La saisie des « comptes clients ». À propos de la distinction des créances portant sur une somme d'argent
La jurisprudence accepte de soustraire de l’assiette de la saisie-attribution les comptes sur lesquels un professionnel a déposé des fonds appartenant à ses clients dès lors que la tenue de ces comptes est parfaitement distincte de celle des comptes sur lesquels le professionnel dépose ses propres fonds. Il est tentant d’y voir une illustration de la propriété de la monnaie scripturale ou de la propriété des créances ; il est plus simple de considérer que le professionnel, bien que titulaire du compte, n’est pas créancier de la restitution.
Cass. 2e civ., 15 mai 2014, n° 13-13878
Cass. 2e civ., 9 avr. 2015, n° 14-15091
Cass. 2e civ., 9 avr. 2015, n° 12-22467
Cass. 3e civ., 30 sept. 2015, n° 14-20829
1. Inscription en compte de fonds appartenant à des tiers. – Plusieurs arrêts de la Cour de cassation attirent l’attention sur la saisie des comptes sur lesquels des professionnels déposent des fonds qui appartiennent à leurs clients.
Une remise d’argent, en effet, n’est pas nécessairement un paiement. Certains professionnels sont amenés à recevoir des fonds, non pas en paiement de ce qui leur est dû, mais seulement au titre d’un service. Ainsi des notaires ou des agents immobiliers qui se font remettre le prix d’une vente afin de le remettre au vendeur, des agents d’assurances qui perçoivent des primes pour une compagnie, des huissiers qui reçoivent une somme à remettre au créancier, des syndics de copropriété qui[...]
L'accès à l'intégralité de ce document est réservé aux abonnés
V. D. R. Martin, « Des comptes bancaires à affectation spéciale ouverts à des professionnels » : RD bancaire et bourse 1992, p. 2 ; J.-M. Delleci, La réforme des procédures civiles d’exécution. Son application aux opérations de banque, préf. J.-L. Rives-Langes, Revue Banque Édition, 2e éd., 1997, p. 207.
V. F. Georges, La saisie de la monnaie scripturale, Larcier, 2006, préf. I. Moreau-Margrève et G. de Leval, n° 318.
Cass. 2e civ., 21 nov. 1984, n° 83-13557 : Bull. civ. II, n° 171 ; v. R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Dalloz, 2013, nos 177 et 445 ; A. Leborgne, Droit de l’exécution. Voies d’exécution et procédures de distribution, Dalloz, 2e éd., 2014, n° 1125.
V. Cass. 2e civ., 13 nov. 2014, n° 13-25193 : RDC 2015, p. 312, obs. N. Cayrol.
V. Cass. 1re civ., 20 avr. 1983, n° 82-10114 : Bull. civ. I, n° 127 ; D. 1984, IR, p. 78, obs. M. Vasseur ; Gaz. Pal. 1983, 2, pan., p. 272, note M. V. ; Defrénois 1983, p. 1143, note C. Larroumet.
Cass. 2e civ., 9 avr. 2015, n° 12-22467 : Procédures 2015, comm. 185, obs. L. Raschel. V. aussi, dans la même affaire, Cass. 2e civ., 9 avr. 2015, n° 14-14159.
Cass. civ., 23 févr. 1909 : DP 1909, I, p. 421.
V. Cass. com., 22 nov. 1994, n° 91-16512 : Bull. civ. IV, n° 343, jugeant, à propos d’honoraires de médecins, perçus par la clinique au sein de laquelle ceux-ci officiaient à charge pour celle-ci de les leur remettre, que « les sommes qui y étaient inscrites avaient été, dès l’origine, et demeuraient, la propriété exclusive des praticiens dont elles assuraient la rémunération et n’étaient jamais entrées dans le patrimoine de la clinique », échappant ainsi à la procédure collective – Cass. com., 28 mars 2000, n° 97-17992 (id.) – Cass. com., 30 juin 2004, n° 03-17330, à propos d’un franchiseur en redressement judiciaire ayant perçu des fonds pour le compte des franchisés à charge de les leur reverser sous déduction des frais et redevances – Cass. com., 23 sept. 2009, n° 08-18355 : Bull. civ. III, n° 198 ; D. 2009, p. 2428 ; D. 2010, p. 1050, obs. D. Martin ; Banque et droit 2009, p. 36, obs. T. Bonneau ; AJDI 2010, p. 473, obs. M. Capoulade.
