Faut-il distinguer les dommages et intérêts compensatoires des dommages et intérêts en lieu et place de la prestation ?
La récente réforme du droit des contrats tout comme l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile occultent la distinction qui mériterait d’être faite, en matière contractuelle, entre les dommages et intérêts compensatoires et les dommages et intérêts en lieu et place de la prestation. Ce silence n’interdit cependant pas de différencier les régimes applicables à ces deux types de dommages et intérêts.
1. Il existe un débat récurrent et complexe sur les fonctions de la responsabilité contractuelle. Si beaucoup voient dans celle-ci un mécanisme de réparation, qui conduit à la rapprocher de la responsabilité délictuelle, ou même à confondre les deux, d’autres insistent sur le fait qu’elle est aussi, voire exclusivement, un mécanisme d’exécution par équivalent du contrat1. L’avant-projet de réforme de la responsabilité civile publié le 29 avril 2016, suivant en cela l’avant-projet Catala, adopte clairement le premier parti. C’est ce que laissait déjà présager la réforme du droit des contrats, du régime de l’obligation et de la prescription qui, sans toucher au fond des dispositions sur la responsabilité contractuelle, ne les envisage plus sous l’intitulé relativement neutre du Code de 1804 (« des dommages et intérêts[...]
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V. bien sûr not. P. Remy, « La “responsabilité contractuelle”, histoire d’un faux concept » : RTD civ. 1997, p. 323.
À moins qu’il ne s’agisse d’un préjudice.
V. not. en ce sens F. Leduc, « Les règles générales régissant la réparation du dommage », in « Avant-projet de loi portant réforme de la responsabilité civile. Observations et propositions de modifications » : JCP 2016, suppl. au n° 30-35, p. 36, n° 2-5. Cette différence entre les ordres de responsabilité est considérée comme fondamentale dans de nombreux droits étrangers et notamment en droit allemand et anglais ; v. par. ex. E. Deutsch, « Zum Verhältnis von vertraglicher und deliktischer Haftung », in Festschrift für Karl Michaelis, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 1972, p. 26-35, spéc. p. 31 ; S. J. Whittaker, « Introduction », sect. 6, in Chitty on Contracts, Sweet & Maxwell, Londres, 29e éd., vol. I, 2004, n° 1-098.
V. Z. Jacquemin, Payer, réparer, punir. Étude des fonctions de la responsabilité contractuelle en droits français, allemand et anglais, thèse Paris 2, 2015, spéc. n° 41 et nos 127 et s.
Ibid., nos 115 et s.
J. Huet, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, thèse Paris 2, 1978.
Z. Jacquemin, op. cit.
Nous adoptons ici la traduction littérale de l’expression allemande Schadenersatz statt der Leistung, Mme Jacquemin préférant quant à elle parler de dommages et intérêts en lieu et place de l’exécution (Z. Jacquemin, op. cit., n° 145).
Nous adoptons ici l’expression préconisée par Mme Jacquemin (Z. Jacquemin, op. cit., n° 146).
V. par ex. Cass. 1re civ., 26 févr. 2002, n° 99-19053 : Bull. civ. I, n° 68 ; Defrénois 15 juin 2002, n° 37558-1, p. 759, obs. E. Savaux ; LPA 18 nov. 2002, p. 7, note P. Stoffel-Munk (2e esp.) ; RTD civ. 2002, p. 809, obs. J. Mestre et B. Fages.
V. sur ce point notre commentaire, J.-S. Borghetti, « Vue d’ensemble de l’avant-projet de réforme » : D. 2016, p. 1386.
V. supra note 10.
La validité du contrat inexécuté et l’exigibilité de la prestation non ou mal fournie étant admises.
Le « fait générateur » correspond ici à l’inexécution, que la mise en demeure permet en principe de caractériser. Quant au lien de causalité, il est comme absorbé par la démonstration que l’inexécution est effectivement source d’un préjudice.
V. infra n° 12.
V. en particulier les § 281, al. 1er, et 323, al. 1er BGB.
V. C. civ., art. 1344 nouv. Le droit français connaît cependant au moins une véritable hypothèse de Nachfrist, C. consom., art. L. 216-2, al. 1er nouv. (C. consom., art. L. 138-2 anc.) : « En cas de manquement du professionnel à son obligation de livraison du bien ou de fourniture du service à la date ou à l’expiration du délai prévus au premier alinéa de l’article L. 216-1 ou, à défaut, au plus tard trente jours après la conclusion du contrat, le consommateur peut résoudre le contrat, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par un écrit sur un autre support durable, si, après avoir enjoint, selon les mêmes modalités, le professionnel d’effectuer la livraison ou de fournir le service dans un délai supplémentaire raisonnable, ce dernier ne s’est pas exécuté dans ce délai ».
