Indivision entre le propriétaire et le titulaire d'un droit d'usage et d'habitation
Le propriétaire d’un bien, qui a le droit de jouir de son bien de la façon la plus absolue, dispose de droits concurrents avec le titulaire d’un droit d’usage et d’habitation s’exerçant conjointement sur le bien, et il existe par conséquent une indivision entre eux quant à ce droit d’usage et d’habitation dont le partage peut alors être demandé.
Cass. 3e civ., 7 juill. 2016, n° 15-10278
La nature juridique de la propriété et des droits réels de jouissance sur la chose d’autrui suscite toujours de vifs débats. Cette controverse théorique n’est pas dénuée d’incidences pratiques. En témoigne un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 7 juillet 2016. Dans cet arrêt, un particulier avait acquis la propriété d’un bien immobilier, le cédant se réservant toutefois, dans l’acte de cession, sur ce même bien, un droit d’usage et d’habitation s’exerçant conjointement avec le propriétaire. Le propriétaire du bien et le titulaire de ce droit d’usage et d’habitation vivaient en couple et à la suite de leur séparation, le propriétaire assigna le titulaire du droit réel d’usage et d’habitation en partage.
Pour ce faire, le propriétaire invoqua l’existence d’une indivision entre eux, la propriété conférant un droit réel de jouissance de même nature que le droit d’usage et d’habitation. Cette analyse fut entérinée par la cour d’appel de Reims qui ordonna l’ouverture des[...]
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V. not. F. Zénati-Castaing et T. Revet, Les biens, PUF, 3e éd., 2008, n° 344 ; W. Dross, Les choses, LGDJ, 2013, n° 154-1 ; P. Malaurie et L. Aynès, Les biens, LGDJ-Lextenso, 6e éd., n° 811.
V. not. Cass. ch. req., 27 juill. 1869 : DP 1871, I, p. 170 – Cass. 1re civ., 25 nov. 1986, n° 85-10548 : D. 1987, p. 141, note G. Morin – Cass. 1re civ., 29 mars 1989, n° 87-12187 : Bull. civ. I, n° 145 ; D. 1989, IR, p. 134 – Cass. 2e civ., 18 oct. 1989, n° 88-13878 : D. 1989, IR, p. 288 ; JCP G 1990, II, 21502, note J.-F. Pillebout ; RTD civ. 1990, p. 115, obs. F. Zénati – Cass. 1re civ., 29 juin 2011, n° 10-13807 : RTD civ. 2011, p. 788, note M. Grimaldi.
Ce fractionnement du droit de propriété délimite ensuite la partie des pouvoirs de jouissance susceptibles d’être exercés concurremment par le propriétaire et le titulaire de ce droit réel.
W. Dross, Les choses, op. cit., n° 154-1 ; contra : F. Zénati, obs. précitées sous Cass. 2e civ., 18 oct. 1989, n° 88-13878.
V. sur cette analyse, F. Zénati-Castaing et T. Revet, Les biens, op. cit., n° 345 ; F. Zénati, obs. précitées sous Cass. 2e civ., 18 oct. 1989, n° 88-13878 ; v. en faveur de l’indivision en jouissance, N. Pierre, Les indivisions complexes, thèse Nancy, 2003, n° 41 ; W. Dross, Les choses, op. cit., n° 154-1.
Cass. ch. req., 20 juill. 1932 : DP 1933, I, p. 113, note R. Savatier ; S. 1934, 1, p. 41, note H. Vialleton : « Lorsque le droit de l’usufruitier porte sur une quote-part des biens d’une succession, il y a indivision entre lui et l’héritier quant à la jouissance ; si, en principe, pour y mettre fin, il ne peut être procédé qu’à un partage de jouissance, il en est autrement lorsque la licitation de propriété apparaît comme nécessaire à l’assiette de l’usufruit et comme seule protectrice de l’intérêt des parties » – Cass. 1re civ., 26 sept. 2007, n° 06-14422. V. aussi C. civ., art. 817 et C. civ., art. 819, qui consacrent cette solution de l’indivision en jouissance.
F. Zénati, Essai sur la nature juridique de la propriété, thèse Lyon III, 1981, n° 67, p. 106.
V. en ce sens la jurisprudence qui considère que la nue-propriété est la propriété, Cass. 3e civ., 28 janv. 2009, n° 08-12649 : RTD civ. 2009, p. 346, obs. T. Revet (la promesse de vente qui a pour objet la nue-propriété a nécessairement pour objet la propriété elle-même) – Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-10289 : Dr. & patr. 2012, n° 212, p. 99, obs. L. Aynès (hypothéquer la nue-propriété, c’est hypothéquer la propriété).
T. Revet, obs. précitées sous Cass. 3e civ., 28 janv. 2009, n° 08-12649 : « La jouissance du propriétaire n’est pas un droit mais une faculté, son seul droit est la propriété ; en revanche, la jouissance de l’usufruitier est l’objet même de son droit ». V. aussi F. Zénati, Essai sur la nature juridique de la propriété, thèse précitée, n° 385, p. 517-518 : « Comment le droit d’usufruit entame-t-il les utilités de la chose revenant au propriétaire ? Les utilités de la chose sont les avantages concrets qu’elle procure ; ces avantages se réalisent par une maîtrise de fait qui est la possession. Cette maîtrise de fait, comme l’expression l’indique, n’est pas un droit, même si le propriétaire ne l’exerce que grâce à l’exclusivité que lui confère le droit de propriété. Toutefois, quand le propriétaire est tenu de souffrir qu’un tiers exerce cette maîtrise à sa place, celle-ci est érigée en droit [d’usufruit] ».
F. Zénati-Castaing et T. Revet, Les biens, op. cit., n° 344, qui considèrent que le droit réel d’usufruit consiste dans l’obligation qui pèse sur le nu-propriétaire de souffrir la jouissance de l’usufruitier. V. aussi T. Revet, obs. sous Cass. com., 22 janv. 2008, n° 06-20766, et sous Cass. 3e civ., 5 mars 2008, n° 05-20200 : RTD civ. 2008, p. 512.
S. Ginossar, « Pour une meilleure définition du droit réel et du droit personnel » : RTD civ. 1962, p. 573 et s., spéc. n° 6, p. 580.
S. Ginossar, Droit réel, propriété et créance, LGDJ, 1960, nos 36 et 67. Cette obligation qui pèse sur le propriétaire est une obligation réelle, elle correspond au droit réel vu de son côté passif (le droit consenti grève directement la chose, de sorte que le propriétaire est tenu par l’intermédiaire de sa chose, sa jouissance étant amputée, restreinte en conséquence du droit réel consenti).
Ce à quoi le propriétaire s’était d’ailleurs engagé dans l’acte de cession constitutif du droit réel d’usage et d’habitation. Le propriétaire était donc tenu de restreindre sa jouissance pour permettre celle du titulaire du droit réel, une jouissance partagée ayant moins d’amplitude qu’une jouissance exclusive.
V. sur ce point, H. Vialleton, « Le droit au partage des usufruitiers et nus-propriétaires par indivis » : RTD civ. 1925, p. 261.
V. sur cette question, F. Zénati-Castaing et T. Revet, Les biens, op. cit., nos 345 et 418.
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