Le juge et la révision du contrat
Ignorée, en droit commun, par le Code de 1804, la révision judiciaire du contrat fait une entrée remarquée dans le droit issu de l’ordonnance du 10 février 2016, au titre des modalités de réduction du déséquilibre consécutif à un changement imprévisible de circonstances. La fermeté et la constance du refus de la Cour de cassation d’admettre une telle figure soulignent la rupture que consomme, pour le droit français, cette innovation insufflée par les projets européens. C’est sans doute ce qui explique les conditions auxquelles une telle révision est subordonnée, le Gouvernement l’ayant manifestement voulue (très) subsidiaire aux autres réponses à une situation d’imprévision.
La même réforme ne codifie pas la faculté judiciaire, d’origine prétorienne, de réviser le prix des services indépendants : elle ne prévoit que le contrôle de la fixation unilatérale, par le créancier, du prix de ces prestations, ce contrôle pouvant conduire au versement de dommages-intérêts. La révision judiciaire n’est ici qu’indirecte, rejoignant d’autres hypothèses de révision judiciaire indirecte, les unes par codification des jurisprudences qui les avaient instaurées, l’autre dans le cadre d’un mécanisme inédit en droit commun.
1. En matière de révision[...]
L'accès à l'intégralité de ce document est réservé aux abonnés
Cass. civ., 6 mars 1876 : DP 1876, I, p. 163.
Ex. : pour un avocat, Cass. 2e civ., 19 févr. 2009, n° 07-21518 ; pour un généalogiste, Cass. 1re civ., 23 mars 2011, n° 10-11586. Cette solution, qui semble déroger au principe d’indifférence de la lésion (D. Mazeaud : Rép. civ. Dalloz, v° « Lésion »), s’explique par le caractère initialement gratuit du mandat, qui ne fut pas remis en cause par la pratique du don rémunératoire versé à certains mandataires, spécialement les professionnels : le don rémunératoire n’était pas une rémunération, c’est-à-dire la contrepartie du service rendu, mais le témoignage de la reconnaissance du mandant, une fois le service rendu ; sa signification était d’honorer le mandant. Il était donc hors contrat (F. Zenati-Castaing et T. Revet, Cours de droit civil – Contrats, Théorie générale, PUF, 2014, n° 116).
Ex. : Cass. 1re civ., 30 juin 1992 : Bull. civ. I, n° 212.
Ex. : Cass. 2e civ., 19 févr. 2009, n° 07-21518 – Cass. 1re civ., 23 mars 2011, n° 10-11586.
Cass. ass. plén., 1er déc. 1995, n° 91-19653, Vassali, n° 91-15578, Compagnie atlantique du téléphone, n° 91-15999, Compagnie française du téléphone ; n° 93-13688, SNC Le Montparnasse : LPA 27 déc. 1995, p. 11, note D. Bureau et N. Molfessis ; Gaz. Pal. 1995, 1, p. 626, concl. M. Jéol, note P. de Fontbressin ; D. 1996, jur., p. 13, concl. M. Jéol, note L. Aynès ; JCP G 1996, II, 22565, concl. M. Jéol, note J. Ghestin ; JCP G 1996, I, 3959, obs. C. Jamin ; JCP E 1996, I, 523, n° 7, obs. J.-M. Mousseron, II, 776, note L. Leveneur ; D. aff. 1996, I, p. 4, note A. Laude ; Defrénois 1996, p. 747, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 1996, p. 153, obs. J. Mestre ; 1997, somm., p. 59, obs. D. Ferrier.
F. Ferrand, Droit privé allemand, Dalloz, 1997, n° 293 ; R. David, « L’imprévision dans les droits européens », in Études Jauffret, Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille, 1974, p. 217 et 220. La jurisprudence suisse fonde l’imprévision de l’article 2 du Code civil prévoyant l’exécution des décisions de bonne foi (p. 220) : quand le contrat perd tout intérêt pour une partie, l’autre abuse de son droit si elle exige l’exécution du contrat dans les termes initialement prévus (P. Ancel et R. Wintgen, « La théorie du “fondement contractuel” [Geschäftsgrundlage] et son intérêt pour le droit français » : RDC 2006, p. 897). Il en va de même en Autriche, en Pologne et en Turquie (Idem).
