La responsabilité professionnelle de l'avocat n'est pas subsidiaire… La Cour de cassation persiste et signe !
La responsabilité des professionnels du droit ne présente pas un caractère subsidiaire, de sorte que la mise en jeu de la responsabilité d’un avocat « n’est pas subordonnée au succès de poursuites préalables contre un autre débiteur et qu’est certain le dommage subi par sa faute, quand bien même la victime disposerait, contre un tiers, d’une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation du préjudice ».
Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, n° 15-20565
Par un arrêt du 22 septembre 2016, la Cour de cassation réaffirme l’absence de subsidiarité de la responsabilité des professionnels du droit et applique cette solution à une action en réparation dirigée contre un avocat. En reprenant, en partie, l’attendu de principe d’une décision rendue quelques mois auparavant1, la première chambre civile semble déterminée à soumettre l’épineuse question de la responsabilité civile des professionnels du droit à la solution la plus simple possible : bien que la victime dispose d’une autre voie de droit pour rétablir la situation préjudiciable causée par l’avocat ou le notaire, elle n’est pas tenue de l’épuiser au préalable pour demander réparation au professionnel.
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Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, n° 14-26245 : D. 2015, p. 2502 ; D. 2016, p. 553, chron. D. Sindres ; RDC 2016, p. 221, note O. Deshayes ; Defrénois 30 juin 2016, n° 123u4, p. 701, obs. M. Latina ; Gaz. Pal. 19 janv. 2016, n° 245t1, p. 37, obs. N. Blanc.
Après un premier arrêt d’appel donnant gain de cause à l’assureur, la Cour de cassation censura la décision en rappelant que « le fait pour un assureur de s’être aperçu (…) qu’il avait payé une somme dépassant les limites de sa garantie, ne peut constituer la révélation d’un fait de nature à entraîner la recevabilité, en appel, de sa demande, nouvelle, en restitution de cette somme, une telle demande ne se limitant pas à faire écarter les prétentions » (Cass. 3e civ., 7 juill. 2004, n° 02-21290). La cour d’appel de renvoi a donc dû confirmer le jugement de première instance condamnant l’assureur au versement de la somme intégrale.
TGI Valence, 2 oct. 2012, n° 11/02811.
Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, nos 14-16288 et 14-20683 : AJDI 2015, p. 857, obs. J.-P. Borel – Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, n° 14-26245, préc. ; Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, n° 15-11115 ; Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, n° 14-25854.
V. les références indiquées supra, note 1.
V. cependant G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 4e éd., 2013, n° 287-1, et M. Bacache-Gibeili, La responsabilité civile extracontractuelle, Economica, 3e éd., 2016, n° 378. Les autres manuels n’en disent mot ou y réservent tout au plus quelques remarques dans les notes de bas de page (v. par ex. P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 4e éd., 2016, n° 181, note 40).
V. égal. Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, n° 15-13840 : D. 2016, p. 1928 ; JCP G 2016, 1239, note S. Grayot-Dirx ; JCP N 2017, 1000, note M. Gayet ; Defrénois 15 déc. 2016, n° 124z9, p. 1265, obs. O. Deshayes (« la responsabilité des professionnels du droit ne présente pas un caractère subsidiaire ») – Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, n° 15-21566.
G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, op. cit., n° 278-1, qui traitent de la question sous cet intitulé.
Cass. 1re civ., 18 mars 2003, n° 00-21641 ; Cass. 1re civ., 7 déc. 2004, n° 02-15578 ; Cass. 1re civ., 30 mai 2013, n° 12-25471. V. aussi dans le même sens, Cass. 1re civ., 19 déc. 2013, n° 13-11807.
