Faut-il décontractualiser la réparation du dommage corporel ?
L’avant-projet de loi portant réforme du droit de la responsabilité préconise, en son article 1233, alinéa 2, de soustraire à la responsabilité contractuelle l’ensemble du contentieux des dommages corporels. Cette étude est destinée à fournir une analyse critique de cette proposition, à mettre en avant ses conséquences ainsi qu’à soumettre au débat des solutions alternatives.
1. En publiant le 29 avril 2016 un avant-projet de loi portant réforme du droit de la responsabilité, le ministère de la Justice a ouvert la voie pour une modernisation de la seule branche du droit des obligations qui n’a pas été refondue par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. L’une des questions majeures de cette « deuxième réforme » du droit des obligations sera celle de l’avenir de la responsabilité contractuelle et de ses liens avec la responsabilité délictuelle. Consacrée par l’avant-projet Catala1, refoulée par les rédacteurs du projet Terré2, l’idée d’une responsabilité fondée sur le non-respect d’une obligation contractuelle est au cœur d’un vaste débat doctrinal. C’est dire le suspense qui régnait parmi les spécialistes du droit de la responsabilité avant la publication du texte ministériel, car nul n’a pu[...]
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Avant-projet Catala, art. 1341. Pour une présentation détaillée de cette proposition, v. G. Viney, « Exposé des motifs », in P. Catala (dir.), Rapport sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations (Articles 1101 à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (Articles 2234 à 2281 du Code civil), Doc. fr., 2005, p. 161 et s., spéc. p. 163.
Projet Terré, art. 117 : « Des dommages et intérêts dus en cas d’inexécution du contrat ». V. P. Rémy, « Les dommages et intérêts », in F. Terré (dir.), Pour une réforme du droit de la responsabilité civile, Dalloz, 2011, p. 281 et s.
Avant-projet de loi, art. 1233, al. 1er.
V. par exemple, Cass. 3e civ., 13 juill. 2016, n° 15-22961 : « étaient réunies les conditions de la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle de la société Cobat constructions » (c’est nous qui soulignons).
Pour une brève présentation des éléments du débat et les principales contributions doctrinales, v. not. P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, Litec, 3e éd., 2014, nos 85 à 87. Sur les décisions ayant pu être interprétées dans le sens d’un abandon du concept de la responsabilité contractuelle, v. E. Savaux et R.-N. Schütz, « Exécution par équivalent, responsabilité et droits subjectifs. Réflexions à partir du contrat de bail », in Propos sur les obligations et quelques autres thèmes fondamentaux du droit – Mélanges offerts à Jean-Luc Aubert, Dalloz, 2005, p. 271 et s., spéc. nos 7 et s.
Un vaste débat s’est engagé, au cours des dernières années, autour de l’idée d’une hiérarchisation des intérêts protégés. Parmi les contributions récentes, v. J.-S. Borghetti, « Les intérêts protégés et l’étendue des préjudices réparables en droit de la responsabilité civile extracontractuelle », in Études offertes à Geneviève Viney, LGDJ, 2008, p. 145 et s., spéc. p. 166 et s. ; C. Quézel-Ambrunaz, « La responsabilité civile et les droits du titre I du Livre I du Code civil : à la découverte d’une hiérarchisation des intérêts protégés » : RTD civ. 2012, p. 251 ; G. Viney, « Les intérêts protégés par le droit de la responsabilité civile. Synthèse », in GRERCA (dir.), Le droit français de la responsabilité civile confronté aux projets européens d’harmonisation, IRJS éditions, 2012, p. 149.
V. Avant-projet, art. 1240, 1254, in fine, et 1281, al. 2. Pour un commentaire de ces textes, v. notre contribution au numéro spécial « Avant-projet de loi portant réforme de la responsabilité civile – Observations et propositions de modifications » : JCP G 2016, suppl. n° 30-35, p. 9, spéc. nos 15 à 22.
Pour une appréciation critique de cette évolution, v. notre contribution précitée au numéro spécial « Avant-projet de loi portant réforme de la responsabilité civile – Observations et propositions de modifications », spéc. nos 4 à 8.
