Autorité de la chose jugée au pénal et action contractuelle
L’autorité de la chose jugée attachée à une relaxe du chef de tromperie sur les qualités substantielles ne constitue pas un obstacle à l’exercice, devant le juge civil, d’une action indemnitaire fondée sur la non-conformité de la chose délivrée, faute contractuelle qui, procédant d’une obligation de résultat, diffère de la faute pénale en ce que, en dehors de toute dissimulation fautive du vendeur, elle est fondée sur la délivrance d’une chose qui n’est pas conforme à celle commandée, au sens de l’article 1604 du Code civil.
Cass. 1re civ., 6 avr. 2016, no 15-12881, PB
L’affaire. – Le dirigeant d’une société avait été poursuivi du chef de tromperie sur la nature et les qualités substantielles de marchandises pour avoir vendu à un médecin un échographe numérique sans indiquer de façon explicite qu’il s’agissait de matériel d’occasion, cette identification résultant seulement de la mention de la lettre R après la référence du matériel sur la facture. Il a été relaxé par un jugement correctionnel devenu définitif au motif que les faits reprochés n’étaient pas établis. La société est ensuite assignée en réparation d’un défaut de conformité de l’échographe aux caractéristiques convenues. D’abord rejetée en première instance, cette demande est ensuite jugée recevable par les juges d’appel. Un pourvoi est alors formé qui conteste cette recevabilité en invoquant[...]
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Selon l’article premier du Code de procédure pénale, l’objet des poursuites pénales est en effet l’application d’une peine, objet étranger aux actions civiles.
L’action en indemnisation des suites d’une infraction peut en effet être dirigée contre un civilement responsable qui n’est pas l’auteur de l’infraction et n’a donc pas été poursuivi au pénal.
Sur cet argument pour parer à la bilatéralité de la règle de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, v. Botton A., Contribution à l’étude de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, t. 49, 2010, LGDJ, Bibl. sc. crim., nos 258 et s., p. 146 et s.
Sur ce point v. Bouloc B., Procédure pénale, 25e éd., 2016, Dalloz, n° 1203, p. 1057 et s.
La loi du 5 mars 2007 tendant à l’équilibre de la procédure pénale a en effet mis fin à la règle « le pénal tient le civil en l’état » pour les actions à fins civiles. Désormais pour ces actions à fins civiles, le sursis à statuer ne s’impose pas même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer une influence sur la solution du procès civil (v. Cass. 1re civ., 31 oct. 2012, n° 11-26476 : Dr. pén. 2013, comm. 15, note Maron A. et Haas C.) mais il relève du pouvoir discrétionnaire du juge civil (Cass. soc., 17 sept. 2008, n° 07-43211 : AJ pénal 2008, p. 510).
Certains auteurs ont considéré que la fin de la règle du pénal tient le civil en l’état pour les actions à fins civiles impliquait de mettre fin également à l’autorité de la chose jugée en ce domaine. Mais ce raisonnement a été contesté (v. Botton A., op. cit. nos 369 et s., p. 207 et s.). Par ailleurs, cette conséquence n’a pas été tirée par la jurisprudence qui continue de faire référence au principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil en matière d’actions à fins civiles.
V. par ex. Cass. soc., 10 mai 2016, n° 14-26249.
V. par ex. Cass. soc., 12 oct. 2016, nos 14-29468 et 14-29469, 2 arrêts.
Bouloc B., op. cit., n° 1200, p. 1054.
Bouloc B., op. cit., n° 1200, p. 1054.
Cass. req., 15 janv. 1945 : D. 1945, p. 220.
À cela s’ajoute que, depuis la loi du 10 juillet 2000, la relaxe pour absence de faute non intentionnelle n’empêche pas le juge civil de se fonder sur l’article 1241 du Code civil (CPP, art. 4-1).
C’est d’autant plus le raisonnement suivi par la première chambre civile que celle-ci oppose action fondée sur le dol, vice du consentement, qui serait ici irrecevable (le juge pénal ayant établi l’absence d’intention de tromper) et action en indemnisation pour non-conformité de la chose délivrée. La première chambre civile approuve en effet les juges du fond d’avoir relevé que « la relaxe du chef de tromperie faisait obstacle à ce que l’acquéreur puisse, devant les juridictions civiles, invoquer un dol ayant vicié son consentement » mais que tel n’était pas le fondement de l’action à fins civiles exercée en l’espèce. Cette affirmation qui assimile en réalité le dol civil et l’infraction pénale de tromperie est pourtant contestable, ne serait-ce que parce que la tromperie du Code pénal peut être commise en cours d’exécution du contrat mais aussi parce que l’objet de la sanction civile pour dol semble plus large (v. en ce sens Robert J.-H., JCl. Pénal des Affaires, v° Fraudes, fasc. 10. Fraudes-Tromperie, n° 3).
En ce sens, v. tout particulièrement, Conte P. et Maistre du Chambon P., Droit pénal général, 7e éd., 2004, Armand Colin, n° 381, qui définissent l’intention comme « une volonté tendue pour atteindre la cible délictueuse » et qui expliquent plus loin que « ce lien très étroit entre l’intention et le résultat de l’acte envisagé a pour conséquence que la définition de l’intention est nécessairement relative ».
Sur l’élément moral de la tromperie, v. nos obs. sous Cass. crim., 20 sept. 2011, n° 11-81326, RDC 2012, p. 946 et s.
Robert J.-H., JCl. Pénal des Affaires, v° Fraudes, fasc. 10. Fraudes-Tromperie, n° 58.
L’absence d’intention coupable paraît assez peu vraisemblable compte tenu de la sévérité de la jurisprudence en la matière, sévérité d’autant plus marquée à l’égard des importateurs, ce qu’était en l’espèce la société venderesse. Sur cette gradation de la consistance de l’élément moral requis par la jurisprudence, v. Robert J.-H. ; op. cit., nos 59 et s.
V. tout particulièrement sur ce point, Cass. 3e civ., 14 avr. 2010, n° 08-21346 : Bull. civ. III, n° 84, qui relève que « le délit de délaissement supposant un acte positif (…), la cour d’appel a retenu à bon droit que la circonstance que Mme Y (…) avait été relaxée, n’empêchait pas que puissent être constatés, au plan civil, les manquements commis par l’intéressée à ses obligations contractuelles ».
Et la recodification du Code de la consommation par l’ordonnance du 14 mars 2016 entrée en vigueur le 1er juillet dernier n’a rien changé de ce point de vue. L’article L. 441-1 du Code de la consommation reprend en effet la même définition de la tromperie que celle qui était auparavant prévue à l’article L. 213-1. Il vise en effet le fait de « tromper ou tenter de tromper le contractant par quelque moyen ou procédé que ce soit » notamment sur « la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ».
Sur ces solutions, v. Robert J.-H., JCl. Pénal des Affaires, v° Fraudes, fasc. 10. Fraudes-Tromperie, n° 34.
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