligation au tout. L’affirmation ne fait toutefois pas l’unanimité (v. sur ce débat, J. François, Traité de droit civil, t. 4, Les obligations, Régime général, Economica, 2e éd., 2011, n° 227, p. 231 et s.).
On distingue souvent obligation solidaire et obligation in solidum en insistant sur le fait que l’obligation in solidum serait une solidarité amputée de ses effets secondaires faute de représentation entre les codébiteurs in solidum.
Le caractère in solidum de l’obligation des coauteurs d’un dommage à l’égard de la victime est acquis depuis 1939 (Cass. civ., 4 déc. 1939 : DC 1941, p. 124, note D. Holleaux). De manière plus marginale, la jurisprudence fait également peser une obligation in solidum sur les parents tenus d’une obligation d’entretien à l’égard de leurs enfants (v. toutefois, Cass. 1re civ., 22 nov. 2005, n° 02-11534 : Bull. civ. I, n° 419 ; RTD civ. 2006, p. 104, obs. J. Hauser).
J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil, Les obligations, vol. 3, Le rapport d’obligation, Sirey, 8e éd., 2013, n° 327, p. 308.
Le recours exercé par le codébiteur peut en effet avoir aussi bien un fondement subrogatoire que personnel, v. Cass. 1re civ., 7 juin 1977, n° 76-10143 : Bull. civ. I, n° 266 ; D. 1978, jur., p. 289, note C. Larroumet ; RTD civ. 1978, p. 364, obs. J. Mestre ; JCP G 1978, II, 19003, note N. Dejean de la Bâtie.
V. not. G. Jèze et R. Demogue, cités in P.-E. Audit, La « naissance » des créances. Approche critique du conceptualisme juridique, op. cit., n° 34, p. 2, qui conclut que la théorie de la naissance de la créance au jour de la demande en justice n’a jamais véritablement eu de succès.
J. Klein, Le point de départ de la prescription, préf. N. Molfessis, Economica, 2003, nos 324 et s., p. 239 et s. Il est au demeurant paradoxal que les juges utilisent ici une telle date pour fixer la naissance de la créance dans un domaine où, par exception, elle n’est pas retenue pour fixer le point de départ de la prescription, l’article 1792-4-3 du Code civil disposant qu’« en dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux » (v. déjà en ce sens en jurisprudence, Cass. 3e civ., 13 sept. 2006, n° 05-12018 : Bull. civ. III, n° 174 ; Const.-urb. 2006, comm. 215, note M.-L. Pagès de Varenne ; Resp. civ. et assur. 2006, comm. n° 375, note H. Groutel ; RD imm. 2006, p. 506, note P. Malinvaud ; RTD civ. 2007, p. 358, obs. P. Jourdain ; v. toutefois en sens inverse, Cass. 3e civ., 8 févr. 2012, n° 11-11417 : Bull. civ. III, n° 23 ; RD imm. 2012, p. 229, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2012, p. 326, obs. P. Jourdain).
Traditionnelle en jurisprudence, l’analyse de la déclaration de créance en demande en justice semble toutefois condamnée par l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 qui a autorisé « tout préposé ou mandataire » du créancier à procéder à la déclaration de créance (C. com., art. L. 622-24, al. 2), ce qui a pu être interprété comme une reconnaissance de la nature d’acte conservatoire de la déclaration de créance (sur cette question, v. F. Pérochon, Entreprises en difficulté, op. cit., n° 1529, p. 704).
Cass. com., 5 sept. 2013, n° 13-40034 : LEDEN 2013, n° 9, p. 2, obs. T. Favario ; D. 2013, p. 2100, note A. Lienhard ; RDC 2014, p. 50, nos obs.
V. en ce sens, C. Saint-Alary-Houin, obs. sous Cass. com., 13 oct. 2015, n° 14-10664 : Actualité proc. coll. 2015, repère 292 ; v. égal. CA Paris, 9 sept. 2003, n° 2002/17738 : BJS avr. 2004, n° 71, p. 395, note F.-X. Lucas.
P.-E. Audit, La « naissance » des créances. Approche critique du conceptualisme juridique, op. cit., n° 92, p. 59 : « L’ambivalence irréductible de l’expression “de naissance” d’une créance permet, autant qu’elle explique, l’usage contradictoire qui peut en être fait en jurisprudence ou en doctrine et que l’on a pu constater antérieurement à propos de la créance de responsabilité. Bien plus, elle permet une utilisation fonctionnelle de cette notion. Cette idée signifie que le concept n’est plus employé pour désigner abstraitement et invariablement une date donnée : la date qu’on lui fera désigner variera au gré des espèces en fonction du but à atteindre, la prémisse étant que ce résultat dépend de la date de naissance de la créance considérée » ; et, plus spécifiquement, à propos du recours de la caution, v. nos 298 et s., p. 209 et s.
L’article L. 622-17 du Code de commerce dispose que : « I. – Les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance. II. –Lorsqu’elles ne sont pas payées à l’échéance, ces créances sont payées par privilège avant toutes les autres créances, assorties ou non de privilèges ou sûretés, à l’exception de celles garanties par le privilège établi aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8 du Code du travail, des frais de justice nés régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure et de celles garanties par le privilège établi par l’article L. 611-11 du présent code », tandis que l’article L. 622-21, I, précise que « le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L. 622-17 et tendant : 1° À la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ; 2° À la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent. »
Créance antérieure (C. com., art. L. 622-24, al. 1er) comme créance postérieure (C. com., art. L. 622-24, al. 5) non privilégiées doivent désormais toutes deux faire l’objet d’une déclaration. L’enjeu de la distinction ne tient plus qu’au point de départ du délai de déclaration : ouverture de la procédure pour les créances antérieures, exigibilité pour les créances postérieures non privilégiées. Au demeurant, ces créances ne sont désormais plus éteintes mais simplement inopposables à la procédure en cas de défaut de déclaration.
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