Sur le contexte historique de la consécration de l’obligation de sécurité, v. J.-L. Halpérin, « La naissance de l’obligation de sécurité » : Gaz. Pal. Rec. 1997, doct., p. 1176. V. égal. C. Bloch, L’obligation contractuelle de sécurité, PUAM, 2002, nos 1 à 7, avec des réf.
L’existence d’une obligation contractuelle de sécurité de l’employeur et son étendue ont été affirmées avec éclat par la chambre sociale de la Cour de cassation dans le contentieux des travailleurs de l’amiante, v. Cass. soc., 28 févr. 2002 (29 arrêts). Cette figure juridique joue, en droit du travail, un rôle spécifique en raison des particularités de l’indemnisation des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Sur l’incidence d’une décontractualisation de la réparation du dommage corporel sur cette jurisprudence, v. infra n° 29 (note 57).
V. en dernier lieu, Cass. 1re civ., 15 déc. 2001, nos 10-23528 et 10-24545 : chute d’un mur d’escalade situé dans les locaux d’une association sportive tenue d’une obligation de sécurité de résultat.
V. en dernier lieu, Cass. 1re civ., 28 juin 2012, n° 10-28492 : responsabilité d’un restaurateur pour le dommage subi par un mineur utilisant une aire de jeux dépendant de son établissement.
C. Bloch, L’obligation contractuelle de sécurité, op. cit., n° 7.
G. Viney, « Rapport de synthèse » : Gaz. Pal. Rec. 1997, doct., p. 1212 et s., spéc. p. 1215.
G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 4e éd., 2013, n° 501-1.
P. Rémy, « La “responsabilité contractuelle” : histoire d’un faux concept » : RTD civ. 1997, p. 323 et s., spéc. p. 338.
P. Stoffel-Munck, L’abus dans le contrat. Essai d’une théorie, thèse Aix-Marseille 3, LGDJ, 2000, n° 174. Pour une critique plus circonstanciée de l’obligation de sécurité sous cet angle, v. aussi M. Bacache-Gibeili, La relativité des conventions et les groupes de contrats, thèse Paris II, LGDJ, 1996, nos 68 et s., l’auteur distinguant les obligations de sécurité « simplement et doublement accessoires ».
Dans ce contexte, la célèbre formule des « bras cassés » est reprise quasi systématiquement. V. J. Carbonnier, Droit civil, t. 4, Les obligations, PUF, 22e éd., 2000, n° 295 (« c’est artifice de faire entrer [dans le champ de la responsabilité contractuelle] des bras cassés et des morts d’homme ; les tragédies sont de la compétence des articles 1382 et suivants »). V. aussi les références recensées et commentées par P. Jacques, in Regards sur l’article 1135 du Code civil, thèse Paris XII, Dalloz, 2005, n° 413 (spéc. p. 876, note 4, et p. 877, notes 1 à 3).
Citons, à titre d’exemple, le contrat de restauration (v. supra, note 12).
V. not. J. Huet, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, thèse Paris 2, 1978, p. 334 et s. (critère des « conditions de fait où pourrait se trouver identiquement un tiers »), et G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, op. cit., n° 501-1 (critère du « risque particulier d’accident corporel »). V. égal. la présentation des autres tentatives d’explication de C. Bloch, L’obligation contractuelle de sécurité, op. cit., nos 65 et s., avec de nombreuses réf.
D. Mazeaud, « Le régime de l’obligation de sécurité » : Gaz. Pal. Rec. 1997, doct., p. 1203 (« imprévisible et éclatée »). En ce sens, v. aussi G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, n° 501, in fine.
Sur cette fragmentation de l’obligation de sécurité, v. J. Bellissent, Contribution à l’analyse de la distinction des obligations de moyens et des obligations de résultat, thèse Montpellier 1, LGDJ, 2001, nos 586 et 692 et s.
Y. Lambert-Faivre, « Fondement et régime de l’obligation de sécurité » : D. 1994, Chron., p. 81, et P. Jourdain, « L’obligation de sécurité (À propos de quelques arrêts récents) » : Gaz. Pal. Rec. 1993, doct., p. 1171.
