Le bail emphytéotique se distingue du bail à construction en ce qu'il ne comporte aucune obligation de construire à la charge du preneur
Constitue un bail emphytéotique, et non un bail à construction, le contrat qui prévoit seulement la faculté de faire édifier des immeubles et non une obligation de construire à la charge du preneur, sans pour autant que cette qualification permette l’application du statut des baux commerciaux concernant la révision du loyer en fonction de la valeur locative, celle-ci étant incompatible avec l’économie générale de ce contrat.
La Cour de cassation rappelle, dans cet arrêt du 8 septembre 2016, le critère qui permet de distinguer un bail emphytéotique d’un bail à construction. Ce rappel n’est pas inutile, car il n’est pas toujours aisé de distinguer ces deux baux superficiaires, tant leurs régimes sont proches. Il existe néanmoins des différences et c’est l’une d’elles dont voulait profiter le bailleur. En l’espèce, un syndicat de copropriétaires avait donné à bail à une société un terrain moyennant un loyer annuel de 1 franc. Cette société y avait édifié un casino d’été et complexe de loisirs et, devant le succès commercial de l’opération, les bailleurs, après plusieurs années d’exécution du bail, saisirent le juge des loyers afin d’obtenir la révision du loyer et sa fixation à un montant correspondant à la valeur locative des lieux objet du bail, soit 420 000 €. La société locataire s’opposa à cette action,[...]
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CCH, art. L. 251-2 et L. 251-3, pour le bail à construction ; C. rur., art. L. 451-1 et L. 451-10 (l’emphytéote bénéficie du droit d’accession pendant la durée du bail, ce dont on déduit que le preneur acquiert pendant la durée du bail la propriété des constructions qu’il édifie, ce qui est d’autant plus justifié qu’en matière de bail ordinaire, le preneur est propriétaire des constructions qu’il a édifiées pendant toute la durée du bail, v. Cass. 1re civ., 1er déc. 1964 : JCP G 1965, II, 14213, note Esmein P.).
Tixier J.-L., « Bail emphytéotique et bail à construction : leurs différences sont-elles encore justifiées ? », RD imm. 2010, p. 513.
Saint-Alary-Houin C., Rép. civ. Dalloz, V° « Bail à construction », 2012, nos 11-12.
Cass. 3e civ., 30 janv. 2008, n° 06-21292 : RD imm. 2008, p. 215, obs. Saint-Alary-Houin C..
Bergel J.-L., Bruschi M. et Cimamonti S., Les biens, 2e éd., 2010, LGDJ-Lextenso, n° 292, où l’obligation de construire imposée au preneur est considérée comme le critère de qualification et de distinction du bail à construction, « cet engagement du preneur d’édifier des constructions est un élément essentiel du contrat qui le distingue de l’emphytéose qui ne comporte pas une telle obligation. »
Ibid., n° 291.
Cass. 3e civ., 20 mai 1992, n° 90-13598 : Gaz. Pal. 1992, 2, pan., p. 243, où la Cour régulatrice considère qu’est un bail à construction, le contrat qui comporte pour le preneur l’obligation de construire, dès lors que les autres conditions légales pour une telle qualification sont remplies, et même si cette qualification n’avait pas été expressément visée par les parties.
Cass. 3e civ., 11 juin 1986, n° 84-17222 : RD imm. 2007, p. 324, obs. Bergel J.-L. ; Defrénois 1987, n° 34016, obs. Vermelle G., où précisément la Cour de cassation qualifie le contrat de bail emphytéotique et le distingue du bail à construction, en relevant l’absence d’obligation de construire imposée au preneur, pour appliquer à ce bail emphytéotique le statut des baux commerciaux concernant la révision du loyer – Cass. 3e civ., 20 nov. 1991, n° 90-20725.
Cass. 3e civ., 11 mai 1988, nos 86-19631 et 86-19563, relatif à la révision du loyer.
Bergel J.-L., Bruschi M. et Cimamonti S., Les biens, op. cit., n° 292 ; v. aussi, Cass. 1re civ., 19 déc. 1995, n° 94-11783 : JCP N 1996, 723, où la Cour de cassation considère qu’un bail à construction comprenant un loyer annuel n’est pas nul pour absence de contrepartie (de cause) dans la mesure où le bailleur récupère sans indemnité, à l’expiration du bail, la propriété des bâtiments édifiés sur ce terrain, ce qui constitue une contrepartie réelle et sérieuse.
