L'indivisibilité de la servitude n'empêche pas l'application de la règle « nemini res sua servit »
La Cour de cassation décide que l’acquisition par le propriétaire du fonds dominant de certaines parcelles issues de la division du fonds servant éteint la servitude grevant ces parcelles, l’indivisibilité de la servitude grevant l’ensemble des parcelles issues de cette division du fonds servant n’ayant pas pour effet de paralyser le jeu des dispositions de l’article 705 du Code civil.
Cass. 3e civ., 8 sept. 2016, no 15-20371, PB
Quelle est l’incidence de l’indivisibilité d’une servitude sur l’application de la règle « nemini res sua servit » ? C’est à cette question que la troisième chambre civile de la Cour de cassation répond dans un arrêt du 8 septembre 2016. En l’espèce un terrain avait fait l’objet d’une première division en deux lots, une servitude non aedificandi ayant été conventionnellement établie sur l’un des lots au profit de l’autre. Puis, le lot qui était grevé par cette servitude fut à son tour divisé en cinq parcelles distinctes attribuées à quatre propriétaires différents. Deux des parcelles issues de la division du fonds servant étaient ainsi la propriété exclusive de deux époux qui acquirent ensuite la propriété du fonds dominant. À la suite de cette acquisition, ils invoquèrent l’extinction de la servitude sur les parcelles issues de la division du fonds servant et dont ils avaient la propriété exclusive, par application des dispositions de[...]
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Cass. ch. req. 23 mars 2008 : DP 1908, I, p. 279 ; v. égal. Bergel J.-L., Bruschi M. et Cimamonti S., Les biens, 2e éd., 2010, LGDJ-Lextenso, n° 311.
Cass. 3e civ., 2 déc. 1980, n° 79-11182 : RD imm. 1981, p. 345, obs. Bergel J.-L. – Cass. 3e civ., 24 oct. 1990, n° 88-15667 : Bull. civ. III, n° 207.
Terré F. et Simler P., Droit civil, Les biens, 9e éd., 2014, Dalloz, n° 870 ; Bergel J.-L., Bruschi M. et Cimamonti S., Les biens, op. cit., nos 311-312.
Cass. 3e civ., 27 mai 2009, n° 08-14376 : D. 2009, p. 2300, obs. Mallet-Bricout B.
Cass. 3e civ., 11 mars 2014, n° 12-29734 : RTD civ. 2014, p. 907, obs. Dross W. – Cass. 3e civ., 11 janv. 1989, n° 87-13605 : RTD civ. 1990, p. 310, obs. Zenati F. – Cass. 3e civ., 10 janv. 1984, n° 82-13418 : D. 1985, p. 335, note Aubert J.-L. ; RTD civ. 1985, p. 741, obs. Giverdon C.. À l’inverse, la Cour de cassation admet, à présent, que soit établie une servitude entre les parties privatives de deux lots de copropriété (appartenant à des propriétaires différents), v. Cass. 3e civ., 30 juin 2004, n° 03-11562 : RTD civ. 2004, p. 753, obs. Revet T. ; RD imm. 2004, p. 440, obs. Bergel J.-L. ; D. 2005, p. 1134, note Giverdon C. et Capoulade P.
Terré F. et Simler P., Droit civil, Les biens, op. cit., n° 875 ; Bergel J.-L., Bruschi M. et Cimamonti S., Les biens, op. cit., n° 330 : « Les servitudes sont indivisibles en ce qu’elles profitent nécessairement à l’intégralité du fonds dominant et grèvent le fonds dominant dans sa totalité (C. civ., art. 700 ; C. civ., art. 709 ; C. civ., art. 710). »
Terré F. et Simler P., Droit civil, Les biens, op. cit., n° 875 ; Bergel J.-L., Bruschi M. et Cimamonti S., Les biens, op. cit., n° 330 ; Malaurie P. et Aynès L., Les biens, 6e éd., 2015, LGDJ-Lextenso, n° 1125. V. aussi l’avant-projet de réforme du droit des biens, qui prend en compte cette extension passive de l’indivisibilité de la servitude : « En cas de division du fonds servant ou du fonds dominant, la servitude continue à être exercée activement et passivement selon les mêmes modalités sur la totalité du fonds servant et au profit de la totalité du fonds dominant » (art. 620).
L’indivisibilité de la servitude neutralise à son égard la division juridique du fonds sur lequel elle s’exerce. L’indivisibilité de la servitude rejaillit sur le statut juridique des parcelles issues de la division du fonds (dominant ou servant) et maintient à son égard l’unité disparue de ces parcelles.
Malaurie P. et Aynès L., Les biens, op. cit., n° 1125 : la servitude « est un droit indivisible qui toujours s’exerce pour le tout et jamais ne disparaît en partie. »
Tricoire J.-P., JCl. Civil, V° « Servitudes », art. 637 à 639, 2010, n° 36.
Cass. ass. plén., 23 mars 2001, n° 98-19018 : Rapp. C. cass. 2001, p. 334 ; Bull. inf. C. cass. 15 mai 2001, p. 7, concl. Joinet, rapp. Vigneron ; RD imm. 2001, p. 361, obs. Bergel J.-L. ; JCP G 2001, I, 358, n° 15, obs. Périnet-Marquet H. ; JCP N 2001, 1778, note Lochouarn D. ; D. 2002, p. 1109, note Perrouin J. : la servitude doit préexister à la division de l’héritage afin qu’elle puisse bénéficier de l’indivisibilité et que la prescription extinctive acquise à l’égard de l’une des parcelles issues de la division du fonds dominant puisse s’étendre à l’autre parcelle issue de cette division – rappr. Cass. civ., 27 mai 1903 : DP 1905, I, p. 110 : il n’y a pas d’indivisibilité si une servitude identique est constituée au profit ou à la charge de plusieurs fonds, notamment si ces fonds (servants) ont été divisés avant l’établissement de la servitude.
V. déjà Cass. 3e civ., 11 déc. 1996, n° 95-10696 : JCP G 1997, I, 4010, n° 19, obs. Périnet-Marquet H. ; RD imm. 1997, p. 400, obs. Bergel J.-L. ; RTD civ. 1998, p. 939, obs. Zenati F., qui décide, dans la situation symétriquement inverse, que l’extinction d’une servitude non aedificandi par maintien d’une construction pendant plus de 30 ans sur le fonds servant est acquise à l’égard des deux fonds issus de la division du fonds dominant, alors que cette construction ne contrevenait pas directement à l’utilité et l’usage de l’une des parcelles issues de la division du fonds dominant (à l’égard d’une des parcelles, la distance et la zone d’inconstructibilité avaient été respectées).
Zenati F., obs. préc. sous Cass. 3e civ., 11 déc. 1996, n° 95-10696, qui, à propos de l’indivisibilité des servitudes, énonce qu’« en cas de division du fonds servant la servitude ne se divise pas, d’où il suit qu’un acte contraire à la servitude fait courir la prescription extinctive contre tous les fonds divisés. »
La division d’un bien immobilier en lots, telle que prévue par l’article L. 442-1 du Code de l’urbanisme, est bien la division en propriété d’une unité foncière préexistante en différents lots faisant l’objet de droits de propriété distincts.
V. en ce sens, C. civ., art. 709 ; C. civ., art. 710.
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