Le contrat international d'assurance à l'épreuve de la libre prestation de services
Le versement d’une prime d’assurance sur la vie par l’apport de titres à un fonds dédié fermé mis en place par une société d’assurance luxembourgeoise est validé. La solution résulte d’une mise à l’écart de la loi du contrat d’assurance au profit de la loi de l’État membre d’origine du prestataire de service, soulevant la question de la place respective de la loi du contrat et de la loi d’origine dans le droit des assurances au sein de l’Union.
Cass. 2e civ., 19 mai 2016, n° 15-13606
1. Un souscripteur résidant en France peut-il conclure avec un assureur établi dans un autre État de l’Union un contrat d’assurance-vie par le biais du versement d’une prime sous forme d’apport de titres ? La question ayant été posée devant le juge français, la réponse aurait semblé devoir dépendre de la loi applicable au contrat d’assurance. Pourtant, un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation retient une autre analyse qui permet d’insister sur l’incidence de la liberté de prestation de service et ses rapports avec le droit international privé du contrat d’assurance : la solution restrictive posée par le droit français (le versement de la prime en numéraire) est écartée au profit de la solution permissive admise par le droit luxembourgeois d’établissement du prestataire. L’arrêt rendu le 19 mai 20161 est ainsi l’occasion d’examiner l’incidence de la loi[...]
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Cass. 2e civ., 19 mai 2016, n° 15-13606 : RGDA juin 2016, n° 113p4, p. 323, obs. J. Kullmann. V. également, parus postérieurement à la rédaction de la présente chronique : Banque et Droit, 2016, n° 168, p. 58, note P.-G. Marly ; JCP G 2016, p. 1508, note L. Mayaux ; D. 2016, p. 1791, note B. Beignier, S. Ben Hadj Yahia.
Il suppose de fixer la valorisation des titres non liquides, de déterminer le sort des droits de vote en cas d’apport d’actions, etc.
Sur les solutions du droit international privé en matière d’assurances, v. V. Heuzé, « Le droit international privé des assurances », in J. Bigot (dir.), Traité de droit des assurances, t. 3, Le contrat d’assurance, LGDJ-Lextenso, 2014, nos 2550 et s. ; M.-É. Ancel, P. Deumier et M. Laazouzi, Droit des contrats internationaux, Sirey, 2016, nos 691 et s.
Ce qu’indique l’arrêt attaqué.
L’article 178 de la directive Solvabilité II impose, à compter de son entrée en application le 1er janvier 2016, au Danemark d’appliquer « les dispositions [du règlement Rome I] pour déterminer le droit applicable aux contrats d’assurance relevant de son article 7 ».
Comité mixte EEE, déc. n° 78/2011, 1er juill. 2011 (disponible sur le site www.efta.int), amendant l’annexe IX (Services financiers). Cette décision (art. 1er, § 3.1) a inséré la directive Solvabilité II dans le chapitre I de l’annexe 9 à l’accord EEE et modifie (art. 1er, § 3.1, g), dans le cadre de cette annexe, la teneur de l’article 178 de la directive Solvabilité II en y inscrivant directement les règles de conflit de lois pertinentes identiques à celles du règlement Rome I.
V. Heuzé, « Le droit international privé des assurances », préc., n° 2551.
Le rapport de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution pour l’année 2014 (http://www.acp.banque-france.fr) recense 1 130 déclarations relatives à l’exercice sur le territoire français d’activités d’assurance en libre prestation de service par un assureur établi dans un autre État de l’EEE.
V. sur le domaine de la loi applicable au contrat d’assurance, v. V. Heuzé, « Le droit international privé des assurances », préc., nos 2640 et s.
Il faut ici préciser la fonction de la notion de dispositions d’intérêt général de l’État de distribution des contrats d’assurance. La configuration de l’espèce indique assez qu’elle ne doit pas être confondue avec la notion de loi de police. En l’occurrence, la fonction d’intérêt général est recherchée au sein du droit français afin de déterminer s’il contient une telle norme, alors même que ce même droit régit le contrat selon la détermination conflictuelle.