Terré F. et Simler P., Droit civil, Les biens, 9e éd., 2014, Dalloz, n° 934 ; Bergel J.-L., Bruschi M. et Cimamonti S., Les biens, op. cit., n° 291.
À l’expiration du bail emphytéotique, le bailleur profitera sans indemnité des investissements réalisés par le preneur, tout comme le bailleur profite sans indemnité des constructions édifiées par le preneur à l’expiration du bail à construction.
Cass. 3e civ., 5 déc. 2001, n° 99-20871 : D. 2002, p. 53, où la Cour de cassation retient, comme critère de la qualification du bail emphytéotique, la modicité de la redevance par rapport à la valeur des plantations et des améliorations devant revenir au propriétaire en fin de bail. La redevance est modique car le preneur doit améliorer le fonds (cette plus-value constitue la part principale de la rémunération du bailleur).
V. déjà, Cass. 3e civ., 19 févr. 2014, n° 12-19270 : RD imm. 2014, p. 352, obs. Poumarède M. ; Dalloz actualité 18 mars 2014, obs. Prigent S., où la Cour de cassation décide que les dispositions des articles L. 145-3 et L. 145-33 du Code de commerce ne s’appliquent pas au loyer du bail emphytéotique, au terme duquel le preneur, titulaire d’un droit réel pendant sa durée, ne bénéficie d’aucun droit au renouvellement ni à indemnité d’éviction, de sorte que le loyer du bail emphytéotique ne peut être fixé à la valeur locative.
Cass. 3e civ., 11 juin 1986, n° 84-17222, préc. – et pour le changement de position, v. Cass. 3e civ., 19 févr. 2014, n° 12-19270, préc.
Cass. 3e civ., 10 avr. 1991, n° 89-20276 : RDI imm. 1991, p. 524, obs. Foyer J. et Hudault J. – Cass. 3e civ., 29 avr. 2009, n° 08-10944 – Cass. 1re civ., 6 juill. 2011, n° 10-23430 – rappr. Cass. 3e civ., 14 nov. 2002, n° 01-13904 : RTD civ. 2003, p. 527, obs. Revet T. ; Defrénois 28 févr. 2003, n° 37676-2, p. 241, obs. Libchaber R., qui considère que la clause résolutoire de plein droit au profit du bailleur entraîne la disqualification du bail emphytéotique, en ce qu’elle est incompatible avec la nature réelle du droit du preneur (et donc la libre cession de ce droit).
Cass. 3e civ., 7 avr. 2004, n° 02-16283 : RD imm. 2005, p. 22, obs. Saint-Alary-Houin C. ; v. aussi l’article L. 251-8 du Code de la construction et de l’habitation, qui dispose que le droit du preneur de céder librement tout ou partie de son droit est d’ordre public.
Cass. 3e civ., 10 avr. 1991, n° 89-20276, préc. – Cass. 3e civ., 29 avr. 2009, n° 08-10944, préc. – Cass. 1re civ., 6 juill. 2011, n° 10-23430, préc.
Cass. 3e civ., 24 sept. 2014, n° 13-22357 : RD imm. 2014, p. 640, obs. Poumarède M. ; Dr. & patr. 2015, n° 243, p. 61, obs. Stoffel-Munck P. ; RTD civ. 2015, p. 163, obs. Dross W. ; RDC 2015, n° 111t0, p. 364, note Tadros A., qui considère comme nulle et de nul effet la clause qui soumet la cession du droit du preneur – lequel est un droit réel immobilier – à l’agrément du bailleur, en ce que cette clause constitue une restriction au droit de céder du preneur contraire à la liberté de cession.
Dans les différences secondaires de régime, on retrouve aussi, à partir d’un argument de texte, la possibilité de soumettre la cession partielle du droit du preneur à l’agrément du bailleur dans le bail emphytéotique (seule serait libre la cession totale du droit ; v. C. rur., art. L. 451-1), alors que la cession totale et la cession partielle doivent être libres dans le bail à construction (CCH, art. L. 251-3), de sorte que pour ce dernier la cession partielle ne peut être soumise à un quelconque agrément du bailleur. Toutefois, la Cour de cassation pourrait bien considérer que la cession partielle du droit du preneur d’un bail emphytéotique doit être libre (qui peut le plus peut le moins), dans un souci d’alignement des deux types de baux, d’autant plus que l’article L. 451-1 du Code rural dispose que le droit du preneur peut être cédé, sans autre précision (« Ubi lex non distinguit... »).
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