V. aussi l’intéressante réflexion d’O. Deshayes, in « La responsabilité des professionnels du droit n’est pas subsidiaire… » : RDC 2016, p. 221 et s., spéc. p. 223 : « La question qui suit est de savoir pourquoi la solution serait même limitée aux professionnels. »
La formule n’est pas entièrement nouvelle. Pour une variante, v. Cass. 3e civ., 16 mai 1990, n° 88-15077 ; Cass. 1re civ., 13 févr. 1996, n° 93-18809 ; Cass. 1re civ., 21 oct. 2003, n° 00-12465 : « La mise en jeu de la responsabilité des notaires n’étant pas subordonnée à une poursuite préalable contre d’autres débiteurs. »
Sauf à considérer que le terme « succès » prend ici un sens neutre, aujourd’hui considéré comme désuet. V. Trésor de la langue française, vol. 15 (« Sale-Teindre »), V° « Succès » : « Vx. [Accompagné d’un adj. précisant la nature du succès] Résultat (favorable ou défavorable) d’une entreprise, d’un événement, d’une situation. »
V. en dernier lieu, D. Sindres, « La responsabilité civile des professionnels du droit est-elle subsidiaire ? » : D. 2016, p. 553. V. égal. G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, op. cit., n° 287-1 in fine, et C. Brière, « La certitude du préjudice dans la responsabilité des professionnels du droit » : Resp. civ. assur. 2004, étude 17. La question a également été évoquée, à plusieurs reprises, par P. Jourdain (v. not. RTD civ. 2001, p. 370 ; RTD civ. 2004, p. 99 ; et RTD civ. 2005, p. 400) et J.-L. Aubert (v. not. Defrénois 15 juin 1997, n° 36591-84, p. 754 ; Defrénois 28 févr. 2001, n° 37309-15, p. 258) dans leurs chroniques de jurisprudence respectives.
O. Deshayes, « La responsabilité des professionnels du droit n’est pas subsidiaire… », préc., spéc. p. 223 (col. gche). V. déjà P. Jourdain, « Certitude du préjudice et responsabilité notariale (suite) : la confusion s’installe, une clarification s’impose » : RTD civ. 2005, p. 400 : « La ligne de partage (…) tend à s’estomper. » Si la Cour de cassation semble cantonner l’absence de subsidiarité aux cas où l’action contre un tiers est « consécutive à la situation dommageable née de [la] faute » du professionnel du droit, il n’en demeure pas moins que la généralité de l’attendu de principe ne plaide pas nécessairement pour une distinction aussi subtile (pour un attendu de principe particulièrement épuré, v. Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, n° 15-13840, préc.).
O. Deshayes, « La responsabilité des professionnels du droit n’est pas subsidiaire… », préc., spéc. p. 223 (col. dte).
V. cependant Cass. 3e civ., 16 mai 1990, n° 88-15077, préc., et Cass. 1re civ., 26 mars 1996, n° 94-12228, à propos de la restitution du prix consécutive à la résolution de la vente, imputable au vendeur et à une faute professionnelle des notaires rédacteurs de l’acte. Dans ces affaires, la Cour de cassation applique la technique de l’obligation in solidum à un concours de dettes de réparation et de restitution. La solution semble avoir été abandonnée depuis lors.
Cass. 1re civ., 27 mars 2001, n° 98-16723 : « celui qui s’acquitte d’une dette qui lui est personnelle peut néanmoins prétendre bénéficier de la subrogation légale s’il a, par son paiement, libéré envers leur créancier commun ceux sur qui doit peser la charge définitive de la dette. »
C. civ., art. 1346 : « La subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. »
Cass. ch. req., 13 févr. 1899, Lecomte c/ Laprade : DP 1899, I, p. 246. V. aussi les autres décisions citées par J. François, in Les obligations – Régime général, Economica, 3e éd., 2013, p. 467, note 3.
V. en particulier, A. Gouëzel, La subsidiarité en droit privé, thèse Paris II, Economica, 2013, et, sous un angle de droit comparé franco-libanais, C. Habre, La subsidiarité en droit privé, thèse Paris II, 2014. Il est à noter cependant que ces deux études n’évoquent pas la question ici étudiée.
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