Selon la lettre-circulaire 95/3 du 28 février 1995 du Commissariat aux assurances luxembourgeois relative aux règles prudentielles en assurance-vie (p. 6), est un fonds dédié « tout ensemble d’actifs personnalisé auquel un contrat d’assurance ou de capitalisation est adossé et qui fait l’objet d’une gestion spécifique. » Le fonds est le support exclusif d’un contrat, constitué pour un preneur d’assurance sur la vie. Plus récemment, la définition suivante a été donnée : « fonds interne, à lignes directes ou non, ne comportant pas une garantie de rendement et servant de support à un seul contrat » (Lettre-circ. Commissariat aux assurances luxembourgeois 01/8, 21 nov. 2001, p. 4).
Ainsi, l’article 12 du règlement grand-ducal luxembourgeois du 14 décembre 1994 prévoit que « lorsque les prestations prévues par un contrat sont liées directement à la valeur de parts d’un organisme de placement collectif ou à la valeur d’actifs contenus dans un fonds interne détenus par l’entreprise d’assurances, généralement divisé en parts, les provisions techniques concernant ces prestations doivent être représentées le plus étroitement possible par ces parts ou, lorsque les parts ne sont pas définies, par ces actifs. »
Lettre-circ. Commissariat aux assurances luxembourgeois 95/3, 28 févr. 1995, préc., p. 6. Dans le même sens, v. Lettre-circ. Commissariat aux assurances luxembourgeois 01/8, 21 nov. 2001, pt 5.3.4 ; Lettre-circ. Commissariat aux assurances luxembourgeois 08/1, 2 janv. 2008, pt 5.3.5.
Ainsi, la lettre-circulaire 15/3 du Commissariat aux assurances luxembourgeois du 24 mars 2015 (p. 15) prévoit que : « Pour les fonds dédiés de type D [investissement de plus de 2,5 millions d’euros, comme en l’espèce] les investissements pourront se faire sans restrictions dans toutes catégories d’instruments financiers et en comptes bancaires de toute nature, y compris les comptes de métaux précieux, à l’exclusion toutefois de tout autre actif » (nous soulignons). Ainsi, de 1995 à 2015, il ne paraît pas avoir existé d’obligation de versement des primes par apport de titre sur le fondement d’une réglementation prudentielle luxembourgeoise à l’égard des fonds dédiés fermés.
L’article 137 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a modifié, avec application aux contrats en cours, les conditions de sortie des contrats d’assurance sur la vie par « la remise de titre » au contractant ou au bénéficiaire (C. assur., art. L. 131-1, al. 2 et s.). Elle n’a pas affecté le régime de versement des primes.
Audition de la secrétaire générale adjointe de l’ACPR, séance du 6 mai 2015 (accessible sur le site Internet du Sénat).
V. M. Ho-Dac, La loi du pays d’origine en droit de l’Union européenne, Bruylant, Bruxelles, 2012 ; B. Mathieu, Directives européennes et conflits de lois, thèse Paris 2, 2012 ; V. Heuzé, « De la compétence de la loi du pays d’origine en matière contractuelle ou l’anti-droit européen », in Mélanges P. Lagarde, Dalloz, 2005, p. 393 ; M. Laazouzi, « La clause “Marché intérieur” », in T. Azzi et O. Boskovic (dir.), Quel avenir pour la théorie générale des conflits de lois ?, Bruylant, Bruxelles, 2015, p. 205 et s.
Communication interprétative de la Commission – Liberté de prestation de services et intérêt général dans le secteur des assurances, 2000/C 43/03 : JOCE C 043, 16 févr. 2000, p. 5 et s., spéc. p. 15 et s.
La même règle figure désormais au sein de la directive Solvabilité II (art. 180).
Op. cit., n° 2604.
Désormais sur le fondement de l’article 14 de la directive Solvabilité II.
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