V. not. Cass. 3e civ., 27 mars 2013, n° 12-13734 : Bull. civ. III, n° 40 ; RDC 2013, p. 890, obs. T. Genicon ; RDC 2013, p. 903, obs. G. Viney ; RDC 2013, p. 974, obs. J.-B. Seube ; RTD civ. 2013, p. 603, obs. H. Barbier.
L’article 1252 de l’avant-projet, qui a vocation à se substituer à ce texte, abandonne cette idée et se contente d’affirmer que la mise en demeure n’est requise pour la réparation de tout préjudice autre que celui résultant du retard dans l’exécution que lorsqu’elle est nécessaire pour caractériser l’inexécution.
La question se pose également lorsque, indépendamment du caractère « irréparable » de l’inexécution, le contrat dispense le créancier de mettre le débiteur en demeure.
V. par ex. Cass. com., 3 déc. 1980, n° 78-13305 : Bull. civ. IV, n° 409. En revanche, lorsque l’acheteur prétend n’avoir reçu qu’une partie de la commande qu’il a passée, c’est au vendeur de prouver qu’il a livré l’intégralité de celle-ci : Cass. com., 23 oct. 1990, n° 89-11642 : Bull. civ. IV, n° 251. Dans ce dernier cas, en effet, c’est une inexécution pure et simple, quoique partielle, qui est invoquée par le créancier, et non une mauvaise exécution.
V. par ex. Cass. com., 12 oct. 2004, n° 03-12632 : Bull. civ. IV, n° 185.
Le principe applicable en droit français, explicité à l’article 1262 de l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile, est en effet celui de l’évaluation des dommages et intérêts au jour du jugement.
V. G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil. Les effets de la responsabilité, LGDJ, 3e éd., 2010, n° 72.
Cass. 2e civ., 19 juin 2003, n° 00-22302 (2 arrêts) : Bull. civ. II, n° 203 ; Cour de cassation, Rapport annuel 2003, Doc. fr., 2004, p. 460 ; JCP G 2004, 1, 101, spéc. n° 9, obs. G. Viney ; RTD civ. 2003, p. 716, obs. P. Jourdain ; Defrénois 15 déc. 2003, n° 37845-3, p. 1574, obs. J.-L. Aubert ; D. 2003, p. 2326, note J.-P. Chazal ; D. 2004, p. 1346, note D. Mazeaud ; RGDA 2003, p. 506, obs. J. Landel ; M.-A. Agard, in Resp. civ. et assur. 2004, chron. 2.
V. not. en ce sens Y.-M. Laithier, « Les règles relatives à l’inexécution des obligations contractuelles. Articles 1217 à 1231-7 » : JCP 2015, suppl. au n° 21, p. 47 ; G. Chantepie et M. Latina, La Réforme du droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, Dalloz, 2016, n° 639.
Il faut cependant noter que, en l’état actuel de la rédaction de l’article 1263 de l’avant-projet, le juge aurait simplement la faculté, et non l’obligation, de réduire les dommages et intérêts alloués au créancier, si celui-ci laisse « filer » son préjudice. Compte tenu de la souplesse qu’offre déjà le critère du caractère sûr et raisonnable des mesures qui eussent dû être adoptées, cette marge de manœuvre supplémentaire accordée n’est sans doute pas indispensable.
V. infra n° 22.
V. aussi l’article 1251 de l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile.
V. not. Cass. com., 4 mars 1965, n° 60-12767 : Bull. civ. IV, n° 171 ; D. 1965, p. 449 ; JCP G 1965, II, 14219, note R. Rodière – Cass. 1re civ., 6 déc. 1983, n° 82-14898 : Bull. civ. I, n° 287.
Cass. 3e civ., 11 mai 2005, n° 03-21136 : Bull. civ. III, n° 103 ; D. 2005, IR, p. 1504 ; JCP G 2005, II, p. 10152, note S. Bernheim-Desvaux ; Contrats, conc. consom. 2005, n° 187, note L. Leveneur ; RTD civ. 2005, p. 596, obs. J. Mestre et B. Fages.
V. supra n° 11.
V. en particulier les articles 1642-1 et 1646-1 du Code civil, en matière de vente d’immeuble à construire. Ces deux textes disent toutefois simplement qu’il n’y a pas lieu à résolution du contrat ou à diminution du prix, si le vendeur s’oblige à réparer, sans mentionner l’allocation de dommages et intérêts. Cela pose notamment la question des rapports entre diminution du prix et allocation de dommages et intérêts, sur laquelle v. infra n° 27.