L’argument est assez ancien. V. déjà la célèbre étude de P. Esmein, « La chute dans l’escalier » : JCP G 1956, I, 1321. V. aussi P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, op. cit., n° 121, et C. Bloch, L’obligation contractuelle de sécurité, op. cit., n° 270, avec des réf. Tel semble aussi avoir été l’argument décisif pour le groupe Terré qui s’est prononcé en faveur de la compétence exclusive de la responsabilité délictuelle pour les dommages corporels (Projet Terré, art. 3). V. P. Rémy et J.-S. Borghetti, « Présentation du projet de réforme de la responsabilité délictuelle », in F. Terré (dir.), Pour une réforme du droit de la responsabilité civile, op. cit., p. 61, spéc. n° 8.
On pourrait par exemple imaginer un accident ferroviaire, lors d’un arrêt en gare, qui occasionne des victimes parmi les passagers à bord, parmi ceux se préparant à monter à bord et parmi de simples accompagnants restés à quai. V. aussi Cass. 3e civ., 15 oct. 1970 : Gaz. Pal. Rec. 1971, jur., p. 214, obs. G. Durry : une glace posée par un vitrier s’était brisée sur le maître d’ouvrage, mais aurait très bien pu blesser un tiers.
Pour une synthèse des propositions, v. C. Bloch, L’obligation contractuelle de sécurité, op. cit., nos 223 et s.
Sur ces cas de figure, v. plus en détail infra, n° 25.
Curieusement, cet aspect de la question est assez peu abordé dans les études sur l’obligation contractuelle de sécurité.
Pour une présentation générale de la spécificité de la responsabilité contractuelle, v. G. Viney, Introduction à la responsabilité, LGDJ, 3e éd., 2008, nos 176 et s. ; J.-C. Saint-Pau, J.-Cl. Civil, Art. 1146 à 1155, Fasc. 15, et P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, op. cit., nos 95 et s. Sur les changements que propose l’avant-projet de loi à cet égard, v. P. Stoffel-Munck, « La singularité de la responsabilité contractuelle » : JCP G 2016, suppl. n° 30-35, p. 30.
V. not. P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, op. cit., n° 95.
L’exemple le plus souvent invoqué est celui de la victime d’un dommage corporel, créancière d’une obligation de sécurité de moyens, qui est déboutée de son action en réparation pour n’avoir pas su établir la négligence du cocontractant, alors qu’elle aurait pu obtenir indemnisation sur le fondement de la responsabilité délictuelle du fait des choses. Cependant, la situation inverse peut également se présenter. V. infra, nos 27 et s.
Sur ce texte, v. l’étude classique I. Defrénois-Souleau, La prévisibilité du dommage corporel, thèse Paris 2, 1979, mais aussi les travaux plus récents, A. Pinna, La mesure du préjudice contractuel, thèse Paris 2, LGDJ, 2007, nos 22 à 29, et V. Baele, Le préjudice dans la responsabilité contractuelle, thèse Chambéry, 2008.
Ce phénomène de marginalisation de l’article 1150 du Code civil est plus général et déjà ancien. V. not. I. Defrénois-Souleau, La prévisibilité du dommage corporel, thèse précitée, n° 12 : « Il est maintenant très rare qu’une exonération du dommage imprévisible soit obtenue en vertu de l’article 1150. L’incompréhension de la signification du texte, et de son interprétation actuelle, l’a fait tomber en désuétude, alors que de nombreux contractants pourraient en bénéficier si seulement ils l’invoquaient à bon escient. » V. égal. O. Bustin, « Les présomptions de prévisibilité du dommage contractuel » : D. 2012, p. 238, et H. Boucard, Rép. civ. Dalloz, V° « Responsabilité contractuelle », 2014, nos 411 et s.
P. Delebecque, J.-Cl. Civil, Art. 1146 à 1155, Fasc. 21, nos 14 et s., avec de nombreuses réf.
V. not. D. Mazeaud, « Les conventions portant sur la réparation » : RDC 2007, p. 149, spéc. n° 7, et P. Delebecque, J.-Cl. Civil, Art. 1146 à 1155, préc., nos 91 et s.
