La prescription de l'obligation d'entretien de l'enfant
Dans deux arrêts convergents, la Cour de cassation vient rappeler qu’en cas d’établissement d’une paternité dont la déclaration remonte à la naissance de l’enfant, la règle « Aliments n’arréragent pas » est inapplicable à la contribution à son entretien, ce qui n’empêche pas cette contribution d’être soumise à l’article 2224 du Code civil, qui l’expose à une prescription quinquennale.
Cass. 1re civ., 25 mai 2016, n° 15-17993
Cass. 1re civ., 22 juin 2016, n° 15-21783
Deux arrêts récents invitent à interroger la dette d’entretien de l’enfant, dont le régime se révèle singulier. De l’un à l’autre, les faits se ressemblaient étrangement, jusqu’au prénom des enfants qui se trouve être le même. Dans les deux cas, Martin X n’avait eu de filiation établie qu’à l’égard de sa mère. Plus tard, après la majorité de l’enfant, un homme se trouvait poursuivi en tant que père avant d’être déclaré tel en justice. Les deux arrêts d’appel faisaient légitimement remonter la déclaration de la paternité à la naissance et l’assortissaient d’une condamnation de principe à l’entretien de l’enfant, variant selon les juridictions.
Dans la première espèce, la cour d’appel de Poitiers, le 11 mars 2015, avait condamné le père à diverses sommes : à des dommages-intérêts à l’égard de la mère et de l’enfant, à hauteur de 30 000 et[...]
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D. Porcheron, « La prescription en matière d’obligations alimentaires » : RLDC 2010/77, n° 4051, p. 38.
J. Ghestin, « La règle “Aliments ne s’arréragent pas” », in Mélanges J. Brèthe de la Gressaye, Éditions Bière, 1967, p. 295 ; L. Peyrefitte, « Considérations sur la règle “Aliments n’arréragent pas” » : RTD civ. 1968, p. 286.
Cass. req., 23 nov. 1920 : DP 1921, I, p. 79 ; S. 1922, 1, p. 83 – Cass. ch. req., 30 janv. 1933 : DH 1933, p. 114 ; S. 1933, 1, p. 104.
Qu’est-ce que l’inaction du créancier ? Un arrêt a considéré qu’elle ne se retrouvait pas en cas de « réclamations et d’actes de poursuite » (Cass. 1re civ., 9 mai 1975, n° 73-12390 : Bull. civ. I, n° 152, p. 131).
Derrière ces transformations de l’obligation alimentaire, c’est l’évolution du droit civil que l’on découvre en filigrane. Jusqu’au début du XXe siècle, il s’agit d’un droit du lien, attentif à la considération de ses deux extrémités : aux besoins du créancier doivent correspondre les ressources du débiteur, de sorte que la règle réalise une conciliation entre deux positions antagonistes. Avec les transformations du siècle dernier, l’égalité de principe dans la prise en compte des intérêts cède, pour que se manifeste la primauté de la partie faible. Le droit civil ne parvient plus à compter jusqu’à deux. Il se détourne du lien pour se concentrer sur des intérêts exclusifs – ce qui prépare l’idéologie des droits fondamentaux. Dès lors, il ne se donne plus la peine de concilier des intérêts divergents, mais se porte au secours de celui qu’il a choisi pour incarner, seul, la position juste. C’est la fin de la neutralité de la règle civile, et l’accession à un droit orienté, compassionnel, qui ne s’intéresse plus tant aux rapports sociaux qu’aux droits individuels.
J. Ghestin, « La règle “Aliments ne s’arréragent pas” », préc., n° 2, p. 297.
Cass. 1re civ., 8 nov. 1989, n° 87-19768 : Bull. civ. I, n° 341, p. 229.
Cass. 1re civ., 5 juill. 1988, n° 86-17031 : Bull. civ. I, n° 213, p. 151.
Cass. 2e civ., 29 oct. 1980, n° 79-15301 : Bull. civ. II, n° 226 ; JCP G 1981, II, 19665, note R. Jambu-Merlin – v. depuis, Cass. 2e civ., 4 mars 1998, n° 96-13569 : Bull. civ. II, n° 66, p. 41 – Cass. 1re civ., 12 mai 2004, n° 02-17441 : Bull. civ. I, n° 128, p. 105.
J. Hauser, « Une famille récupérée », in Le droit privé français à la fin du XXe siècle, Mélanges P. Catala, Litec, 2001, p. 327 ; E. Alfandari, « Le recouvrement des frais hospitaliers sur les débiteurs d’aliments », in Mélanges J.-M. Auby, Dalloz, 1992, p. 673.
Recours fondé sur l’article L. 132-8 du Code de l’action sociale et des familles, v. Cass. 1re civ., 19 déc. 1995, n° 93-17268 : Bull. civ. I, n° 471, p. 327 – Cass. 1re civ., 18 janv. 1989, n° 87-14849 : Bull. civ. I, n° 14, p. 9.
Il s’agit du recours prévu par l’ancien article L. 714-38 du Code de la santé publique, devenu l’article L. 6145-11. Pour l’application de la maxime, v. Cass. 1re civ., 24 juin 2015, n° 14-15538 et Cass. 1re civ., 24 juin 2015, n° 14-19562, PB – Cass. 1re civ., 14 juin 2005, n° 02-15587 : Bull. civ. I, n° 265, p. 222 – Cass. 1re civ., 20 janv. 2004, n° 01-13723 : Bull. civ. I, n° 19, p. 15 – Cass. 1re civ., 14 janv. 2003, n° 00-20267 : Bull. civ. I, n° 6, p. 4.
L. Topor, « La notion de créance à caractère périodique au sens de l’article 2277 du Code civil » : RTD civ. 1986, p. 1.
J. Ghestin, « La règle “Aliments ne s’arréragent pas” », préc., n° 2, p. 297.
V. par ex. Cass. 1re civ., 19 mars 1991, n° 89-18337 : Bull. civ. I, n° 94, p. 61 – Cass. 1re civ., 16 juin 1998, n° 96-18628 : Bull. civ. I, n° 214, p. 148 – Cass. 2e civ., 27 sept. 2001, n° 00-10438 : Bull. civ. II, n° 147, p. 100 – Cass. 1re civ., 14 janv. 2003, n° 00-21695 : Bull. civ. I, n° 8, p. 5, toutes décisions où la Cour évince la prescription de l’ancien article 2277 pour considérer qu’il y va d’une exécution du titre, alors valable pendant 30 ans.
Cass. ass. plén., 10 juin 2005, n° 03-18922 : Bull. civ. ass. plén., n° 6, p. 15 ; D. 2005, p. 1733, obs. Y. Rouquet ; RTD civ. 2006, p. 320, obs. J. Mestre et B. Fages ; Defrénois 30 oct. 2005, n° 38251, p. 1607, obs. J. Massip, p. 1636, obs. E. Savaux, p. 1642, obs. A. Bénabent ; v. aussi R. Libchaber, « Le point sur l’interversion des prescriptions en cas de condamnation en justice » : D. 2006, p. 254.
Cass. 1re civ., 8 juin 2016, n° 15-19614, FS-PB – v. déjà Cass. 1re civ., 10 juill. 2013, n° 12-13850 : Bull. civ. I, n° 153 – Cass. 3e civ., 10 déc. 2008, n° 08-10513 : Bull. civ. III, n° 205 – Cass. 3e civ., 8 nov. 2006, n° 05-11994 : Bull. civ. III, n° 221, p. 184.
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