Cass. com., 10 juill. 2007, n° 06-14768 : RDC 2007, p. 1107, obs. L. Aynès, p. 1110, obs. D. Mazeaud ; D. 2007, p. 2839, note P. Stoffel-Munck, p. 2844, note P.-Y. Gautier ; RTD civ. 2007, p. 773, obs. B. Fages ; RTD com. 2007, p. 786, obs. P. Le Cannu et B. Dondero ; JCP G 2007, II, 10154, note D. Houtcieff – Cass. 3e civ., 9 déc. 2009, n° 04-19923 – Cass. com., 15 mars 2011, n° 09-13299 – Cass. 3e civ., 26 mars 2013, n° 12-14870 – Cass. 3e civ., 25 juin 2013, n° 11-27904.
Cass. com., 3 nov. 1992, n° 90-18547 : JCP G 1993, II, 22164, obs. G. Virassamy ; RTD civ. 1993, p. 124 et s., note J. Mestre ; Defrénois 1993, p. 1377, note J.-L. Aubert. La chambre commerciale y a approuvé une cour d’appel d’avoir condamné un fournisseur de carburant à indemniser l’un de ses distributeurs indépendants pour avoir refusé de renégocier le contrat, après que la libéralisation des prix, en 1983, fit que le distributeur payait au fournisseur un prix au litre du carburant supérieur à celui auquel le même fournisseur vendait, par l’entremise de mandataires, le carburant aux consommateurs : elle a considéré qu’« en privant [le distributeur] des moyens de pratiquer des prix concurrentiels, [le fournisseur] n’avait pas exécuté le contrat de bonne foi. »
Cass. com., 24 nov. 1998, n° 96-18357 : Contrats, conc., consom. 1999, n° 56, note M. Malaurie-Vignal ; Defrénois 1999, p. 371, note D. Mazeaud ; JCP G 1999, I, 143, obs. C. Jamin ; RTD civ. 1999, p. 98, note J. Mestre, et p. 646, note P.-Y. Gautier. La même chambre, après avoir rappelé que « les rapports entre l’agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et que le mandant doit mettre l’agent commercial en mesure d’exécuter son mandat », censura l’arrêt d’appel n’ayant pas fait droit à la demande d’indemnisation présentée par un agent commercial à l’encontre de fournisseurs qui lui avaient confié la représentation exclusive de leurs produits auprès d’importateurs, grossistes et détaillants, dans une certaine zone géographique, et qui, informés par l’agent de la vente parallèle de leurs produits par des centrales d’achat s’approvisionnant auprès d’eux, n’ont pas « pris des mesures concrètes pour permettre à leur mandataire de pratiquer des prix concurrentiels, proches de ceux des mêmes produits vendus dans le cadre de ces ventes parallèles, et de le mettre ainsi en mesure d’exercer son mandat. »
V. égal. Cass. 1re civ., 16 mars 2004, n° 01-15804 : « Le refus injustifié (…) de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et (…) de renégocier [en conséquence] les modalités du [contrat] au mépris de [l’]obligation de loyauté et d’exécution de bonne foi » peut constituer un manquement, mais cette solution ne saurait permettre de remédier à un « déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat », celui qui le subit ne pouvant que l’imputer à « sa négligence ou son imprudence ».
Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-67369 : D. 2010, p. 2481, note D. Mazeaud et T. Genicon.
V. supra, n° 2, et note 7. Le Code civil italien admet la risoluzione per eccessiva onerosità sopravvenuta pour les contrats synallagmatiques (art. 1467) et unilatéraux (art. 1468) (V. Roppo, Il contratto, Giuffrè, Milan, p. 1015 et s.).
En cas d’erreur, « lorsqu’une partie est fondée à annuler le contrat pour erreur mais que l’autre indique qu’elle désire l’exécuter ou l’exécute effectivement ainsi que la victime l’entendait, le contrat est censé avoir été conclu dans les termes envisagés par la victime » (PDEC, art. 4 :105 [1]) ; et le tribunal, à la requête d’une partie, peut mettre le contrat en accord avec ce qui aurait pu raisonnablement être convenu s’il n’y avait point eu d’erreur (art. 4 :105 [3]).
