Pour une reconnaissance de la spécificité contractuelle dans les effets de la responsabilité
L’avant-projet de loi portant réforme du droit de la responsabilité civile a choisi de traiter le plus uniformément possible les responsabilités contractuelle et extracontractuelle. La démarche achoppe au traitement des effets de la responsabilité. La responsabilité contractuelle perd toute particularité, les concepts délictuels lui étant artificiellement transposés. Une refonte de la sous-section première consacrée aux « Principes » des effets de la responsabilité est nécessaire, afin de rétablir les spécificités de la responsabilité contractuelle, là où elles ont été occultées.
Les effets de la responsabilité : aperçu et plan. – Le chapitre consacré aux conditions de la responsabilité (chap. II) distingue trois types de règles : les dispositions communes aux responsabilités contractuelle et extracontractuelle (sect. 1), les dispositions propres à la responsabilité extracontractuelle (sect. 2) et les dispositions propres à la responsabilité contractuelle (sect. 3).
Le chapitre consacré aux effets de la[...]
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L. n° 2016-1087, 8 août 2016, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, JO 9 août.
On pourrait s’interroger sur l’applicabilité de cet article à la matière contractuelle. La disposition est fondée sur la distinction entre auteurs fautifs et non fautifs, tandis qu’en matière contractuelle la faute a par principe été évincée en même temps que la distinction des obligations de moyens et de résultat. De surcroît, en matière contractuelle, il ne doit y avoir de solidarité que celle stipulée. La question appellerait en réalité un traitement différencié. Lorsque les dommages et intérêts constituent un simple substitut à la prestation inexécutée, le débiteur ne devrait pouvoir obtenir le bénéfice d’une condamnation solidaire que si la dette de paiement elle-même est solidaire. À l’inverse, si l’exécution du contrat est l’occasion d’un dommage causé par plusieurs protagonistes, une condamnation solidaire peut être prononcée, puisqu’il s’agit alors de condamner les auteurs ayant concouru à un même dommage. L’avant-projet adoptant une conception exclusivement indemnitaire des dommages et intérêts contractuels, il est cohérent qu’il retienne la possibilité d’une condamnation solidaire aussi bien en matière contractuelle qu’extracontractuelle. Une réforme plus ambitieuse aurait consisté à distinguer les dommages et intérêts en lieu et place de l’exécution, à fonction de paiement, des dommages et intérêts strictement compensatoires, à fonction de réparation. V. en ce sens notre thèse, Z. Jacquemin, Payer, réparer, punir. Étude des fonctions de la responsabilité contractuelle en droits français, allemand et anglais, thèse Paris II, 2015, à paraître aux éditions LGDJ.
Sur les spécificités de la réparation contractuelle, v. Z. Jacquemin, Payer, réparer, punir. Étude des fonctions de la responsabilité contractuelle en droits français, allemand et anglais, th. précitée, spéc. Part I, Tit. II, Chap. II, n° 199-249, et spéc. sur l’intérêt positif, v. n° 203-206.
V. not. G. Viney, « L’espoir d’une recodification du droit de la responsabilité civile » : D. 2016, Chron., p. 1378, qui propose l’introduction de la disposition suivante : « En matière contractuelle les dommages et intérêts doivent être calculés de manière à donner au créancier tous les avantages qu’il aurait retirés de l’exécution. Ils doivent comprendre tant les pertes faites que les gains manqués ».
F. Terré (dir.), Pour une réforme du droit des contrats, Dalloz, 2011, art. 118, al. 1er, 1re phrase : « Les dommages et intérêts sont, en règle générale, d’un montant qui place le créancier dans la situation où il se trouverait si le contrat avait été dûment exécuté, en considérant la perte qu’il a faite et le gain dont il a été privé ».
G. Viney, « L’espoir d’une recodification du droit de la responsabilité civile », préc.
Cass. 1re civ., 16 janv. 2007, n° 06-13983 ; M. Mekki, « La cessation de l’illicite comme remède à l’inexécution du contrat » : JCP E 2007, n° 26, 1823.
La difficulté est soulevée par J.-S. Borghetti, « L’avant-projet de réforme de la responsabilité civile. Vue d’ensemble de l’avant-projet » : D. 2016, p. 1386, spéc. n° 45.
M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. 2, Les preuves, théorie générale des obligations, les contrats, les privilèges et les hypothèques, LGDJ, 9e éd., 1923, spéc. n° 224, p. 79 : « Les dommages-intérêts accordés au créancier sont toujours fixés en argent ; c’est une vieille règle qui n’est pas exprimée par le Code civil, mais qui y est sous-entendue. (…) C’est par erreur qu’on cite quelquefois certains arrêts comme ayant donné au créancier une indemnité autre que de l’argent » ; A. Brun, Rapports et domaines des responsabilités contractuelle et délictuelle, Sirey, 1931, spéc. note 1 du n° 53, p. 69 : « Il faut se garder de confondre la question de la forme de la réparation avec celle de l’exécution de l’obligation. Il est permis de contraindre le débiteur à exécuter directement en nature l’obligation, mais non à réparer de cette manière » ; J. Carbonnier, Droit civil, t. 4, Les obligations, PUF, 22e éd., 2000, spéc. n° 169, p. 318.
