Abus de confiance et inexécution contractuelle : la Cour de cassation a-t-elle franchi le Rubicon ?
Constitue le délit d’abus de confiance le fait, pour le gérant d’une société de construction, d’encaisser des acomptes versés par les clients en sachant être dans l’impossibilité de réaliser les travaux de construction d’une maison individuelle.
Cass. crim., 6 avr. 2016, n° 15-81272
L’affaire. – Peut-on encore affirmer aujourd’hui, comme l’énonçait jadis fièrement la chambre criminelle de la Cour de cassation, que « l’inobservation d’une obligation contractuelle (…) n’entre dans les prévisions d’aucun texte répressif »1 ? Un arrêt rendu le 6 avril 2016 par cette même juridiction, qui aura les honneurs d’une publication au Bulletin, pourrait inviter à en douter. Dans cette affaire, le gérant d’une société de construction fut poursuivi du chef d’abus de confiance pour avoir détourné des avances consenties par des clients dans le cadre d’un contrat de construction de maison individuelle sans que la société de construction ait accompli ni même commencé à réaliser les travaux. Le gérant fut condamné en appel au motif qu’il savait, au moment de la signature du contrat, que la situation financière lourdement obérée de la société ne lui permettrait pas d’exécuter ses obligations contractuelles, de sorte qu’il ne pouvait encaisser les « avances » remises par les clients sans commettre un abus de confiance. Le pourvoi, qui faisait valoir que les fonds remis par les[...]
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Cass. crim., 24 nov. 1983, n° 82-90672 : Bull. crim., n° 315.
Cass. crim., 3 févr. 2016, n° 14-83427 : Dr. pén. 2016, comm. n° 72, par Conte P.
Cette exigence d’une remise à titre précaire résulte de la lettre de l’article 314-1 du Code pénal qui incrimine le détournement de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque remis « à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé ».
D’autres contrats pourraient encore être cités, qu’il s’agisse par exemple du contrat de société, du contrat de franchise, du contrat d’entreprise ou du crédit-bail.
C. civ., art. 2255 et 2257.
V. not. CCH, art. L. 231-4, III, al. 4 : « Le contrat peut prévoir des paiements au constructeur avant la date d’ouverture du chantier, sous réserve que leur remboursement soit garanti par un établissement habilité à cet effet ».
Sur la question, v. Fabre-Magnan M., Droit des obligations, t. 1, 2010, PUF, p. 272.
CCH, art. R. 231-7. Adde, CCH, art. R. 231-8.
Cass. crim., 25 mars 2009, n° 08-82784. Adde, dans le même sens : Cass. crim., 25 avr. 2006, n° 05-80928 – v. au contraire, retenant l’abus de confiance dès lors que la qualification d’acompte est exclue, Cass. crim., 24 févr. 2010, n° 08-87806 : AJ pénal 2010, p. 238, obs. Lasserre Capdeville J. ; RTD com. 2010, p. 616, obs. Bouloc B.
Cass. crim., 17 juin 1991, n° 90-81739 : Bull. crim., n° 257 ; RSC 1992, p. 762, obs. Bouzat P.
Cass. crim., 26 janv. 2005, n° 04-81497 : Bull. crim., n° 29 (honoraires d’avocat) – adde Cass. crim., 25 janv. 2006, n° 05-80928.
En ce sens, v. D. 2008, p. 958, Rebut D.
Cass. crim., 5 sept. 2007, n° 07-80529 : JCP G 2007, II, 10186, note Détraz S.
Cass. crim., 14 févr. 2007, n° 06-8228 : AJ pénal 2007, p. 275, note Muller Y. – Cass. crim., 19 sept. 2007, n° 06-86343 : D. 2008, p. 958, note Rebut D.
Contra Catelan N., note sous Cass. crim., 6 avr. 2016, n° 15-81272 : JCP G 2016, 854, spéc. n° 29.