La jurisprudence anglaise fournit en la matière un exemple connu et particulièrement marquant : Ruxley Electronics and Construction Ltd v Forsyth [1996] 1 AC 344. Un client avait commandé à un entrepreneur une piscine d’une profondeur de 7 pieds 6 pouces (2,28 m), pour un prix de 17 497 livres sterling. La piscine finalement livrée ne mesurait cependant que 6 pieds 9 pouces (2,06 m) de profondeur. Le client refusant de payer le solde du prix, les parties se retrouvèrent devant les tribunaux. Le client réclamait 21 560 livres de dommages et intérêts correspondant au « cost of cure », c’est-à-dire au coût des travaux nécessaires pour corriger le défaut de conformité de la piscine, tandis que l’entrepreneur contestait devoir la moindre somme au titre de dommages et intérêts, au motif que la valeur de la piscine telle que construite n’était pas moindre que celle de la piscine promise, étant précisé que la profondeur existante n’empêchait pas de plonger et qu’il était semble-t-il établi que le client n’avait pas l’intention d’entreprendre des travaux de reconstruction.
Bien évidemment, cela n’empêchera pas le créancier de réclamer par ailleurs des dommages et intérêts compensatoires pour réparer les préjudices éventuellement causés par la mauvaise exécution.
V. supra n° 19.
V. supra n° 1.
P. Remy, « La “responsabilité contractuelle”, histoire d’un faux concept », art. préc., n° 2-3.
V. supra n° 9.
V. not. Cass. ch. mixte, 6 juill. 2007, n° 06-13823 : Bull. ch. mixte, n° 9 ; R., p. 440 ; Bull. inf. C. cass. 1er nov. 2007, rapp. J. Héderer, avis R. de Gouttes ; D. 2007, p. 2642, note G. Viney ; D. 2007, AJ, p. 1956, obs. I. Gallmeister ; D. 2007, pan., p. 2974, obs. B. Fauvarque-Cosson ; JCP G 2007, II, 10175, note M. Mekki ; JCP G 2008, I, 125, spéc. n° 12, obs. P. Stoffel-Munck ; Contrat, conc. consom. 2007, n° 295, note L. Leveneur ; RDC 2007, p. 1115, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2007, p. 787, obs. P. Jourdain.
Une consécration de la théorie de la causalité adéquate permettrait en outre d’introduire une forme de restriction des dommages réparables, en matière délictuelle, à ce qui était prévisible selon le cours normal des choses, mais cela ne semble pas être à l’ordre du jour.
Art. 1233.
Art. 1280 et 1281.
La minimisation du préjudice peut certes être rattachée à l’exigence contractuelle de bonne foi, mais, comme le suggère P. Stoffel-Munck, le devoir de bonne foi se déploie également en dehors du contrat : v. L’Abus dans le contrat. Essai d’une théorie, LGDJ, 2000, spéc. nos 117 et s.
V. C. Ophèle, « Dommages et intérêts et clause pénale », in N. Cayrol (dir.), La notion de dommages-intérêts, Dalloz, 2016, p. 313.
V. not. sur ce point D. Mazeaud, La notion de clause pénale, LGDJ, 1992 et, plus récemment, note sous Cass. com., 14 juin 2016, n° 15-12734 : D. 2016, p. 1628.
Cela vaut en particulier pour la limitation des dommages et intérêts aux préjudices prévisibles, qui exprimait au départ la volonté de limiter le domaine des dommages et intérêts contractuels au seul dommage intrinsèque, par opposition aux dommages causés par l’inexécution du contrat ; v. sur ce point P. Remy, « La “responsabilité contractuelle”, histoire d’un faux concept », art. préc., n° 41.
V. J.-S. Borghetti, « Vue d’ensemble de l’avant-projet de réforme », préc., n° 45-48.
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Plan
- 1Pour une réforme ambitieuse de la responsabilité contractuelle
- 1.1Avant-projet de loi de réforme de la responsabilité civile
- 1.2Législation inachevée
- 1.3Les contrats portant sur la réparation d’un préjudice
- 1.4Un projet à refaire
- 1.5Faut-il distinguer les dommages et intérêts compensatoires des dommages et intérêts en lieu et place de la prestation ?
- 1.6La responsabilité du fait de l’inexécution d’une obligation contractuelle : un régime de compromis
- 1.7Faut-il décontractualiser la réparation du dommage corporel ?
- 1.8Pour une reconnaissance de la spécificité contractuelle dans les effets de la responsabilité
- 1.8.1I – La définition de la réparation (art. 1258)
- 1.8.2II – La réparation en nature (art. 1259 à 1261) et la cessation de l’illicite (art. 1232)
- 1.8.3III – Les dommages et intérêts (art. 1262 à 1264, et 1251)
- 1.8.4IV – L’amende civile (art. 1266) et la restitution des profits
- 1.8.5V – Synthèses des propositions sur les effets (chap. IV, sect. 1)