Cass. com., 10 janv. 2012, n° 10-26837, D : RDC 2012, p. 782, obs. Y.-M. Laithier.
Cass. 3e civ., 10 janv. 1990, n° 88-18098 : Bull. civ. III, n° 5.
Cass. 3e civ., 11 mai 2005, n° 03-21136 : Bull. civ. III, n° 103, p. 96 ; RDC 2006, p. 323, obs. D. Mazeaud, et p. 529, obs. B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2005, p. 596, obs. J. Mestre et B. Fages.
Pour une argumentation détaillée, v. notre thèse, Z. Jacquemin, Payer, réparer, punir. Étude des fonctions de la responsabilité contractuelle en droits français, allemand et anglais, thèse précitée, spéc. n° 65-77.
A. Bénabent, Droit civil, Les obligations, LGDJ, 14e éd., 2014, spéc. n° 403-1.
Elles diffèrent tout de même : la démonstration d’un dommage et celle d’un lien de causalité ne sont pas des conditions de l’exécution forcée ; faire exécuter par un tiers ne nécessite pas l’autorisation préalable du juge en application de l’article 1222, alors qu’une telle autorisation est requise si la mesure s’analyse en une réparation en nature au sens de l’article 1261 ; la limite de l’« atteinte à une liberté fondamentale » de l’article 1261 n’est pas mentionnée pour l’exécution en nature.
J.-S. Borghetti, « L’avant-projet de réforme de la responsabilité civile. Vue d’ensemble de l’avant-projet », préc., spéc. n° 47.
V. notre thèse, Z. Jacquemin, Payer, réparer, punir. Étude des fonctions de la responsabilité contractuelle en droits français, allemand et anglais, thèse précitée, spéc. la seconde partie consacrée à la fonction de peine privée de la responsabilité contractuelle.
Au-delà de la matière contractuelle, nous partageons les doutes exprimés par Suzanne Carval quant à la constitutionnalité, mais aussi la conventionnalité de la disposition, v. S. Carval, « La sanction des comportements fautifs – Article 1266 » : JCP 2016, suppl. n° 30-35, p. 42.
On décèle d’ailleurs une évidente parenté entre l’article 1266 de l’avant-projet et l’article 1386-23 du rapport commandé par Mme Taubira sur le préjudice écologique.
Pour un argumentaire détaillé et une proposition de régime complet de la restitution des profits en matière contractuelle, v. le dernier chapitre de notre thèse, Z. Jacquemin, Payer, réparer, punir. Étude des fonctions de la responsabilité contractuelle en droits français, allemand et anglais, thèse précitée.
Ce qui vaut d’ailleurs pareillement pour l’amende civile, d’où la proposition défendue par Geneviève Viney d’introduire à l’article 1266 une phrase précisant que : « En cas de faute lucrative, elle [l’amende civile] doit être inférieure au profit que celui-ci en aura retiré. », v. G. Viney, « L’espoir d’une recodification du droit de la responsabilité civile », préc.
F. Terré (dir.), Pour une réforme du droit des contrats, op. cit., art. 120 : « Toutefois, en cas de dol, le créancier de l’obligation inexécutée peut préférer demander au juge que le débiteur soit condamné à lui verser tout ou partie du profit retiré de l’inexécution ».
V. supra à propos de l’article 1258 de l’avant-projet.
Pour un argumentaire plus détaillé, v. à nouveau notre thèse, Z. Jacquemin, Payer, réparer, punir. Étude des fonctions de la responsabilité contractuelle en droits français, allemand et anglais, thèse précitée, spéc. n° 451-452.
Ce premier alinéa est inspiré de l’article 120 du projet de réforme du droit des contrats dirigé par M. Terré, cité à la note précédente, auquel il a été apporté trois modifications substantielles : restitution intégrale du profit, profit net, et inassurabilité.
La formulation de ce deuxième alinéa est empruntée à l’article 54 du projet de réforme de la responsabilité civile dirigé par M. Terré, v. F. Terré, Pour une réforme du droit de la responsabilité civile, op. cit.
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Plan
- 1Pour une réforme ambitieuse de la responsabilité contractuelle
- 1.1Avant-projet de loi de réforme de la responsabilité civile
- 1.2Législation inachevée
- 1.3Les contrats portant sur la réparation d’un préjudice
- 1.4Un projet à refaire
- 1.5Faut-il distinguer les dommages et intérêts compensatoires des dommages et intérêts en lieu et place de la prestation ?
- 1.6La responsabilité du fait de l’inexécution d’une obligation contractuelle : un régime de compromis
- 1.7Faut-il décontractualiser la réparation du dommage corporel ?
- 1.8Pour une reconnaissance de la spécificité contractuelle dans les effets de la responsabilité
- 1.8.1I – La définition de la réparation (art. 1258)
- 1.8.2II – La réparation en nature (art. 1259 à 1261) et la cessation de l’illicite (art. 1232)
- 1.8.3III – Les dommages et intérêts (art. 1262 à 1264, et 1251)
- 1.8.4IV – L’amende civile (art. 1266) et la restitution des profits
- 1.8.5V – Synthèses des propositions sur les effets (chap. IV, sect. 1)