La déconnexion entre la propriété des droits sociaux et la qualité d'associé
L’interprétation jurisprudentielle de l’article 1843-4 du Code civil qui conduit à retenir la date la plus proche du remboursement pour évaluer les droits sociaux en cas d’exclusion est conforme au bloc de constitutionnalité, même si l’associé exclu perd ses prérogatives politiques bien avant la date d’évaluation des droits sociaux litigieux.
Une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 16 septembre 20161 mérite une attention particulière en ce qu’elle suscite la discussion tant au regard du droit de propriété tel qu’il est protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) qu’au regard des règles d’ordre public du droit des sociétés directement inspirées par le droit de propriété.
Les faits qui ont conduit à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sont simples. L’associé d’une société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) a été exclu aux termes d’une décision de l’assemblée générale. Dès cette décision, il n’a plus été autorisé à exercer ses droits politiques au premier rang desquels figure son droit de vote. Conformément à l’article 1843-4 du Code civil, un expert a été nommé en raison du désaccord entre l’associé exclu et ses pairs sur la valeur de ses droits sociaux. L’expert a évalué les droits sociaux litigieux à la date la plus proche du[...]
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V. not. Cass. com., 4 mai 2010, n° 08-20693.
Cass. com., 9 févr. 1999, n° 96-17661 : JCP E 1999, 724, note Guyon Y. ; Rev. sociétés 1999, p. 81, note Le Cannu P. ; RJ com. 1999, p. 269, note Dom J.-P. ; RTD com. 1999, p. 902, note Reinhard Y.
Où l’on retrouve la définition de la société par la loi (C. civ., art. 1832 : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. (...)
Les associés s’engagent à contribuer aux pertes »).
V. not. Le Cannu P. et B. Dondero, Droit des sociétés, 3e éd., 2009, Montchrestien, n° 1111.
Pour de plus amples développements sur la substance des droits sociaux, v. notre thèse, La jouissance des droits sociaux d’autrui, Revet T. (préf.), thèse Paris 1, 2013, Dalloz, nos 105 et s.
Le Conseil constitutionnel décide qu’un justiciable peut contester, par une QPC, la constitutionnalité de la loi telle qu’interprétée par le juge administratif ou le juge judiciaire. V. Cons. const., 14 oct. 2010, n° 2010-52 QPC.
V. en ce sens Cons. const., 20 juill. 2000, n° 2000-434 DC ; Cons. const., 10 mai 2016, n° 2016-540 QPC : « En l’absence de privation du droit de propriété au sens de cet article (l’article 17), il résulte néanmoins de l’article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. »
Sur les conditions permettant de valider une atteinte au droit de propriété tel qu’il est garanti par la DDHC, v. Cons. const., 16 janv. 1982, n° 81-132 DC : D. 1983, jur., p. 169, note Hamon L. ; JDI 1982, p. 275, note Goldman B. Adde Terré F. et Lequette Y. : Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 1, 12e éd., 2007, Dalloz, n° 2 ; Zenati F., « Sur la constitution de la propriété », D. 1985, chron., p. 171.
Cons. 8 : « Le délai qui peut s’écouler, en application de la disposition contestée telle qu’interprétée par la jurisprudence, entre la décision de sortie de la société et la date de remboursement des droits sociaux est susceptible d’entraîner une atteinte au droit de propriété de l’associé cédant, retrayant ou exclu. Toutefois, pendant cette période, l’associé concerné conserve ses droits patrimoniaux et perçoit notamment les dividendes de ses parts sociales. Par ailleurs, cet associé pourrait intenter une action en responsabilité contre ses anciens associés si la perte provisoire de valeur de la société résultait de manœuvres de leur part. Au regard de leur objectif, qui est de permettre une juste évaluation de la valeur litigieuse des droits sociaux cédés, les dispositions contestées ne portent donc pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Le grief tiré de la méconnaissance de l’article 2 de la Déclaration de 1789 doit être écarté. »
V. Lagrange F., V° « Les actions. – Droits et obligations attachés à l’action », JCl. Sociétés Traité, fasc. 1790, 2000, n° 4 : « L’indivisibilité du titre signifie que, dans ses rapports avec les associés, la société ne reconnaît qu’un seul titulaire pour une action. Ce principe, aux vertus essentiellement pratiques, s’étend au titre et aux droits qui y sont attachés, de telle sorte que ni le titre ni les droits afférents à celui-ci ne peuvent en principe être morcelés. » La règle, posée par l’article L. 228-5 du Code de commerce pour les actions, n’a pas d’équivalent en ce qui concerne les parts sociales. Néanmoins, on notera que l’usage conduit les associés, dans cette hypothèse, à stipuler l’indivisibilité dans les statuts, v. en ce sens Charvériat A., Couret A., Zabala B. et Mercadal B., Mémento Francis Lefebvre. Sociétés commerciales, 2014, n° 4305 ; Zenati F., V° « Usufruit des droits sociaux », Rép. sociétés Dalloz 2003, n° 65.
V. C. com., art. L. 228-30 : « L’assemblée générale extraordinaire d’une société par actions, ou dans les sociétés qui n’en sont pas dotées, l’organe qui en tient lieu, peut décider, sur le rapport du conseil d’administration ou du directoire, selon le cas, et sur celui des commissaires aux comptes, la création, dans une proportion qui ne peut être supérieure au quart du capital social, de certificats d’investissement représentatifs des droits pécuniaires et de certificats de droit de vote représentatifs des autres droits attachés aux actions émises à l’occasion d’une augmentation de capital ou d’un fractionnement des actions existantes. »
Rappr. Jeantin M., note sous CA Paris, 25e ch. A, 26 mars 1992 : BJS juin 1992, n° 217, p. 666 ; Hémard J., Terré F. et Mabilat P., Sociétés commerciales, t. 1, 1972, Dalloz, n° 320.
V. Cass. 1re civ., 26 mai 2011, n° 10-16894 : « Il résulte du rapprochement des deux articles du Code de la santé publique susvisés, que la décision prise par l’assemblée des associés d’une société d’exercice libéral exploitant un laboratoire de biologie médicale, dont l’objet est l’exercice en commun de la profession, d’exclure, en vertu de l’alinéa 2 du premier de ces articles, un associé qui a contrevenu aux règles de fonctionnement de la société, emporte la perte immédiate de la qualité d’associé et des droits qui s’y attachent, à l’exception, jusqu’au remboursement des droits sociaux, de la rétribution des apports en capital. »
V. encore en dernier lieu, Cass. 1re civ., 28 sept. 2016, n° 15-18482 : « Si le défaut de remboursement de la valeur des parts d’un associé coopérateur qui a fait l’objet d’une mesure d’exclusion, n’a pas pour effet de maintenir son mandat d’administrateur, en revanche, la perte de la qualité d’associé d’une société d’intérêt collectif agricole constituée sous la forme d’une société civile ne peut être antérieure au remboursement des droits sociaux. »
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