La faible chance revient en force
Après avoir laissé penser par plusieurs décisions rendues en 2014 et 2015 que seule la perte de chance présentant une certaine importance était indemnisable, la Cour de cassation vient de réaffirmer sa position antérieure, selon laquelle toute perte de chance, fût-elle minime, ouvre droit à réparation. Par-delà le débat sur l’opportunité de la solution adoptée, ce nouveau rebondissement dans la saga de la perte de chance illustre les sérieux inconvénients qui découlent du caractère extrêmement elliptique des décisions de la haute juridiction.
Cass. 1re civ., 12 oct. 2016, n° 15-23230
Il est remarquable de constater avec quelle fréquence la perte de chance, que de nombreux systèmes juridiques ne connaissent pas ou refusent d’indemniser, est invoquée devant les tribunaux français, et souvent avec succès1. La notion, il est vrai, recouvre des réalités différentes selon les contextes, ce qui renforce le sentiment d’ubiquité que l’on peut éprouver en constatant la multiplicité de ses applications2. Qui plus est, la Cour de cassation encourage l’invocation de la perte de chance, en se montrant très libérale dans l’appréciation des qualités requises de la chance perdue pour qu’il y ait lieu à réparation. Cette chance doit certes être réelle et sérieuse3, mais cette exigence n’est traditionnellement pas comprise comme imposant que l’opportunité perdue dépasse un certain seuil quantitatif. Le caractère[...]
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V. encore récemment, et pour s’en tenir aux arrêts relevés dans cette revue, Cass. 3e civ., 18 févr. 2016, n° 15-12719 : RDC 2016, n° 113k1, p. 451, obs. J. Knetsch.
V. sur ce point « La perte de chance : rapport introductif » : LPA 31 oct. 2013, p. 3.
V. encore récemment Cass. com., 24 nov. 2015, nos 14-16439 et 14-19779.
Cass. 2e civ., 1er juill. 2010, n° 09-15594 : RDC 2011, p. 83, obs. S. Carval.
Cass. 1re civ., 16 janv. 2013, n° 12-14439, F-PBI : JCP G 2013, act. 98, obs. H. Slim, doctr. 1291, n° 1, obs. P. Stoffel-Munck ; Resp. civ. et assur. 2013, comm. 108, par F. Leduc ; D. 2013, p. 619, note M. Bacache ; Gaz. Pal. 23 avr. 2013, n° 125w3, p. 14, note A. Guégan-Lécuyer ; RTD civ. 2013, p. 380, obs. P. Jourdain.
V. par ex. M. Bacache, note précitée sous Cass. 1re civ., 16 janv. 2013, n° 12-14439 ; P. Jourdain, obs. précitées sous Cass. 1re civ., 16 janv. 2013, n° 12-14439.
Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, nos 13-16380 et 12-22567, PBI : D. 2015, p. 124, obs. P. Brun ; JCP G 2014, n° 28, 815, note J.-S. Borghetti, 1324, n° 1, obs. P. Stoffel-Munck ; Resp. civ. et assur. 2014, comm. 215, note F. Leduc ; RDC 2014, n° 110z5, p. 610, note O. Deshayes.
V. not. P. Stoffel-Munck, obs. précitées ; O. Deshayes, note précitée.
J.-S. Borghetti, note précitée sous Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, nos 13-16380 et 12-22567.
F. Leduc, note précitée sous Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, nos 13-16380 et 12-22567. V. aussi P. Brun, obs. précitées sous Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, nos 13-16380 et 12-22567.
Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, n° 14-25109. V. aussi Cass. 1re civ., 10 juill. 2014, n° 13-20606.
O. Sabard : RLDC 2016, n° 137.
Cass. com., 12 juill. 2005, n° 02-18346. Bien qu’il s’agît de la deuxième cassation prononcée dans la même affaire, la cour d’appel de renvoi n’eût pas été obligée de suivre la Cour de cassation sur ce point, car la première décision de cassation portait sur la reconnaissance d’un soutien abusif apporté par la banque à une entreprise en situation irrémédiablement compromise, v. Cass. com., 25 janv. 2000, n° 96-22034.
V. par ex la nomenclature Dintilhac et l’article 2226, alinéa 1er, du Code civil.
V. not. l’article 1235 de l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile.
Que la perte de chance soit le concept adéquat pour appréhender une incertitude de ce type est une autre question ; v. sur ce point nos obs. sous Cass. 1re civ., 6 déc. 2007, n° 06-19301 : RDC 2008, p. 769.
Mais non en matière médicale, lorsqu’est en cause une perte de chance de guérison.
Cela étant, il convient de relever que l’arrêt du 25 novembre 2015 précité, dans lequel la Cour de cassation a réitéré l’exigence d’un préjudice direct et certain résultant d’une perte de chance raisonnable, a été rendu dans une affaire où était en cause la responsabilité d’un avocat et où la chance soi-disant perdue avait trait au préjudice, et non au dommage.
Le terme est employé par F. Leduc, comm. précité sous Cass. 1re civ., 16 janv. 2013, n° 12-14439, n° 2.
V. not. P. Brun, obs. précitées sous Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, nos 13-16380 et 12-22567.
Ibid.
V. sur ce point « Les intérêts protégés et l’étendue des préjudices réparables en droit de la responsabilité civile extracontractuelle », in Études offertes à Geneviève Viney, LGDJ, 2008, p. 145.
F. Leduc, comm. précité sous Cass. 1re civ., 16 janv. 2013, n° 12-14439.
La perte de chance n’est évoquée qu’à l’article 1238 de l’avant-projet, qui dispose simplement : « Seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable. Le préjudice de perte de chance est distinct de l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée ? »
V. not. Cass. com., 22 mars 2016, n° 14-14218 : RDC 2016, n° 113h4, p. 435, obs. Y.-M. Laithier ; RDC 2016, n° 113n1, p. 481, obs. L. Sautonie-Laguionie et G. Wicker ; RTD civ. 2016, p. 343, obs. H. Barbier.
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