Le paiement des charges de copropriété d'un lot grevé d'usufruit
Lorsqu’un lot de copropriété est démembré, le règlement de copropriété peut valablement prévoir une clause de solidarité entre l’usufruitier et le nu-propriétaire concernant le paiement des charges de copropriété afférentes au lot grevé d’usufruit.
Cass. 3e civ., 14 avr. 2016, n° 15-12545
Les dispositions relatives à l’usufruit d’un lot de copropriété sont peu nombreuses dans la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, ce qui laisse un grand nombre de questions en suspens et oblige ainsi la Cour de cassation à clarifier l’articulation entre les règles de l’usufruit, d’une part, et celles de la copropriété, d’autre part. Un arrêt rendu par la troisième chambre civile le 14 avril 2016 s’inscrit dans ce mouvement en énonçant que le règlement de copropriété peut prévoir une clause de solidarité relative aux charges de copropriété entre l’usufruitier et le nu-propriétaire d’un lot.
Les faits ayant donné lieu à la décision sont simples. Un lot de copropriété est grevé d’usufruit. Une clause du règlement de copropriété prévoit que l’usufruitier et le nu-propriétaire sont solidaires quant au paiement des charges de copropriété. Le syndic n’ayant pu obtenir le paiement des charges afférentes au lot grevé d’usufruit a assigné l’usufruitier et le nu-propriétaire à cette fin.
La juridiction de proximité a fait droit à la demande.
Le nu-propriétaire, condamné à payer l’intégralité[...]
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L. n° 65-557, 10 juill. 1965, art. 8 : « Un règlement conventionnel de copropriété, incluant ou non l’état descriptif de division, détermine la destination des parties tant privatives que communes, ainsi que les conditions de leur jouissance ; il fixe également, sous réserve des dispositions de la présente loi, les règles relatives à l’administration des parties communes.
Le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble, telle qu’elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation. »
V. not. Cass. 3e civ., 21 juin 2006, n° 05-14441 : Bull. civ. III, n° 158.
V. not. Cass. 3e civ., 4 janv. 1991, n° 89-10959. V. cependant, pour une hypothèse où le preneur a pu faire admettre qu’il ignorait l’existence de la copropriété et qu’en conséquence, le règlement ne lui était pas opposable, Cass. 3e civ., 3 mars 2004, n° 02-14396.
V. F. Givord, C. Giverdon et P. Capoulade, La copropriété, Dalloz Action 2012/2013, n° 361, qui indique que le règlement de copropriété est opposable à l’usufruitier dès lors que les mentions de l’article 4 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967 ont été indiquées dans l’acte constitutif de l’usufruit.
L. n° 65-557, 10 juill. 1965, art. 23, al. 2 : « En cas d’indivision ou de démembrement du droit de propriété, les intéressés doivent être représentés par un mandataire commun qui est, à défaut d’accord, désigné par le président du tribunal de grande instance à la requête de l’un d’entre eux ou du syndic ».
On rappellera ici les dispositions de l’ancien article 1202 du Code civil applicables au moment du litige selon lesquelles la solidarité ne se présume pas en matière civile, elle doit être expresse. La règle est reprise à l’article 1310 du Code civil issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général de l’obligation et de la preuve des obligations.
CA Versailles, 15 févr. 2010 : Loyers et copr. 2010, comm. 234.
CA Paris, 27 janv. 2007 : Loyers et copr. 2007, comm. 107.
Cass. 1re civ., 16 nov. 2004, n° 02-12562. Il est à noter que, dans cette espèce, l’acte constitutif de l’usufruit mettait à la charge des nus-propriétaires l’obligation de procéder, au cours de l’usufruit, aux grosses réparations. Pour une décision faisant une application du critère indépendamment de toute clause dans l’acte constitutif du droit réel, v. CA Paris, 12 janv. 2006, Loyers et copr. 2006, comm. 86.
Cass. 1re civ., 21 mars 1962 : JCP G 1963, II, 13272, note H. G. ; RTD civ. 1962, p. 527, obs. H. Solus.