C’est nous qui soulignons.
Sur cette disposition de l’avant-projet, v. O. Gout, « Les conventions sur la réparation – Articles 1281 à 1283 et 1284 » : JCP G 2016, suppl. n° 30-35, p. 47 ; v. égal. notre contribution précitée au numéro spécial « Avant-projet de loi portant réforme de la responsabilité civile – Observations et propositions de modifications ».
F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 11e éd., 2013, nos 1079 et s. ; B. Grimonprez, Rép. civ. Dalloz, V° « Mise en demeure », 2009, nos 10 et s., et R. Libchaber, « Demeure et mise en demeure en droit français », in M. Fontaine et G. Viney (dir.), Les sanctions de l’inexécution des obligations contractuelles. Études de droit comparé, Bruylant-LGDJ, 2001, p. 113.
Cass. ch. mixte, 6 juill. 2007, n° 06-13823. Sur cet important arrêt, v. B. Grimonprez, V° « Mise en demeure », préc., nos 39 et s., ainsi que F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Les obligations, op. cit., n° 1084.
V. not. P. Meyer et V. Heuzé, Droit international privé, LGDJ-Lextenso, 11e éd., 2014, p. 501 et s., ainsi que D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, t. 2, Partie spéciale, PUF, 3e éd., 2014, p. 357 et s.
J. Bigot (dir.), Traité de droit des assurances, t. 2, Le contrat d’assurance, LGDJ, 2e éd., 2014, nos 1582 et s., et A. Astegiano-La Rizza, Les assurances de responsabilité de l’entreprise, éd. L’Argus de l’assurance, 6e éd., 2014, p. 148.
V. supra, n° 17, et note 31.
V not. F. Chabas, Le droit des accidents de la circulation après la réforme du 5 juillet 1985, Litec, 2e éd., 1988, nos 178 et 192, à propos du préjudice vestimentaire et des appareils destinés à corriger des infirmités corporelles.
P. le Tourneau (dir.), Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 10e éd., 2014/2015, nos 1022 et 1023. V. aussi, dans une perspective de droit comparé, G. Viney, « Pour une interprétation modérée et raisonnée du refus d’option entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle » : McGill Law Journal 1994, vol. 39, p. 813 et s., spéc. p. 820.
H. Lécuyer, « Le contrat, acte de prévision », in L’avenir du droit – Mélanges en l’honneur de François Terré, Dalloz, 1999, p. 643.
P. Jacques, Regards sur l’article 1135 du Code civil, thèse précitée, n° 413, l’auteur préférant l’expression « obligation complétive ». V. égal. F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Les obligations, op. cit., n° 454.
En ce sens, v. aussi P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, op. cit., nos 122 et 124.
Comp. P. Le Tourneau et M. Poumarède, J.-Cl. Civil, Art. 1136 à 1145, Fasc. 30, 2014, n° 8 : « Si la personne est l’objet principal du contrat, les dommages corporels qu’elle serait amenée à subir entreraient d’office dans le champ contractuel, dans le domaine de la responsabilité contractuelle, sans avoir besoin d’avoir recours à une notion d’appoint. »
Sur cette catégorie, v. C. Bloch, L’obligation contractuelle de sécurité, op. cit., nos 97 à 99. Comp. J.-S. Borghetti, « L’avant-projet de réforme de la responsabilité civile. Vue d’ensemble de l’avant-projet » : D. 2016, p. 1386, n° 39, l’auteur citant l’exemple d’un contrat de « protection rapprochée ».
Sur la catégorie résiduelle des contrats médicaux ne relevant pas de la législation spécifique issue de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, v. le dossier « Feu l’arrêt Mercier ? » : RDC 2011, p. 335 et s.
