Les « clauses dérogatoires au droit commun » dans les conditions générales
Les conditions générales ne sont opposables que si elles ont été portées à la connaissance du cocontractant et acceptées. Tout en rappelant cette double exigence, dont le bien-fondé n’est pas discutable, la Cour de cassation complète sa motivation par une référence aux « clauses dérogatoires au droit commun contenues dans les conditions générales ». Cette formule est maladroite et inutile.
Cass. com., 6 sept. 2016, n° 15-12281
En attendant que la notion de conditions générales retienne davantage l’attention des tribunaux, évolution incontournable compte tenu de la définition légale du contrat d’adhésion1 et de ses enjeux, c’est la question plus familière du consentement qui alimente l’essentiel du contentieux en ce domaine. Cela ne doit pas surprendre. L’un des moyens les plus efficaces d’échapper à l’application d’une stipulation reproduite dans des conditions générales consiste tout simplement à soutenir qu’elle n’est pas entrée dans le champ contractuel, soit parce qu’il existe une contradiction entre les diverses conditions en présence (générales ou particulières), soit parce qu’il n’a pas été possible d’en prendre connaissance et donc de l’accepter. L’arrêt du 6 septembre 2016 ne revient pas sur cette solution, constante2, légitime et désormais codifiée3 ; c’est sa motivation qui appelle quelques observations.
Les faits sont les suivants. Entre 2002 et 2004, la[...]
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V. par ex. M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, t. 1, Contrat et engagement unilatéral, PUF, 4e éd., 2016, n° 271 ; F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 11e éd., 2013, n° 122 ; F. Zenati-Castaing et T. Revet, Contrats, PUF, 2014, 1re éd., n° 149.
C. civ., art. 1119, al. 1er. Pour un commentaire détaillé de cette nouvelle disposition, v. G. Chantepie et M. Latina, La réforme du droit des obligations, Dalloz, 2016, nos 228 et s. ; O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, LexisNexis, 2016, p. 120 et s.
Cass. 3e civ., 30 janv. 1974, n° 72-13819 : Bull. civ. III, n° 51. En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’une clause est « dérogatoire au droit commun » que sa mise en œuvre doit être limitée par le juge à une partie seulement des applications envisagées par les cocontractants.
V. par ex. Cass. 3e civ., 8 avr. 2014, n° 13-11951 ; Cass. 3e civ., 6 mars 2013, n° 11-27331 : Bull. civ. III, n° 34 ; RDC 2013, p. 977, obs. J.-B. Seube.
V. par ex. Cass. soc., 27 janv. 1999, n° 96-45215 ; Cass. com., 9 juill. 1991, n° 89-21680.
V. C. Goldie-Genicon, Contribution à l’étude des rapports entre le droit commun et le droit spécial des contrats, préf. Y. Lequette, LGDJ, 2009, n° 6.
V. C. Pérès, La règle supplétive, préf. G. Viney, LGDJ, 2004, nos 498 et s.
V. en ce sens et en ces termes, Cass. 1re civ., 20 juin 1960 : Bull. civ. I, n° 335.
V. C. civ. italien, art. 1341, al. 2. Le récent Code civil roumain s’est clairement inspiré du système italien, v. art. 1203 : « Les clauses types qui aménagent, en faveur de celui qui les propose, la limitation de la responsabilité, le droit de résilier unilatéralement le contrat, le droit de suspendre l’exécution des obligations ou qui prévoient au détriment de l’autre partie la déchéance de l’exercice de certains droits ou du bénéfice du terme, la limitation du droit d’opposer des exceptions, la restriction de la liberté de contracter avec d’autres personnes, le renouvellement tacite du contrat, la loi applicable, les clauses compromissoires ou par lesquelles il est dérogé aux normes relatives à la compétence des juridictions, ne produisent leurs effets que lorsqu’elles sont acceptées expressément, par écrit, par l’autre partie » (v. Nouveau Code civil roumain, traduction commentée, Juriscope-Dalloz, 2013, p. 365-366).
V. BGB, § 305c (1). La règle allemande, bien antérieure à sa codification dans le BGB, est reçue en droit suisse, v. P. Engel, Traité des obligations en droit suisse, Stämpfli, Berne, 2e éd., 1997, p. 170 et s., et les réf. citées.
Pour une présentation détaillée, v. C. Pérès, La règle supplétive, op. cit., nos 536 et s.
Le fait que les conditions générales doivent être « portées » à la connaissance indique suffisamment que l’initiative pèse sur celui qui entend s’en prévaloir et non sur celui à qui on les oppose.
V. par ex., à propos du silence conservé par une société au sujet d’une clause compromissoire stipulée dans les conditions générales, Cass. 1re civ., 11 mai 2012, n° 10-25620 : JCP G 2012, 1354, n° 4, obs. C. Seraglini. V. égal. Cass. 1re civ., 16 févr. 1999, n° 96-19469 : Bull. civ. I, n° 51.
V. clairement en ce sens, censurant l’arrêt qui avait cru pouvoir écarter des clauses figurant dans les conditions générales pour ce seul motif, Cass. com., 2 juin 2015, n° 14-11014 : Gaz. Pal. 5 janv. 2016, n° 253r7, p. 36, obs. D. Houtcieff.
V. par ex. Cass. 1re civ., 17 nov. 1998, n° 96-15126 : Bull. civ. I, n° 316.
V. par ex. CPC, art. 48 ; C. assur., art. L. 112-4, dern. al. V. égal. Cass. com., 16 janv. 1996, n° 94-13653 : Bull. civ. IV, n° 21, qui énonce « que la clause par laquelle le chargeur et le transporteur maritime conviennent du moment de la livraison par une clause de livraison sous palan figurant sur le connaissement est une stipulation qui concerne l’économie même du contrat de transport en précisant, sans déroger à une règle générale, l’étendue des obligations du transporteur ; qu’en conséquence, pareille clause est opposable au destinataire sans qu’il soit nécessaire que celui-ci ait spécialement manifesté la volonté de l’accepter. » Interprété a contrario, l’arrêt pourrait signifier, compte tenu de la corrélation établie par la Cour de cassation (« en conséquence »), que si la clause avait dérogé à une règle générale (à une règle supplétive, en réalité), son opposabilité au destinataire aurait supposé une manifestation spéciale de volonté de l’accepter.
Cette faveur pour la règle supplétive est un atout dès lors qu’elle incarne un modèle que l’ordre juridique entend privilégier, V. en ce sens et pour une démonstration détaillée, C. Pérès, La règle supplétive, op. cit., nos 492 et s.
C. Pérès, La règle supplétive, op. cit., n° 543.
Rappr. P. Engel, Traité des obligations en droit suisse, op. cit., p. 170, qui considère « que la règle de l’insolite ou de l’inhabituel est le produit d’une inflation doctrinale pernicieuse. » Dans son commentaire d’une loi qualifiant de manœuvre déloyale l’utilisation de conditions générales qui sont de nature à provoquer une erreur et qui « dérogent notablement au régime légal applicable directement ou par analogie », l’auteur répète que « la règle de l’insolite n’ajoute rien à la panoplie des dispositions générales » et ajoute, à juste titre, que : « ou bien le droit est dispositif ou il est impératif. S’il est dispositif, il est permis d’y déroger sans être coupable de quelque acte illicite que ce soit » (p. 174).
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