Responsabilité du fait du DES : un pas de plus vers le « market-share liability »
La responsabilité in solidum des deux laboratoires ayant fabriqué et commercialisé le DES est en réalité fondée, non sur l’existence d’un lien de causalité strictement entendu, mais sur une présomption d’imputabilité à une prise de risque fautive, soit en d’autres termes sur une probabilité que l’un ou l’autre des laboratoires soit l’auteur du dommage, en raison de la faute identique commise par tous deux. Or, le risque imputable à l’un des deux laboratoires est, au vu de sa part de marché, bien moindre. Ce laboratoire est donc bien fondé, dans ses rapports avec son coresponsable, à demander que la contribution à la dette soit proportionnelle au risque qui lui est imputable, dont on ne voit pas comment il pourrait être apprécié si ce n’est par référence à leurs parts de marché respectives.
CA Versailles, 14 avr. 2016, no 16/00296
Il y a près de six ans de cela, nous publiions dans ces colonnes un commentaire intitulé « Responsabilité du fait du DES : en route vers le “market-share liability” ? »1. Depuis lors, certaines juridictions du fond ont accompli des pas décisifs dans cette direction, le dernier en date étant le fait de la cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 14 avril 2016.
Un bref rappel du contexte s’impose, afin de mieux saisir la portée de cette décision. Le diéthylstiboestrol (DES) est une molécule qui fut prescrite en France dès les années[...]
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RDC 2010, p. 90, note sous Cass. 1re civ., 24 sept. 2009, n° 08-16305.
D’après certaines études, les effets néfastes de la molécule pourraient même se faire sentir chez les petits-enfants des femmes ayant pris le produit.
Cass. 1re civ., 7 mars 2006, nos 04-16179 et 04-16180 : Bull. civ. I, nos 142 et n° 143 ; D. 2006, p. 812, obs. Gallmeister I. ; RTD civ. 2006, p. 565, obs. Jourdain P. ; RTD com. 2006, p. 906, obs. Bouloc B. ; JCP G 2006, I, 166, spéc. n° 8, obs. Stoffel-Munck P. ; RCA 2006, n° 164, note Radé C. ; RDC 2006, p. 844, obs. Borghetti J.-S.
V. par ex. TGI Nanterre, 24 mai 2002 : D. 2002, p. 1885 ; RDSS 2002, p. 502, note Neyret L. ; RTD civ. 2002, p. 527, obs. Jourdain P. – TGI Versailles, 30 avr. 2004 : D. 2004, p. 2071, note Gossement A.
Cass. 1re civ., 24 sept. 2009, n° 08-16305 : Bull. civ. I, n° 187 ; D. 2009, p. 2342, obs. Gallmeister I. ; D. 2010, p. 49, obs. Brun P. ; D. 2010, p. 1162, chron. Quézel-Ambrunaz C. et D. 2010, p. 2671, obs. Gelbard-Le Dauphin I. ; RDSS 2009, p. 1161, obs. Peigné J. ; RTD civ. 2010, p. 111, obs. Jourdain P. ; JCP G 2009, 304, obs. Mistretta P. ; JCP G 2009, 381, note Hocquet-Berg S. et JCP G 2010, 456, spéc. n° 5, obs. Stoffel-Munck P. ; RDC 2010, p. 90, obs. Borghetti J.-S. ; RCA 2009, étude n° 15, obs. Radé C.
V. cependant CA Versailles, 14 avr. 2016, n° 16/00357, cité par S. Hocquet-Berg, RCA 2016, comm. 254, n° 4.
Viney G., Jourdain P. et Carval S., Les Conditions de la responsabilité, 4e éd., 2013, n° 424-1.
« Lorsque plusieurs personnes sont responsables d’un même dommage, elles sont solidairement tenues à réparation envers la victime. Si elles ont toutes commis une faute, elles contribuent entre elles à proportion de la gravité de leurs fautes respectives. Si aucune d’elles n’a commis de faute, elles contribuent par parts égales. Si seules certaines d’entre elles ont commis une faute, elles supportent seules la charge définitive de la réparation ».
CA Paris, 26 oct. 2012, n° 10/18297 : D. 2013, p. 2709, note Ferey S. et G’Sell F. ; JCP G 2013, 484, spéc. n° 11, obs. Stoffel-Munck P.
Les chiffres exacts sont discutés par les laboratoires, mais c’est cette répartition qui a finalement été retenue par les juges de Nanterre comme par ceux de Versailles.
V. sur ce point D. 2014, p. 1434, n° 12.
V. notamment Borghetti J.-S., RDC 2010, p. 94 ; D. 2014, p. 1434, nos 14-15 ; Ferey S. et G’sell F., D. 2013, p. 2712 ; Jourdain P., RTD civ. 2010, p. 111 ; Ranouil M., Les Recours entre coobligés, préf. Jourdain P., 2014, n° 327 ; Stoffel-Munck P., JCP G 2013, 484, spéc. n° 11. Comp. Lécuyer H., « En route vers le market share liability ? Quelles suites à la jurisprudence relative à la responsabilité du fait du DES ? », LPA 22 mai 2012, n° 102, p. 3 ; Molfessis N., « Du critère des parts de marché comme prétendu remède à l’incertitude sur l’origine d’un dommage », LPA 15 oct. 2015, p. 7 ; Hocquet-Berg S., RCA 2016, comm. n° 254.
TGI Nanterre, 10 avr. 2014 (deux jugements) : D. 2014, p. 1434, note Borghetti J.-S. ; JCP G 2014, 575, obs. Quézel-Ambrunaz C. et JCP G 2014, 678, note Dubarry J. V. aussi TGI Nanterre, 22 mai 2014, n° 12/12339.
TGI Nanterre, 22 mai 2014, préc.
L’arrêt ne présentant pas d’intérêt particulier en ce qui concerne la responsabilité du laboratoire poursuivi à l’égard de la demanderesse, il ne sera pas question ici de cet aspect de la décision.
Pour une synthèse des arguments invoqués contre le recours aux probabilités, v. Hocquet-Berg S., RCA 2016, comm. 254, n° 6-8 ; et, pour leur réfutation, v. Stoffel-Munck P., JCP 2016, 1117, n° 8.
V. not. en ce sens Brun P., Responsabilité civile extracontractuelle, 3e éd., 2014, n° 389.
V. p. ex. Cass. 1re civ., 26 nov. 2014, n° 13-18819 : D. 2015, p. 405, note Borghetti J.-S., RDC 2015, n° 111w4, p. 252, obs. Viney G. ; RCA 2015, comm. n° 58, note Bloch L. ; JCP G 2015, 740, spéc. n° 4, obs. Bloch C.
Il en va par exemple ainsi en matière de responsabilité du fait d’autrui, lorsque les parents sont rendus responsables du dommage causé par un fait générateur imputable à leur enfant.
Tel est par exemple le cas du fabricant du produit fini, lorsqu’il est rendu responsable du dommage causé par le défaut d’une partie composante, solidairement avec le producteur de cette dernière ; v. Cass. 1re civ., 26 nov. 2014, préc.
Le principe de la substitution d’une responsabilité solidaire des coresponsables à une responsabilité in solidum étant acquis.
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