Dans le rapport, l’affirmation est destinée à justifier la présence, au sein des nouvelles « dispositions liminaires », du devoir de bonne foi qui s’impose aux contractants, élargi à la négociation et à la formation du contrat et assorti d’un caractère d’ordre public (C. civ., art. 1104 nouv.).
Par ex. Cass. 3e civ., 9 juill. 2013, n° 12-17012 – Cass. com., 30 mai 2012, nos 10-17803 et 10-18527.
F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 11e éd., 2013, n° 582 ; G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 4e éd., 2013, n° 399.
N. Molfessis, « Le rôle du juge en cas d’imprévision dans la réforme du droit des contrats » : JCP G 2015, n° 52, 1415.
F. Auque, « Retour du juge par la loi, L’ordonnance réformant le droit des obligations : les nouveaux articles 1171 et 1195 du Code civil » : AJDI 2016, p. 184 et s.
V. l’excellente étude de C. Pérès, « Règles impératives et supplétives dans le nouveau droit des contrats » : JCP G 2016, n° 16, 454.
Un contrat de gré à gré pourra donc valablement prévoir qu’une seule des parties assumera le risque d’imprévision.
Sur laquelle, v. L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, LexisNexis, 7e éd., 2011, n° 481.
Cass. ch. mixte, 14 févr. 2003, nos 00-19423 et 00-19424 : Bull. civ. ch. mixte, n° 1.
Sur le contrôle des conditions tenant à la survenance d’un événement imprévu, indépendamment d’une action en révision judiciaire, v. supra, n° 12.
N. Molfessis, « Le rôle du juge en cas d’imprévision dans la réforme du droit des contrats », préc.
Le risque pourrait être, alors, que les juges du fond désireux de ne pas faire droit à une demande de révision minimisent l’incidence d’un changement imprévisible de circonstances sur le coût de l’exécution, ou qu’ils en admettent restrictivement le caractère imprévisible, autrement dit qu’ils fassent en sorte que les conditions n’en soient pas réunies. Le contrôle, indirect, de la Cour de cassation à cet égard, notamment, n’en est que plus nécessaire.
V. égal. C. civ., art. 1244-1 à 1244-3, v. supra, n° 2.
Dans le cadre des pouvoirs qu’il tient de l’article 771 du Code de procédure civile, le juge de la mise en état pourra-t-il, à titre de mesure provisoire, soit dispenser le contractant subissant l’imprévision de poursuivre l’exécution du contrat, soit en réaménager les conditions durant l’instance ?
F. Ferrand, Droit privé allemand, op. cit., n° 293.
PDEC, art. 6 :111 (3) ; PCCR, III. – 1 :110 (2) : DCEV, art. 89, 2°.
N. Molfessis, « Le rôle du juge en cas d’imprévision dans la réforme du droit des contrats », préc. : formulé à propos de la résolution du contrat, lorsque l’avant-projet d’ordonnance n’envisageait que ce type de réaction quand le juge était saisi par une seule des parties, ce propos valant pour la révision depuis qu’elle a été incluse dans le champ de compétence du juge saisi par une des parties en cas d’imprévision, puisque la même latitude est offerte au juge par la loi s’agissant des termes de la révision comme de résolution du contrat pour imprévision.
C. civ., art. 1163 nouv. : « Dans les contrats-cadres et les contrats à exécution successive, il peut être convenu que le prix de la prestation sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en justifier le montant en cas de contestation.
En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à voir réviser le prix en considération notamment des usages, des prix du marché ou des attentes légitimes des parties, ou à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat. »
F. Zenati-Castaing et T. Revet, Cours de droit civil – Contrats, Théorie générale, op. cit., n° 14. Adde : C. Albiges, « Le développement discret de la réfaction du contrat », in Mélanges Michel Cabrillac, Litec, 1999, 3 et s.
Ex. : Cass. 2e civ., 19 févr. 2009, n° 07-21518 – Cass. 1re civ., 23 mars 2011, n° 10-11586.