Comp. P. Jacques, Regards sur l’article 1135 du Code civil, thèse précitée, n° 413, l’auteur appliquant ce raisonnement même à l’obligation accessoire de sécurité. V. aussi dans la continuité de cette étude, P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, op. cit., n° 124, note 439 : « Il y a, nous semble-t-il, dans ce genre de situations contractuelles, une véritable créance de sécurité que le client est susceptible de faire valoir avant même la réalisation du dommage. »
Sur les Règles uniformes concernant le contrat de transport international ferroviaire des voyageurs et des bagages (RU CIV 1999) et leur application dans l’ordre interne en vertu du droit européen depuis 2009, v. infra, note 59.
Cass. 1re civ., 1er juill. 1969, n° 67-10230 : « à partir du moment où le voyageur commence à monter dans le véhicule et jusqu’au moment où il achève d’en descendre. » Sur cette solution, v. G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, op. cit., n° 553, et P. le Tourneau et M. Poumarède, J.-Cl. Civil, Art. 1136 à 1145, préc., n° 25.
V. P. le Tourneau (dir.), Droit de la responsabilité et des contrats, op. cit., n° 4473 : « Le doute profite au voyageur. » Sur les causes d’exonération recevables (force majeure, fait du tiers et faute de la victime), v. P. le Tourneau et M. Poumarède, J.-Cl. Civil, Art. 1136 à 1145, préc., nos 26 à 29.
F. Defferrard, « Une analyse de l’obligation de sécurité à l’épreuve de la cause étrangère » : D. 1999, Chron., p. 364, spéc. n° 19.
Comp. D. Thouvenin, « Les arrêts de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 29 juin 1999) ou les masques de la faute » : D. 1999, Jur., p. 560 et s., spéc. p. 566 : « Ne porter l’attention que sur la seule indemnisation contribue à donner de cette question une vision faussée, puisqu’elle induit l’idée qu’en son absence la victime ne reçoit rien. »
Il n’est pas certain non plus que les travailleurs, bénéficiaires d’une obligation de sécurité de résultat, ne puissent retirer que des avantages d’une décontractualisation. Certes, la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles n’est plus aujourd’hui l’effet d’une responsabilité contractuelle de l’employeur, mais résulte d’une prise en charge par la sécurité sociale. Néanmoins, la jurisprudence de la Cour de cassation retient une faute inexcusable de l’employeur, dès lors qu’il contrevient à une obligation de sécurité. Que resterait-il de cette solution en cas d’adoption en l’état de l’article 1233, alinéa 2, de l’avant-projet ?
De telles lois spécifiques existent dans d’autres systèmes juridiques. V. pour le droit allemand, Haftpflichtgesetz, § 1 ; pour le droit suisse, loi sur la responsabilité civile des entreprises de chemins de fer, art. 1er ; ainsi que pour le droit néerlandais, C. civ. néerlandais, art. 8:105. Pour une étude récente de droit comparé, v. W. Ernst (dir.), The Development of Traffic Liability, Cambridge University Press, 2010.
C. Bloch, L’obligation contractuelle de sécurité, op. cit., n° 298 et note 519. S’agissant du transport ferroviaire de personnes, une responsabilité objective résulte désormais de l’application des articles 26 à 31 des Règles uniformes concernant le contrat de transport international ferroviaire des voyageurs et des bagages (RU CIV 1999), y compris pour les trajets nationaux, en vertu de l’article 11 du règlement européen n° 1371/2007/CE sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires. Ces règles n’affectent cependant pas l’application du droit national pour les accidents de quai et les accidents au cours de correspondances. V. sur ce point, S. Calme, J.-Cl. Transports, Fasc. 650, 2012, n° 36 et O. Gout, in I. Bon-Garcin (dir.), Droit du transport de passagers, Larcier, 2016, nos 99 et s.
La suppression de cette exception n’aura cependant pour effet d’étendre à l’ensemble des accidents ferroviaires le régime très favorable issu de la loi Badinter. On peut par exemple citer les accidents survenus à bord d’un train (en cas de chute dans un escalier de TGV ou d’une couchette, par exemple).
