La responsabilité du fait de l'inexécution d'une obligation contractuelle : un régime de compromis
La responsabilité contractuelle existe ! On la rencontre dans l’avant-projet portant réforme de la responsabilité civile. Pourtant, elle est, dans le même temps, débarrassée des atours qui ont fondé sa révélation tardive (obligation de sécurité, distinction des obligations de moyens et de résultat, identité de la faute délictuelle et de l’inexécution contractuelle, etc.). Consacrée mais épurée, l’avant-projet marquerait-il un retour à un hypothétique âge d’or de la responsabilité contractuelle ? Plus sûrement, il s’agit d’un régime de compromis qui invite à sauter le pas en faveur de l’exécution par équivalent.
Consécration de la responsabilité contractuelle. – La responsabilité contractuelle, dont l’existence même est en débat depuis de longues années, est consacrée par l’article 1250 de l’avant-projet portant réforme de la responsabilité civile présenté le 29 avril 2016. Si l’avant-projet était adopté en l’état, il serait mis fin aux joutes doctrinales ayant opposé, jusqu’outre-Atlantique1, quelques auteurs2, peu nombreux, pour lesquels la responsabilité contractuelle ne serait qu’un « faux concept »3, à la majeure partie de la doctrine favorable à une responsabilité contractuelle, qui n’est[...]
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D. Gardner et B. Moore, « La responsabilité contractuelle dans la tourmente » : Les Cahiers de droit, Université de Laval (Québec), vol. 48, 2007, p. 543.
Not. P. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action 2014-2015, nos 802 et s., et « Brefs propos critiques sur la “responsabilité contractuelle” dans l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité » : D. 2007, p. 2180 ; D. Tallon, « L’inexécution du contrat : pour une autre présentation » : RTD civ. 1994, p. 223, et « Pourquoi parler de faute contractuelle ? », in Mélanges G. Cornu, PUF, 1994, p. 429 ; P. Rémy, « Critique du système français de responsabilité civile » : Droit et cultures 1996/1, p. 31, et « La “responsabilité contractuelle” : histoire d’un faux concept » : RTD civ. 1997, p. 323 ; P. Rémy-Corlay, « Exécution et réparation : deux concepts ? » : RDC 2005, p. 13.
P. Rémy, « Critique du système français de responsabilité civile », préc.
L’article 1100-2 devrait être rédigé ainsi : « Les obligations qui naissent d’un fait juridique sont régies, selon le cas, par le sous-titre relatif à la responsabilité civile ou le sous-titre relatif aux autres sources d’obligations. »
A. Brun, Rapports et domaines des responsabilités contractuelle et délictuelle, thèse Lyon, Sirey, 1930, n° 999, p. 516.
D. Bakouche, « De l’ordonnance du 10 février 2016 à l’avant-projet de loi portant réforme de la responsabilité civile : inconstance idéologique ? » : Resp. civ. et assur. 2016, repère 7.
V. néanmoins F. Terré (dir.), Pour une réforme du droit des contrats, Dalloz, 2009.
Avant-projet Catala, art. 1341 : « En cas d’inexécution d’une obligation contractuelle, ni le débiteur ni le créancier ne peuvent se soustraire à l’application des dispositions spécifiques à la responsabilité contractuelle pour opter en faveur de la responsabilité extracontractuelle. Toutefois, lorsque cette inexécution provoque un dommage corporel, le cocontractant peut, pour obtenir réparation de ce dommage, opter en faveur des règles qui lui sont plus favorables. »
H. Kelsen, Théorie pure du droit, Bruylant-LGDJ, coll. La pensée juridique, 1999, p. 256, et du même auteur, « La théorie juridique de la convention », in « Le problème du contrat » : Archives de philosophie du droit (Sirey) 1940, p. 33 : « Si la convention a “force obligatoire”, si elle a l’effet d’obliger les sujets contractants à une conduite à laquelle ils n’étaient pas obligés auparavant, cela signifie que la convention a créé une norme qui n’existait pas avant la conclusion de la convention : c’est-à-dire une norme qui stipule cette conduite bien déterminée (...) » ; adde : P. Amselek, « L’acte juridique à travers la pensée de C. Eisenmann », in La pensée de C. Eisenmann, Economica, 1986, p. 30 : Eisenmann définit les actes juridiques comme « des actes prévus, institués par le droit, et qui consistent à instituer des normes, des normes juridiques ».