Sur cette théorie selon laquelle l’usufruit est extrait de la propriété et constitue une situation dans laquelle nu-propriétaire et usufruitier exercent leurs droits sur la chose dans une ignorance réciproque l’un de l’autre, v. not. G. Baudry-Lacantinerie, Précis de droit civil, t. 1, Recueil Sirey, 11e éd., 1912, n° 1516 ; L. Josserand, Cours de droit civil positif français, t. 1, Recueil Sirey, 3e éd., 1938, n° 1857 : « L’usufruit vit d’une vie propre ; en principe, les deux droits propriété et usufruit sont indépendants. » V. F. Terré et P. Simler, Droit civil, Les biens, Dalloz, 9e éd., 2014, n° 805 : « L’usufruitier et le nu-propriétaire sont traités comme les titulaires de deux droits réels ayant la même assiette, mais différents dans leur nature et indépendants dans leur régime. Entre eux n’existent, en principe, ni rapports obligatoires, ni communauté d’intérêts » ; P. Malaurie et L. Aynès, Droit civil – Les biens, Defrénois, 4e éd., 2010, n° 831 ; C. Atias, Droit civil – Les biens, Litec, 11e éd., 2011, nos 217 et 218 ; M.-L. Mathieu-Izorche, Droit civil. Les biens, Sirey, 2e éd., 2010, nos 555 et 606.
L’objet de l’obligation du nu-propriétaire a été vigoureusement débattu au cours du XIXe siècle. Sur ce débat, v. J. Derruppé, La nature juridique du droit du preneur à bail et la distinction des droits réels et des droits de créance, préf. J. Maury, Dalloz, 1951, n° 127, et les nombreuses réf. citées. La jurisprudence a fini par trancher dans un arrêt concernant les grosses réparations. En considérant que le propriétaire n’était tenu que d’une obligation de ne pas faire. V. ainsi Cass. ch. req., 10 déc. 1900 : DP 1901, I, p. 209, note L. Guenee ; F. Terré et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 1, Dalloz, 12e éd., 2007, n° 75 : « De l’article 605 du Code civil, combiné avec les articles 600 et 607 du même code, il résulte que la loi n’autorise pas l’usufruitier à agir contre le nu-propriétaire pour le contraindre à exécuter les grosses réparations nécessaires à la conservation de l’immeuble soumis à l’usufruit ; que cette solution résulte, d’ailleurs, de la nature même de l’usufruit qui n’impose au nu-propriétaire aucune obligation positive, mais le force seulement à souffrir sur le fonds l’exercice du droit de l’usufruitier. » La solution est devenue traditionnelle, v. entre autres, Cass. 3e civ., 10 juill. 2002, n° 00-22158 : Rev. loyers 2002, p. 562, obs. J. Rémy : l’arrêt, rendu au visa des articles 599 et 605 du Code civil, indique que « l’usufruitier ne peut agir contre le nu-propriétaire pour le contraindre à exécuter les grosses réparations nécessaires à la conservation de l’ensemble soumis à l’usufruit. »
C’est la position adoptée majoritairement par les tribunaux. V. en ce sens, CA Paris, 27 mai 1936 : S. 1937, 2, p. 42 – CA Paris, 31 oct. 1961 : D. 1962, somm., p. 66 – CA Rouen, 30 oct. 1973 : Gaz. Pal. 1974, 1, somm., p. 115. Ces solutions sont le plus souvent approuvées par la doctrine. V. not. en ce sens, F. Terré et P. Simler, Droit civil. Les biens, Dalloz, coll. Précis, 9e éd., 2014, n° 836. On notera toutefois que certaines décisions ouvrent à l’usufruitier un recours contre le nu-propriétaire sur le fondement de l’enrichissement sans cause pour lui permettre d’obtenir une indemnisation pour les dépenses qu’il a effectuées au titre des grosses réparations sans attendre la fin de l’usufruit, comme le font remarquer les professeurs Terré et Simler, v. F. Terré et P. Simler, op. et loc. cit.
V. Cass. 3e civ., 9 oct. 1985, n° 84-13548 : Bull. civ. III, n° 119 – Cass. 1re civ., 23 janv. 2007, n° 06-16062 : Bull. civ. I, n° 41.
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