V. par ex., sur l’obligation de sécurité de résultat pesant sur l’hôtelier, le restaurateur et l’organisateur d’événements sportifs ou de spectacles, P. le Tourneau et M. Poumarède, J.-Cl. Civil, Art. 1136 à 1145, préc., spéc. n° 58 : « Cela n’empêcherait évidemment pas le tenancier d’établir que le dommage résulte d’une cause étrangère, mais il resterait responsable de ceux dont l’origine est inconnue » (c’est nous qui soulignons). V. également J.-S. Borghetti, « L’avant-projet de réforme de la responsabilité civile… », préc., nos 37 et 38, l’auteur citant l’exemple du dommage causé par un sous-traitant du cocontractant qui ne peut être qualifié de préposé. En ce sens aussi, C. Lequillerier, « Commentaire de l’article 1233, alinéa 2 de l’avant-projet de loi portant réforme de la responsabilité civile » : LPA 14 sept. 2016, n° 120f5, p. 6 et s., spéc. p. 9.
V. supra, n° 14.
Sur cette option, v. aussi C. Bloch, L’obligation contractuelle de sécurité, op. cit., nos 267 à 275.
V. supra, nos 25 et 26.
V. supra, nos 27 à 30.
On pourrait également penser à recourir au critère du risque spécifique ou à celui tenant aux conditions de l’accident, proposés par la doctrine (v. supra, n° 10), mais ceux-ci présentent l’inconvénient d’être dépourvus d’assise en droit positif.
V. not. P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, op. cit., n° 124 : « Qui ne voit l’impression d’artifice que ne manquerait pas de laisser l’application des règles de la responsabilité délictuelle aux dommages subis par les passagers au cours d’un transport (…) ? ». V. aussi l’exemple donné par cet auteur du contrat conclu par le client d’une attraction foraine (note 439). Dans ces deux cas, la sauvegarde de l’intégrité physique est-elle l’objet d’une obligation essentielle ou faut-il la considérer comme un simple accessoire à la prestation principale ?
Avant-projet Catala, art. 1341, al. 2 : « Toutefois, lorsque cette inexécution provoque un dommage corporel, le cocontractant peut, pour obtenir réparation de ce dommage, opter en faveur des règles qui lui sont plus favorables. »
G. Viney, « Exposé des motifs », préc., p. 164.
Cette critique est également mise en avant par C. Bloch, in L’obligation contractuelle de sécurité, op. cit., n° 232 : « Cette proposition (…) se contente, en effet, d’étouffer les inconvénients pratiques de la qualification contractuelle. »
V. supra n° 30.
P. Rémy et J.-S. Borghetti, « Présentation du projet de réforme de la responsabilité délictuelle », préc., n° 8.
Comp. G. Viney, « Pour une interprétation modérée et raisonnée du refus d’option entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle », préc., p. 827 : « Le juge ne devrait jamais perdre de vue la raison d’être des règles qu’il applique. S’il donne [au principe de « non-cumul »], aussi justifié soit-il, une portée absolue et s’il l’applique ensuite systématiquement et mécaniquement, sans prendre garde aux conséquences, celles-ci se révèlent, tôt ou tard, inadaptées, souvent néfastes et parfois même contraires au but recherché. »
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Plan
- 1Pour une réforme ambitieuse de la responsabilité contractuelle
- 1.1Avant-projet de loi de réforme de la responsabilité civile
- 1.2Législation inachevée
- 1.3Les contrats portant sur la réparation d’un préjudice
- 1.4Un projet à refaire
- 1.5Faut-il distinguer les dommages et intérêts compensatoires des dommages et intérêts en lieu et place de la prestation ?
- 1.6La responsabilité du fait de l’inexécution d’une obligation contractuelle : un régime de compromis
- 1.7Faut-il décontractualiser la réparation du dommage corporel ?
- 1.8Pour une reconnaissance de la spécificité contractuelle dans les effets de la responsabilité
- 1.8.1I – La définition de la réparation (art. 1258)
- 1.8.2II – La réparation en nature (art. 1259 à 1261) et la cessation de l’illicite (art. 1232)
- 1.8.3III – Les dommages et intérêts (art. 1262 à 1264, et 1251)
- 1.8.4IV – L’amende civile (art. 1266) et la restitution des profits
- 1.8.5V – Synthèses des propositions sur les effets (chap. IV, sect. 1)