V. P. Rémy, « Critique du système français de responsabilité civile », préc., n° 16, p. 336.
M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil conforme au programme officiel des Facultés de droit, t. II, Les preuves – Théorie générale des obligations – Les contrats – Privilèges et hypothèques, Pichon, 2e éd., 1902, n° 863, p. 262, et du même auteur, « Études sur la responsabilité civile, Première étude, Du fondement de la responsabilité » : Rev. crit. lég. et jur., 1905, p. 277 et s., spéc. p. 287.
P. Rémy, « Critique du système français de responsabilité civile », préc. Adde : G. Ripert, Traité élémentaire de droit civil de Marcel Planiol, t. II, Obligations – Contrats – Sûretés réelles, LGDJ, nouvelle éd., 1943, n° 935, p. 320 : selon l’auteur, la jurisprudence considère que « la faute contractuelle est de même nature que la délictuelle. »
D. Gardner et B. Moore, « La responsabilité contractuelle dans la tourmente », préc., p. 548.
Bien entendu, Planiol n’est pas le premier à avoir parlé de faute en matière contractuelle, mais il a contribué à son essor en la rapprochant de la faute délictuelle (v. C. Larroumet, « Pour la responsabilité contractuelle », in Le droit privé à la fin du XXe siècle, Études offertes à Pierre Catala, Litec, 2001, p. 543, spéc. n° 8, p. 548).
P. Rémy, « Critique du système français de responsabilité civile », préc., n° 12, p. 332.
V. la thèse de M. Faure-Abbad, Le fait générateur de la responsabilité contractuelle (contribution à la théorie de l’inexécution du contrat), préf. P. Rémy, LGDJ, 2003.
J. Carbonnier, Droit civil, IV, Les obligations, PUF, 21e éd., 2000, n° 154.
Par ex. J. Bonnecase, Supplément au Traité de Baudry-Lacantinerie, t. II, 1925, 3e Partie, Chap. IV, n° 501 : « Dans notre système juridique, le principe général de la responsabilité a son fondement dans les articles 1382 et suivants ; l’organisation de la responsabilité contractuelle étant un dérivé et une adaptation particulière de la responsabilité délictuelle, celle-ci est donc susceptible d’intervenir à tout moment. »
A. Tunc, La responsabilité civile, Economica, 1989, p. 44.
V. par ex. P. Rémy-Corlay, « Exécution et réparation : deux concepts ? », préc., qui insiste sur le fait que pour une part importante de la doctrine, « les dommages et intérêts en matière contractuelle n’auraient pas pour raison le contrat, ni même l’inexécution du contrat, mais trouveraient leur fondement dans la faute du débiteur. »
M. Latina, « Les obligations de moyens et de résultat (art. 1250) » : Blog Réforme du droit des obligations, Dalloz.
En ce sens, v. J. Bellissent, Contribution à l’analyse de la distinction des obligations de moyens et des obligations de résultat, thèse (dactyl.), Montpellier, 1999, n° 84, p. 54 : l’auteur montre l’attachement de Demogue à la thèse de Planiol.
R. Demogue, Traité des obligations en général, I, Sources des obligations, t. V, Rousseau, 1925, n° 1237, p. 543, et n° 1238, p. 544.
L’inexécution d’une obligation de résultat est parfois assimilée à une faute, v. C. Radé, « L’impossible divorce de la faute et de la responsabilité civile » : D. 1998, Chron., p. 301 et s., spéc. n° 17, p. 305. Comp. V. Perruchot-Triboulet, Régime général des obligations et responsabilité civile, thèse Aix-Marseille 3, PUAM, 2002, n° 394, p. 190 : l’auteur relève qu’il existe « un risque de galvauder ou d’affadir la notion de faute », et ajoute que « lorsque tout est fautif, rien ne l’est ».
