Clauses abusives et assurance des emprunteurs : deuxième round
La clause, insérée dans une police d’assurance d’emprunteur, subordonnant la garantie « incapacité temporaire totale » à l’impossibilité absolue, pour l’assuré, d’exercer une activité professionnelle à temps plein ou à temps partiel doit être réputée non écrite en raison de son caractère abusif.
Cass. 1re civ., 14 avr. 2016, n° 15-19107
1. Le droit des assurances est, par nature, protecteur du consommateur d’assurance. Ce n’est pas à dire que le droit de la consommation ne puisse être utile à l’assuré. L’assurance des emprunteurs en fournit une belle démonstration.
Sans doute l’assurance d’emprunteurs relève-t-elle le plus souvent de l’assurance de groupe : un contrat-cadre est d’abord négocié entre deux professionnels, un établissement de crédit et une société d’assurance, qui définit les conditions auxquelles la seconde pourrait garantir le risque de défaillance des emprunteurs ayant souscrit un contrat de prêt auprès du premier ; en application de ce contrat-cadre, des contrats individuels d’assurance sont ensuite conclus entre chaque adhérent (emprunteur) et l’assureur. Ce dont il résulte que les contrats d’assurance emprunteur, qui peuvent ainsi bel et bien être conclus entre un professionnel et un consommateur, entrent par là même sous l’empire du droit de la consommation en général et de celui des clauses abusives en particulier1.
2. Le contrat d’assurance[...]
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V. Cass. 1re civ., 22 mai 2008, n° 05-21822 : Bull. civ. I, n° 145.
Il est vrai que l’article 1171 nouveau du Code civil, dont l’alinéa 1er prévoit que : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite », précise, dans son alinéa second, que : « L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation », sans réserver, quant à lui, l’hypothèse où la clause portant sur la définition de l’objet principal du contrat ne serait pas rédigée de manière claire et compréhensible. Ce dont on pourrait être tenté de déduire que le juge ne saurait, en aucune manière, déclarer abusive une telle clause sur le fondement de ce texte. Mais, à partir de là, de deux choses l’une : soit on estime que les articles 1171 du Code civil et L. 212-1 du Code de la consommation entretiennent un rapport de genre à espèce et alors le texte spécial déroge au texte général, de telle sorte que l’article L. 212-1 du Code de la consommation serait d’application exclusive dans les contrats de consommation ; soit on considère qu’il s’agit de deux textes spéciaux (le premier ne s’applique qu’aux contrats d’adhésion, mais quelle que soit la qualité des parties, tandis que le second s’applique aussi bien aux contrats de gré à gré qu’aux contrats d’adhésion, mais seulement s’ils sont conclus entre un professionnel et un consommateur), et il y a alors lieu de conclure à leur application concurrente, ce qui permet ainsi au consommateur d’opter en faveur de l’article L. 212-1 du Code de la consommation.
V. CA Riom, 14 déc. 1995 : RGDA 1996, p. 697, note M.-H. Maleville, qui a développé en ce sens une motivation haute en couleur : « Attendu que le premier président de la Cour de cassation invita un jour le monde judiciaire à sortir du néolithique, c’est-à-dire du monde où le plus fort écrase de ses lourdes pierres le plus faible ; que cette très noble voix ne semble point être parvenue jusqu’aux oreilles des rédacteurs des contrats d’assurance de la Caisse nationale de prévoyance (…) ; Attendu que [l’assuré] pourrait en pure théorie être clarinettiste, professeur de chinois, répétiteur de bridge, ravaudeur de caleçons, et qui sait quoi encore, de même qu’il pourrait s’élever au niveau des mathématiques les plus éthérées, tel ce paralytique célèbre qui manie les machines les plus complexes par les seuls mouvements de ses yeux ; que, dans cette perspective (…), la totalité des contrats conclus par la Caisse nationale de prévoyance seraient inopérants (hormis, ajoute la Cour, les rarissimes cas de malades plongés dans un coma profond) (…). »
V. Cass. 1re civ., 10 sept. 2014, n° 12-20931 : RGDA oct. 2014, n° 111f9, p. 512, note J. Kullmann – Cass. 1re civ., 13 déc. 2012, n° 11-27631 ; Cass. 1re civ., 17 mars 1998, n° 96-11172 : RGDA 1998, p. 769, note J. Kullmann.
Il n’est pas certain que la deuxième chambre civile soit dans les mêmes dispositions à cet égard. En effet, dans un arrêt rendu le même jour que l’espèce rapportée, elle tient pour claire et précise une clause « non-vie professionnelle » subordonnant la garantie « incapacité temporaire totale » à l’obligation, à la suite d’un accident ou d’une maladie, d’interrompre totalement toute activité professionnelle (Cass. 2e civ., 14 avr. 2016, n° 15-16273 : Resp. civ. et assur. 2016, comm. 243, note H. Groutel).
Cass. 2e civ., 22 janv. 2009, n° 07-21698 : RGDA 2009, p. 89, note M. Bruschi.
V. en ce sens, L. Mayaux, « De la “clause coma” à la “profession socialement équivalente” » : RGDA juill. 2015, n° 112k9, p. 325.
V. CJUE, 14 juin 2012, n° C-618/10 : JCP G 2012, n° 37, 975, note G. Paisant.
V. CJUE, 30 avr. 2014, n° C-26/13.
Sur la notion de clauses insolites ou surprenantes connue de plusieurs systèmes juridiques européens, v. H. Aubry, « Un apport du droit communautaire au droit des contrats : la notion d’attente légitime » : RIDC 2005, p. 643.
V. Cass. ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15267 : Bull. civ. ass. plén., n° 4 – Cass. 2e civ., 11 sept. 2014, n° 13-21361 – Cass. com., 1er déc. 2015, n° 14-22134 : RGDA févr. 2016, n° 113a6, p. 99, note M. Asselain.
V. Cass. 2e civ., 30 juin 2016, n° 15-22905, qui estime que la preuve de la perte de chance n’est pas suffisamment rapportée.
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