Cass. crim., 13 janv. 2010, n° 08-83216 : Bull. crim., n° 6 ; JCP G 2010, 500, note Lasserre Capdeville J. ; RSC 2010, p. 621, obs. Matsopoulou H. – v. déjà en ce sens, Cass. crim., 30 mai 1996, n° 95-82487 : Bull. crim., n° 224 ; RSC 1997, p. 129, obs. Riffault-Treca J. Adde, pour des honoraires détournés, Cass. crim., 5 mai 2010, n° 09-85455 : D. 2010, p. 2494, note Muller Y. – pour les recettes d’un groupement d’intérêt économique, Cass. crim., 5 déc. 2012, n° 11-82918.
V. faisant ainsi explicitement application du critère du pouvoir de libre disposition, Cass. crim., 20 juill. 2011 : JCP G 2011, 2242, note Lasserre Capdeville J. ; JCP G 2011, 1226, Samin T. et Torck S. ; Rev. pénit. 2011, p. 898, obs. Conte P. : « l’appropriation indue par la banque du solde créditeur d’un compte clôturé caractérise le délit d’abus de confiance, peu important que durant le fonctionnement du compte, l’établissement ait eu la libre disposition des fonds ». La Cour de cassation invite ainsi à distinguer deux périodes, celle qui débute à compter de la clôture du compte, pendant laquelle l’abus de confiance est applicable, et celle du fonctionnement du compte, durant laquelle le délit serait inconcevable dès lors que l’établissement de crédit est titulaire d’un pouvoir de libre disposition des fonds (C. mon. fin., art. L. 312-2).
V. Zalewski V., « Les règles de paiement dans les contrats spéciaux », RDI 2013, p. 22, se fondant sur les articles L. 241-2 et L. 263-2 du Code de la construction et de l’habitation qui, respectivement applicables aux contrats de société ou de promotion immobilière et de ventes d’immeubles à construire ou à rénover, punissent des peines de l’abus de confiance le fait de détourner des « versements » effectués par les clients au titre de l’un de ces contrats, ce dont il résulterait un principe général, en droit de la construction, d’affectation des versements remis à la réalisation des travaux.
Dès lors qu’une telle obligation d’affectation peine à trouver un fondement textuel certain ; v. sur la question, v. Balat N. et Safi F., note sous Cass. crim., 6 avr. 2016, n° 15-81272 : D. 2016, p. 1409.
V. en ce sens, Cass. crim., 13 janv. 2010, n° 08-83216, préc.
Sur ces points, v. « Du sens de l’évolution de l’abus de confiance : la propriété, toutes les propriétés mais rien que la propriété », Dr. pén. 2012, étude n° 9.
Witz C., « La fiducie française face aux expériences étrangères et à la convention de La Haye relative au trust », D. 2007, p. 1369.
V. Balat N. et Safi F., note préc. sous Cass. crim., 6 avr. 2016, n° 15-81272 ; Conte P., note préc. sous Cass. crim., 3 févr. 2016, n° 14-83427.
En ce sens, v. particulièrement Libchaber R., « Une fiducie française, inutile et incertaine », in Mélanges P. Malaurie, 2005, Defrénois-EJA, p. 303 et s., spéc. p. 317.
V. particulièrement Grimaldi M., « Théorie du patrimoine et fiducie », RLDC 2010/77, p. 74. Adde Rochfeld J., Les grandes notions du droit privé, 1re éd., 2011, PUF, n° 19, p. 375-376.
V. C. civ., art. 1988, à la condition que le mandat soit exprès. Sur l’ensemble de la question, v. Puig P. , « La fiducie et les contrats innomés », Dossier spécial « Le contrat de fiducie et l’opération fiduciaire », Dr. & patr. 1er juin 2008, n° 171, p. 68 et s.
Ce qui n’est d’ailleurs pas nécessairement le cas, le contrat de fiducie devant déterminer, à peine de nullité, l’étendue des pouvoirs d’administration et de disposition du fiduciaire (C. civ., art. 2018, 6°).
À l’instar d’un mandataire, le fiduciaire, qui doit rendre compte de sa gestion (C. civ., art. 2022), peut être responsable sur son patrimoine personnel en cas de faute dans l’exécution de sa mission (C. civ., art. 2026) et peut même être révoqué (C. civ., art. 2028).
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