Notamment, s’agissant des sous-comptes propres aux copropriétés ouverts par un syndic, il a été jugé que l’individualisation du compte des copropriétés n’est pas subordonnée à une délibération spéciale du syndicat, v. Cass. 3e civ., 17 janv. 2006, n° 03-17129 : Bull. civ. III, n° 8 ; D. 2006, p. 440, obs. X. Delpech ; RTD com. 2006, obs. D. Legeais, revirement par rapport à Cass. 3e civ., 19 janv. 1994, n° 90-21929 : Bull. civ. III, n° 8 ; D. 1994, Jur., p. 576, note D. Martin ; RTD civ. 1995, p. 140, obs. P.-Y. Gautier.
Cass. 2e civ., 15 mai 2014, nos 13-13878 et 13-13879 : Bull. civ. II, n° 114 ; RDC 2014, p. 753, obs. P. Berlioz ; Gaz. Pal. 28 oct. 2014, n° 197z8, p. 26, note A. Bolze.
Cass. 1re civ., 19 févr. 1985, n° 83-15536 : Bull. civ. I, n° 68 ; D. 1986, IR, p. 316, statuant sur un pourvoi contre CA Paris, 21 juin 1983 : D. 1984, IR, p. 47.
En ce sens égal. F. Georges, op. cit., n° 351.
CPC exéc., art. R. 211-20.
Cass. com., 25 févr. 1992, n° 90-16881 : Bull. civ. IV, n° 92.
V. égal. en ce sens, Cass. com., 14 mai 1991, n° 89-14287 : Bull. civ. IV, n° 161 ; Banque 1991, p. 69, obs. J.-L. Rives-Lange, retenant la responsabilité d’une banque ayant accepté de fusionner – à son profit – les comptes de son client tout en sachant que certains de ces comptes enregistraient des sommes propres à des tiers et que cette fusion portait atteinte à leurs intérêts.
V. aussi. D. n° 56-222, 29 févr. 1956, art. 30-1.
Réd. L. n° 2014-366, 24 mars 2014, art. 55, I.
Réd. L. n° 2014-366, 24 mars 2014, art. 58, I.
Avec au premier chef la réglementation propre à la profession d’avocat, v. D. n° 91-1197, 27 nov. 1991, art. 240. Il semble qu’en Belgique ces réglementations soient davantage développées qu’en France (F. Georges, op. cit., nos 306 et s.). Mais la doctrine déplore leur manque d’homogénéité (ibid., n° 337).
T. Bonneau, obs. sous Cass. 3e civ., 30 sept. 2015, n° 14-20829 : Banque et droit 2016, n° 166, p. 34.
V. Cass. com., 14 mai 1991, n° 89-14287 : Bull. civ. IV, n° 161 ; D. 1992, Jur., p. 13, note D. Martin ; RTD com. 1991, p. 621, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié.
Cass. com., 10 févr. 1998, n° 42-21596 : Bull. civ. IV, n° 64 ; RTD civ. 1998, p. 702, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 1998, p. 392, obs. M. Cabrillac – Cass. com., 7 mars 2000, n° 96-19326 : Bull. civ. IV, n° 45 ; RTD civ. 2000, p 862, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2000, p. 990, obs. M. Cabrillac, à propos des comptes d’un marchand et commissionnaire de bestiaux pour le compte de tiers.
Cass. 3e civ., 30 sept. 2015, n° 14-20829, PB : Banque et droit 2016, n° 166, p. 34, obs. T. Bonneau.
V. supra, n° 8. Cela a d’ailleurs été expressément jugé, v. Cass. 3e civ., 15 févr. 1983, n° 81-15794 : Bull. civ. III, n° 46 ; RTD civ. 1983, p. 601, obs. R. Perrot.
F.-X. Lucas, « La revendication des biens immatériels à l’occasion d’une procédure collective. Contribution à l’étude de la distraction de saisie collective », in Mélanges André Lucas, LexisNexis, 2014, p. 553 ; du même auteur, obs. in RD bancaire et fin. 2000, p. 235. V. déjà, C. Larroumet, « À propos de la revendication des sommes d’argent : corps certains, choses fongibles, mandat et fiducie », note sous CA Paris, 14 oct. 1997 : D. 1998, Jur., p. 91, n° 8.
D. R. Martin, « De la revendication des sommes d’argent » : D. 2002, p. 3279. Du même auteur, v. « La propriété, de haut en bas » : D. 2007, Chron., p. 1977. Dans son article précité, « Des comptes bancaires à affectation spéciale ouverts à des professionnels » (p. 2), M. Martin laissait la question en suspens ; v. égal. Caisse des dépôts et consignations (ouvrage coll.), Traité des consignations en France, LGDJ, 1998, raisonnant systématiquement en termes de propriété des sommes d’argent consignées.
