La grammaire dans la réforme du droit des contrats
Le droit des contrats renouant avec le droit écrit grâce à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le rôle de la grammaire est mis en pleine lumière à la fois comme outil normatif pour les auteurs du texte et à la fois comme outil d'interprétation pour ses interprètes. Ce faisant, la grammaire, venant se mêler aux sources du droit, participe d'un renouveau législatif qui refait de nous des juristes du Code.
1. Avant toute chose, je voudrais remercier chaleureusement les professeurs Gaël Chantepie et Nicolas Dissaux de m’avoir invité et les féliciter d’avoir conçu un colloque dont l’approche est aussi originale. Originale et même audacieuse si j’en juge par le thème qui m’a été confié : la grammaire de la réforme. Cette audace qui est la leur est à la mesure de l’inconscience qui fût la mienne d’avoir accepté de traiter ce sujet. Car pour cela, il fallait deux compétences : celle d’un linguiste et celle d’un théoricien ou d’un philosophe du droit. Or, je n’ai[...]
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J.-P. Minaudier, Poésie du gérondif (vagabondages linguistiques d’un passionné de peuples et de mots), éd. Le Tripode, 2014.
C. Hagège, Contre la pensée unique, éd. O. Jacob, 2012.
J. Carbonnier, Sociologie juridique, PUF, 1978 p. 374.
M. Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, coll. Folio, p. 43.
J.-P. Minaudier, Poésie du gérondif, op. cit., p. 18.
J.-P. Minaudier, Poésie du gérondif, op. cit., p. 118 et s.
Sur tout cela, v. J.-P. Minaudier, op. cit., p. 56 et s. ; C. Hagège, Contre la pensée unique, p. 59 et s.
Orwell en a fait la contre-épreuve dans 1984 : la novlangue est un appauvrissement délibéré de la langue. En réduisant la langue, on stérilise le moyen de penser.
Uniquement dans une visée pédagogique, car au fond, comme le note fort justement M. Minaudier (J.-P. Minaudier, Poésie du gérondif, op. cit., p. 95), « l’hypothèse Sapir-Whorf n’est féconde que si on ne la radicalise pas jusqu’à l’absurde, jusqu’à se figurer que les langues conditionnent mécaniquement nos convictions et nos comportements ».
« Parce que tu as réussi un vers dans une langue cultivée qui poétise et pense à ta place, crois-tu déjà être un poète », extrait du poème Dilettant, cité par J.-P. Minaudier, Poésie du gérondif, op. cit., p. 60.
Sur cette polémique, v. J.-P. Minaudier, Poésie du gérondif, op. cit., p. 61.
Dans de riches pages, M. Hagège (v. C. Hagège, Contre la pensée unique, p. 157 et s.) rend compte avec beaucoup d’application des différences de « caractère » des langues anglaise et française, soulignant le goût de la première pour les descriptions concrètes, très imagée et « incarnée » cependant que la seconde préfère la montée en abstraction et la logique presque mathématique. L’auteur cite Taine (p. 172) : « Traduire en français une phrase en anglais, c’est copier au crayon gris une figure en couleur. Réduisant ainsi les aspects et la qualité des choses, l’esprit français aboutit à des idées générales, c’est-à-dire simples, qu’il aligne dans un ordre simplifié, celui de la logique » et Gide (eod. loc.) : « Il est du génie de notre langue de faire prévaloir le dessin sur la couleur ».
Outre le fait qu’il ne faut pas perdre de vue le jargon technocratique dans lequel bon nombre de Codes ont basculé…
M. Hagège illustre sa pensée par un exemple amusant qui intéressera particulièrement le juriste. Là où on plantera, dans un jardin public français uniquement un panneau « Pelouse interdite », un parc de San Diego (Californie) énonce : « Do not tread, mosey, hop, trample, step, plot, tiptoe, trot, traipse, meander, creep, prance, amble, job, trudge, march, stomp, toddle, jump, stumble, trod, spring or walk on the plants ».
J. Austin, Quand dire, c’est faire, trad. G. Lane, Paris, Seuil, 1970.
Sur ce procédé, v. D. Maingueneau, Manuel de linguistique pour le texte littéraire, A. Colin, 2010.
V. J.-P. Minaudier, Poésie du gérondif, op. cit., p. 98, qui donne l’exemple du cèmuhî, une langue austronésienne de Nouvelle-Calédonie.
Sur cette question, v. J.-P. Minaudier, Poésie du gérondif, op. cit., p. 96 et s.
Si l’adjectif ou le participe passé est mis au féminin, chacun comprend qu’il ne se rapporte qu’au nom féminin précédemment cité, ce qui est crucial s’agissant d’un « adjectif conditionnel » (un adjectif qui ajoute une condition à l’application de la règle).
V. encore l’art. 1153 qui fait état du « représentant légal, judiciaire ou conventionnel », soit tous les cas de représentation. Pourquoi ne pas avoir dit « le représentant » tout court ? Parce que c’est une innovation majeure de la réforme que d’introduire un corps de règles commun à toutes les représentations. L’ordonnance entendait, par ce procédé, insister sur cette unité de traitement : « tous les cas de représentation » sont concernés semble-t-elle proclamer avec force.
J.-P. Minaudier, Poésie du gérondif, op. cit., p. 105 et s.
J.-P. Minaudier, Poésie du gérondif, op. cit., p. 105.
J.-P. Minaudier, Poésie du gérondif, op. cit., p. 94.
J.-P. Minaudier, Poésie du gérondif, op. cit., p. 95 et p. 125
v. J.-P. Minaudier, Poésie du gérondif, op. cit., p. 120 : ce sont des procédés grammaticaux (des suffixes) par lesquels est indiquée la façon dont l’information est parvenue au locuteur (selon qu’il a eu connaissance par lui-même en voyant, selon qu’il a eu connaissance par lui-même en entendant, selon qu’il a eu connaissance non par lui-même mais par quelqu’un, selon qu’il est parvenu à la connaissance par induction en s’appuyant sur une autre information, etc.).
Ce point est relevé par E. Savaux, « Le contenu du contrat », JCP n° 21, 25 mai 2015, suppl. spécial, p. 22.
On reverra sur ce point aux travaux de S. Goltzberg, du Centre Perelman de l’Université libre de Bruxelles (S. Goltzberg, « La norme grammaticale en droit comparé. Réalité ou fiction ? » in S. Rahman et J.M. Sievers, Normes et Fiction, Londres, 2011, p. 141) et notamment à sa très intéressante présentation du rôle de la grammaire dans le droit talmudique, v. S. Goltzberg, « La grammaire comme ressource du droit : une spécificité talmudique ? », librement consultable sur (https://stefangoltzberg.files.wordpress.com/2010/11/la-grammaire-comme-source-du-droitc2a0une-specificite-talmudique.pdf).
C. Perelman, Logique juridique. Nouvelle rhétorique, 2e éd., Dalloz, 1979, p. 146.
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