G. Cornu, Regards sur le titre III du Livre III du Code civil « Des contrats ou des obligations conventionnelles en général », Essai de lecture d’un titre du code, Cours de DEA de droit privé, Les Cours de droit, 1976, n° 80, p. 65.
L. Thibierge, « La responsabilité des contractants à l’égard des tiers (art. 1234) » : Blog Réforme du droit des obligations, Dalloz, selon lequel « l’article 1234 abandonne la jurisprudence Boot Shop et restitue à la faute contractuelle sa relativité. »
En ce sens, v. D. Tallon, « Pourquoi parler de faute contractuelle ? », in Écrits en hommage à G. Cornu, PUF, 1995, p. 429 et s., spéc. p. 437 ; comp. en droit anglais, J. A. Jolowicz (dir.), Droit anglais, Dalloz, coll. Précis, 2e éd., 1992, n° 189, p. 137 : « Pour le juriste anglais, il va de soi que l’inexécution (breach) implique la responsabilité, et la question de faute ne se pose pas. »
P. Rémy, « Critique du système français de responsabilité civile », préc.
M. Latina, « Les obligations de moyens et de résultat (art. 1250) », préc.
Y.-M. Laithier, Étude comparative des sanctions de l’inexécution du contrat, LGDJ, 2004, n° 105.
P. Rémy, « Critique du système français de responsabilité civile », préc., n° 3.
P. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, op. cit., n° 806.
En ce sens, v. P. Rémy-Corlay, « Exécution et réparation : deux concepts ? », préc.
P. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, op. cit., n° 810.
Ibid., n° 807, et la jurisprudence citée.
Comp. J. Huet, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, Essai de délimitation entre les deux ordres de responsabilité, thèse Paris II, 1978.
G. Viney : JCP G 1999, I, 147, n° 3.
P. Rémy-Corlay, « Exécution et réparation : deux concepts ? », préc.
Il est au demeurant bien difficile de dire si les divers projets européens consacrent la responsabilité contractuelle (v. en ce sens, P. Ancel, « La responsabilité contractuelle », in P. Rémy-Corlay et D. Fenouillet [dir.], Les concepts contractuels français à l’heure des Principes du droit européen des contrats, Dalloz, coll. Thèmes & commentaires, 2003, p. 243) ou la théorie de l’exécution par équivalent (v. en ce sens P. Le Tourneau, « Brefs propos critiques sur la “responsabilité contractuelle” dans l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité », préc.).
P. Rémy, « Critique du système français de responsabilité civile », préc., n° 1.
D. Tallon, « L’inexécution du contrat : pour une autre présentation », préc.
Sur les avantages de la thèse de l’exécution par équivalent, v. la synthèse de P. Rémy-Corlay, in « Exécution et réparation : deux concepts ? », préc.
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Plan
- 1Pour une réforme ambitieuse de la responsabilité contractuelle
- 1.1Avant-projet de loi de réforme de la responsabilité civile
- 1.2Législation inachevée
- 1.3Les contrats portant sur la réparation d’un préjudice
- 1.4Un projet à refaire
- 1.5Faut-il distinguer les dommages et intérêts compensatoires des dommages et intérêts en lieu et place de la prestation ?
- 1.6La responsabilité du fait de l’inexécution d’une obligation contractuelle : un régime de compromis
- 1.7Faut-il décontractualiser la réparation du dommage corporel ?
- 1.8Pour une reconnaissance de la spécificité contractuelle dans les effets de la responsabilité
- 1.8.1I – La définition de la réparation (art. 1258)
- 1.8.2II – La réparation en nature (art. 1259 à 1261) et la cessation de l’illicite (art. 1232)
- 1.8.3III – Les dommages et intérêts (art. 1262 à 1264, et 1251)
- 1.8.4IV – L’amende civile (art. 1266) et la restitution des profits
- 1.8.5V – Synthèses des propositions sur les effets (chap. IV, sect. 1)