Ex. : Cass. 1re civ., 30 juin 1992, n° 89-21970 : Bull. civ. I, n° 212. J. Moury relève, à juste titre, que le fait que l’article 1165 nouveau du Code civil énonce que le prix « peut être fixé par le créancier », quand les parties ne se sont pas accordées sur un montant avant l’exécution, « devrait laisser un domaine résiduel à la fixation judiciaire du prix » (« La détermination du prix dans le « nouveau » droit commun des contrats » : D. 2016, p. 1013 et s., n° 40). Le prix constituant la prestation objet de l’obligation monétaire, il relève de l’article 1163 nouveau du Code civil, donc de l’exigence de détermination ou déterminabilité initiales (contra, J. Moury, préc., n° 3). La réforme de 2016 n’a pas codifié la règle prétorienne ayant, en 1995, soustrait le prix à l’exigence de détermination ou de déterminabilité initiales. Il sera néanmoins toujours possible à la Cour de cassation de réitérer la soustraction du prix à cette exigence, puisque qu’elle l’a déjà fait, et ce contre l’article 1129 du Code civil de 1804, lequel incluait le prix dans son domaine, comme le fait le nouvel article 1163… Les articles 1164 et 1165 nouveau du Code civil dérogent, quant à la détermination ou à la déterminabilité du prix, au principe (art. 1163) selon lequel cette opération doit être, directement ou indirectement l’œuvre d’une décision conjointe des contractants, puisqu’ils admettent une détermination unilatérale, au stade de l’exécution, sous contrôle judiciaire. En 2016 comme auparavant, le prix du contrat de prestation de services n’a donc pas à être initialement fixé pour que ce contrat soit valablement formé. Et l’emploi, par l’art. 1165 nouveau, du verbe « pouvoir », s’agissant de la faculté de fixation unilatérale du prix par le créancier, semble effectivement désigner le juge comme instance subsidiaire de fixation en cas d’abstention du créancier – hypothèse qui devrait être rare.
J. Moury, préc., n° 41.
M. Mekki, « L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Le volet droit des contrats : l’art de refaire sans défaire » : D. 2016, p. 494 et s., n° 19.
Ibid., n° 30.
M. Mignot, « Commentaire article par article de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (VI) » : LPA 4 avr. 2016, p. 5 et s.
La sanction pourrait-elle consister à condamner le créancier du prix à restituer au débiteur du prix la fraction que celui-ci lui aurait versée indument s’il démontre que le prix réduit était disproportionné, au détriment du débiteur du prix, par rapport à la valeur de la fraction exécutée de la contreprestation ? L’occurrence sera rare puisque la réduction aura été décidée par le débiteur du prix, ce qui pourrait même conduire à rendre irrecevable une contestation ultérieure, par le même, du prix modifié qu’il aura unilatéralement fixé.
Ex. : Cass. 1re civ., 9 nov. 1981, n° 80-11060 – Cass. 3e civ., 22 juill. 1987, n° 84-10548.
Testez gratuitement Lextenso !
Plan
- 1Le juge, auteur et acteur de la réforme
du droit des contrats
- 1.1Le juge, auteur et acteur de la réforme du droit des contrats – Propos introductifs
- 1.2La place du juge en droit des contrats
- 1.3Le juge et les clauses abusives
- 1.3.1I – Le juge, inspirateur de l’innovation
- 1.3.2II – Le juge, acteur de la sanction
- 1.3.3III – Le juge, responsable de l’articulation des textes
- 1.4Le juge et la révision du contrat
- 1.4.1I – La révision judiciaire directe du contrat
- 1.4.1.1A – Les conditions de la révision judiciaire du contrat pour imprévision
- 1.4.1.2B – Les modalités de la révision judiciaire du contrat pour imprévision
- 1.4.2II – Les révisions judiciaires indirectes du contrat
- 1.4.1I – La révision judiciaire directe du contrat
- 1.5Le juge et la révision du contrat
- 1.6Les principes, les directives et les clauses relatives à l’interprétation
- 1.7Les principes, les directives et les clauses relatives à l’interprétation
- 1.8Le juge et les standards juridiques
- 1.9Le juge et les standards juridiques
- 1.10Le juge et les remèdes à l’inexécution du contrat
- 1.11Le juge et les remèdes à l’inexécution du contrat
- 1.12Le juge et les restitutions
- 1.13Rapport de synthèse