Interprétation du contrat, liberté contractuelle et renonciation à certains aspects du droit au juge
Sur fond d’arbitrage international (soustraction du litige aux juridictions étatiques pour le confier à un tribunal arbitral et renonciation au recours en nullité contre la sentence), l’arrêt Tabbane est l’occasion de revenir sur le contrôle de l’interprétation du contrat par la Cour européenne des droits de l’homme et la place de la liberté contractuelle dans sa jurisprudence.
CEDH, 1 mars 2016, n° 41069/12
Par son arrêt Tabbane, la Cour européenne des droits de l’homme confirme et prolonge la faveur qu’elle manifeste à l’égard de l’arbitrage. Elle souligne les avantages indéniables que présentent les clauses d’arbitrage, pour les parties comme pour l’administration de la justice (§ 25). Elle les évoque, sans les développer, sans doute parce qu’ils sont convenus : d’un côté, la confidentialité, la spécialité et la rapidité ; de l’autre, désengorger les juridictions étatiques. Ils lui paraissent suffisamment imposants pour proclamer que « les clauses contractuelles d’arbitrage ne se heurtent pas en principe à la convention » (§ 25). L’affirmation est classique et témoigne d’une remarquable constance dans la jurisprudence européenne1. Le droit de porter une contestation en matière civile devant un tribunal ne s’épuise pas dans la saisine d’un juge étatique. Alors même que l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne exige, au titre des garanties de[...]
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V. déjà en ce sens, Comm. EDH, 5 mars 1962, n° 1197/61, X c/ RFA.
Lambert P., « L’arbitrage et l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme », in Lambert P. (dir.), L’arbitrage et la Convention européenne des droits de l’homme, 2001, Bruxelles, Nemesis-Bruylant, Droit et Justice, p. 17.
Loi fédérale sur le droit international privé (LDIP), 18 déc. 1987, art. 192, § 2.
V. déjà en ce sens, CEDH, 12 déc. 1983, nos 8588/79 et 8589/79, Bramelid et Malmström c/ Suède, § 30.
Comm. EDH, 4 mars 1987, n° 10881/84, K. R. c/ Suisse.
V. déjà en ce sens, Comm. EDH, 5 mars 1962, n° 1197/61, préc.
Lesquelles sont, en l’occurrence, inhérentes à la constitution et au fonctionnement du tribunal arbitral, v. sur ce point § 31 ; comp. CEDH, 28 oct. 2010, n° 1643/06, Suda c/ République tchèque, § 51-55, la Cour constatant une violation de l’article 6 de la Convention européenne dans un cas où une clause d’arbitrage s’imposait à un tiers sans qu’il puisse influencer la composition du tribunal arbitral.
CEDH, 27 févr. 1980, n° 6903/75, Deweer c/ Belgique, § 49.
V. égal. CEDH, 15 sept. 2009, n° 1742/05, Eiffage SA et a. c/ Suisse.
V. par ex. CEDH, gde ch., 11 janv. 2006, nos 52562/99 et 52620/99, Sørensen et Rasmussen c/ Danemark : pour apprécier le respect du droit de ne pas adhérer à un syndicat, la Cour n’accorde pas grand poids au consentement des requérants, car « les personnes qui postulent à un emploi sont souvent dans une situation de vulnérabilité qui les amène à tout faire pour se conformer aux conditions de travail proposées », une situation révélant, en d’autres termes, une contrainte.
D’une manière générale, sur l’interprétation, v. Faintrenie N., L’influence européenne sur l’interprétation des actes juridiques privés, Marguénaud J.-P. (dir.), thèse Limoges, 2015.
CEDH, 13 juill. 2004, n° 69498/01, Pla et Puncernau c/ Andorre : RDC 2005, p. 645, obs. Rochfeld J. ; D. 2005, p. 1832, note Poisson-Drocourt E. ; D. 2005, p. 2114, obs. Nicod M. ; JCP G 2005, I 103, n° 15, obs. Sudre F. ; JCP G 2005, II 10052, note Boulanger F. ; Defrénois 2006, p. 1909, note Malaurie P. ; RTD civ. 2004, p. 804, obs. Marguénaud J.-P.
Maintenir, dans l’intérêt bien compris des parties, un contrôle « constituant une garantie de bonne justice et non une simple chicane compromettant l’efficacité de l’arbitrage » ; en ce sens, v. Bollée S., « Le droit français de l’arbitrage international après le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 », Rev. crit. DIP 2011, p. 553, spéc. n° 26 ; comp. Pinsolle P., « La renonciation au recours en annulation en matière d’arbitrage international », in Mélanges en l’honneur du professeur P. Mayer, 2015, LGDJ-Lextenso, p. 697 : si l’auteur accueille favorablement la faculté de renonciation (p. 697), il se montre très réservé lorsqu’elle s’exprime dans une clause générale et insuffisamment précise (p. 704).
En particulier la valeur qu’elle accorde au silence ; v. le stupéfiant paragraphe 58 de l’arrêt Pla et Puncernau.
L’article 192, paragraphe 1, de la LFDIP réserve en effet la faculté de renonciation aux seules parties qui n’ont ni domicile, ni résidence habituelle, ni établissement en Suisse ; le droit belge contient des restrictions similaires – C. jud., art. 1718 – ; le droit français retient une solution beaucoup plus libérale – CPC, art. 1522, al. 1.
Cependant, ne pas subordonner la faculté de renonciation à l’absence de liens avec le for a parfois été jugé incompatible avec le droit au procès équitable ; sur l’exemple panaméen, v. Pinsolle P., « La renonciation au recours en annulation en matière d’arbitrage international », préc., spéc. p. 701.
CEDH, 29 mars 2011, n° 18240/03, Uzan et a. c/ Turquie : RDC 2012, p. 186, obs Marguénaud. J.-P.
CEDH, 30 août 2011, n° 44205/02, Aktas Elektrik Tic c/ Turquie : RDC 2012, p. 186, obs. Marguénaud J.-P.
Sur ce point, v. Marchadier F., « Droit des contrats et Convention européenne des droits de l’homme », in Milano L. (dir.), Convention européenne des droits de l’homme et droit de l’entreprise, 2016, Nemesis/Anthemis, p. 107, spéc. p. 116 et s.
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