Ce fut la thèse notamment de Christian Mouly (C. Mouly, « Procédures civiles d’exécution et droit bancaire » : RTD civ. 1993, n° spéc. consacré à la réforme des procédures civiles d’exécution, p. 68, spéc. nos 12, 13 et 14) : « Les termes de la loi ne doivent pas être pris à la lettre (...). Ce sont donc les sommes d’argent dues au débiteur saisi qui font l’objet d’une saisie ; plus que sur des créances, l’attribution portera donc sur les sommes d’argent (monnaie scripturale) existant entre les mains du banquier ».
Cass. com., 25 mars 1997, n° 94-18337 : Bull. civ. IV, n° 84 ; D. 1997, p. 482, note D. Martin.
Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16244 : Bull. civ. I, n° 190 ; RDC 2013, p. 561 : qualité de créancier du légataire d’un prix de vente.
Cass. com., 10 mai 2000, n° 97-16726 : Bull. civ. IV, n° 98 ; D. 2000, p. 277, obs. A. Lienhard ; JCP E 2001, 521, note L. Courtot et F. Marmoz ; RTD com. 2000, p. 1012, obs. A. Martin-Serf ; LPA 27 déc. 2000, p. 14, note E. Rawach ; RD bancaire et fin. 2000, n° 161, obs. F.-X. Lucas – Cass. com., 4 févr. 2003, n° 00-13356 : D. 2003, p. 1230, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2003, p. 572, obs. A. Martin-Serf ; Defrénois 30 sept. 2003, n° 37810-2, p. 1163, obs. R. Libchaber ; RD bancaire et fin. 2003, n° 154, obs. F.-X. Lucas : « Une demande de restitution de fonds ne peut être formée par voie de revendication, la seule voie ouverte au créancier d’une somme d’argent étant de déclarer sa créance à la procédure collective de son débiteur » – Cass. com., 22 mai 2013, n° 11-23961 : D. 2013, p. 1594, note F. Danos ; RTD civ. 2013, p. 649, obs. W. Dross ; RTD com. 2013, p. 591, obs. A. Martin-Serf ; Gaz. Pal. 13 juill. 2013, n° 139z7, p. 27, obs. E. Le Corre-Broly.
J. François, « Retour sur la revendication des sommes d’argent » : D. 2012, p. 1493, spéc. n° 26. L’auteur poursuit : « En réalité, le régime des obligations est à même de fournir une explication nécessaire et suffisante. Si l’on considère que la banque a la propriété de la monnaie scripturale, il s’ensuit que le mandataire n’a contre elle qu’un droit de créance. Ce droit de créance, qui est celui d’un déposant contre son dépositaire irrégulier, prolonge celui du remettant initial contre le mandataire. Les deux créances ont le même objet. En outre et surtout, la créance de restitution du mandataire sur la banque est spécialement affectée, au su de celle-ci, aux opérations à réaliser pour le compte du remettant initial. Il en résulte que son exécution ou son paiement ne peuvent être réclamés à d’autres fins par quiconque. Toutes les conditions sont ainsi réunies pour l’octroi d’une action directe et parfaite au remettant initial » (nos 26-27).
F. Danos, Propriété, possession et opposabilité, préf. L. Aynès, thèse Paris I, Economica, 2007, nos 226 et s.
S. Ginossar, Droit réel, propriété et créance, Dalloz, 1960.
C. Larroumet, note précitée sous Cass. 1re civ., 20 avr. 1983, n° 82-10114 : « En ce qui concerne la monnaie scripturale, il ne s’agit pas d’un droit de propriété, au sens véritable du terme, mais d’une “propriété” de la créance envers le banquier ».
S. Torck, Essai d’une théorie générale des droits réels sur choses fongibles, thèse Paris 2, 2001, nos 713 et s. : « Il n’est pas possible d’ignorer que l’idée d’une propriété des créances est la seule en mesure de venir expliquer, au sein de la relation de compte, la dissociation voulue, aussi bien par la jurisprudence que par les pouvoirs publics, entre la titularité formelle du compte et l’appartenance des avoirs qui s’y trouvent inscrits dans les comptes bancaires à affectation spéciale ».
V. F. Danos, Propriété, possession et opposabilité, thèse précitée, nos 228 et s. ; du même auteur, note précitée sous Cass. com., 22 mai 2013, n° 11-23961.
W. Dross, Droit des biens, LGDJ, coll. Précis Domat, 2e éd., 2014, n° 499.
V. les dispositions particulières à la saisie-attribution des créances à exécution successive (CPC exéc., art. R. 211-14) ou à la saisie des comptes bancaires (art. R. 211-18).
Cass. 2e civ., 18 nov. 2004, n° 00-19693 : Bull. civ. II, n° 501 ; Gaz. Pal. 13 sept. 2005, n° A0625, p. 14, obs. C. Brenner.
Testez gratuitement Lextenso !