Le dol pénal étend son empire : l'escroquerie peut porter sur un immeuble
L’escroquerie peut porter sur un immeuble, lequel constitue un bien au sens de l’article 313-1 du Code pénal.
Cass. crim., 28 sept. 2016, no 15-84485, PB
Renversement de perspective. La célèbre formule du président Barris, selon laquelle « la propriété des immeubles est essentiellement dans le domaine des tribunaux civils »1, pourrait bien avoir vécu, aujourd’hui démentie, plus de deux siècles après son énoncé, par une décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 28 septembre 2016. Dans cette affaire, un individu avait établi en 2001 un faux testament présentant sa mère comme l’unique ayant droit de son oncle défunt, ce qui permit à celle-ci d’hériter notamment d’une villa dont elle fit donation de la nue-propriété à son fils. Bien qu’auteur d’un faux testament, ce dernier ne fut pas poursuivi sur le fondement de l’escroquerie, dès lors que ce délit était prescrit, mais sur celui de recel d’escroquerie portant non pas directement sur l’immeuble, mais sur sa nue-propriété. Tandis que la cour d’appel admit d’entrer en voie de condamnation dès lors que « le recel peut porter sur toute chose », notamment sur un immeuble, le pourvoi contestait cette qualification en faisant valoir qu’un immeuble construit ne pouvait être l’objet de l’infraction originaire d’escroquerie, de sorte qu’à défaut d’infraction préalable, le recel subséquent ne[...]
L'accès à l'intégralité de ce document est réservé aux abonnés
Note du président Barris du 5 nov. 1813, § 4, cité par Robert J.-M., « Question préjudicielle », Rép. pén. Dalloz. Sur l’ensemble de la question, v. Mascala C., « L’immeuble : un bien saisi par le Code pénal ? », in Mélanges à la mémoire du professeur Robert Saint-Alary, 2006, PUT, p. 387.
Cass. crim., 15 juin 1992, n° 91-86053 : Bull. crim., n° 235 ; DP 1992, comm. 281, obs. Véron M. ; RSC 1993, p. 782, obs. Bouzat P. – Cass. crim., 27 mars 1995, n° 91-86053 : Bull. crim., n° 124.
Cass. crim., 12 nov. 1864 : Bull. crim., n° 257 – Cass. crim., 23 janv. 1997, n° 96-80729 : Bull. crim., n° 34 ; D. 1999, somm. 157, obs. Mirabail S. ; DP 1997, comm. 93, obs. Véron M.
Cass. crim., 23 mars 1838 : Bull. crim., n° 76 – Cass. crim., 22 janv. 1854 : S. 1855, 1, 681.
V. Ollard R., La protection pénale du patrimoine, t. 98, 2010, Dalloz, Nouvelle bibliothèque des thèses, nos 223 et s., spéc. nos 278-280.
En ce sens, v. égal. D. 2016, p. 2382, note Détraz S. Comp. Malabat V., préc. cit.
Sur la question, v. Mazeaud H., L. et J., Leçons de droit civil, t. II, 8e éd., par Chabas F., 1994, vol. 2, Biens : droit de propriété et ses démembrements, Montchrestien, n° 1614.
V. en dernier lieu, Cass. crim., 19 juin 2013, n° 12-83031 : RDC 2013, p. 479 (temps de travail) – Cass. crim., 16 nov. 2011, n° 10-87866 : RDC 2012, p. 37 (informations relatives à la clientèle).
V., particulièrement net à cet égard, D. 1921, Jur., p. 57, note Nast M. ss Cass. crim., 4 juin 1915. V. toutefois, Garraud R., Traité théorique et pratique du droit pénal français, t. 6, 3e éd., 1935, Sirey, n° 2565.
Ainsi notamment de la vente immobilière soumise à la forme authentique, impliquant l’intervention d’un notaire qui vérifiera l’état hypothécaire de l’immeuble cédé.
Salvage-Gerest P. et Salvage P., « Droit pénal et sûretés », in Mélanges en l’honneur du professeur Jean Larguier, 1993, PUG, p. 281, spéc. n° 2.
L. n° 2015-177, 16 févr. 2015, art. 9, ayant abrogé C. civ., art. 2279.
Cornu G., Droit civil. Introduction, Les personnes, Les biens, 12e éd., 2005, Montchrestien, n° 928.
Une telle justification serait en outre accréditée par le fait que les infractions de destruction du bien d’autrui (C. pén., art. 322-1 et s.) ont toujours été jugées applicables en matière immobilière (v. par ex. Cass. crim., 9 mars 1994, n° 93-82865 : Bull. crim., n° 94), le droit pénal trouvant alors motif à intervenir dès lors que les modes de protection civile de l’immeuble, préventif ou curatif, sont impuissants à le protéger contre ce type d’atteinte.
V. toutefois Gallois J., Dalloz actualité, 20 oct. 2016 ; JCP G 2016, p. 1389, note Malabat V.
C. pén., art. 321-1, al. 1er, qui incrimine « le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit ».
V., admettant que le recel consécutif à un abus de biens sociaux puisse porter sur un immeuble, Cass. crim., 10 oct. 2012, n° 11-85914.
En ce sens, v. Détraz S., préc. cit.
C. pén., art. 321-1, al. 2, qui incrimine le fait de « bénéficier, par tout moyen, du produit » d’une infraction.
Comp. Détraz S., note préc.
Impliquant un enlèvement et donc un déplacement physique de la chose d’autrui, la soustraction matérielle est quant à elle radicalement incompatible avec la fixité de l’immeuble.
En ce sens, on relèvera que l’incrimination spéciale d’occupation sans droit du terrain d’autrui (C. pén., art. 322-4-1) montre bien que, dans l’esprit du législateur, l’hypothèse ne pouvait être sanctionnée au titre du vol.
Cass. crim., 10 oct. 2001, n° 00-87605 : Bull. crim., n° 205 ; D. 2002, Somm., p. 1796, obs. Lamy B. – Cass. crim., 14 janv. 2009, n° 08-83707 : JCP G 2009, 166, note Beaussonie G. ; DP 2009, Somm., 65, obs. Véron M.
C. pén., art. 312-1 et 312-10.
Sans doute la lettre des textes n’impose-t-elle pas que la « remise d’un bien » consécutive à un vice du consentement prenne les traits d’une remise en propriété, de sorte qu’un simple transfert de la détention précaire de l’immeuble pourrait constituer ces infractions, par exemple lorsque l’auteur se fait consentir un bail d’habitation (v. Détraz S., note préc.). L’hypothèse pourrait toutefois alors être sanctionnée au titre de l’obtention d’un « acte opérant obligation » (escroquerie) ou d’un « engagement » (chantage, extorsion), par ailleurs incriminée par les textes.
C. pén., art. 322-4-1 (occupation sans droit d’un terrain appartenant à autrui) ; C. pén., art. 313-6-1 (mise à disposition frauduleuse d’un bien immobilier appartenant à autrui).
Testez gratuitement Lextenso !