Les autres sources du droit européen des contrats : incidence du droit matériel européen des sociétés et des marchés financiers
Le droit européen des contrats émerge de sources et méthodes diverses. Deux décisions illustrent ce foisonnement. L’une est rendue par la CJUE à propos du sort des contrats d’emprunt dans le cadre d’une fusion transfrontière, l’autre est une décision de l’AMF qui interdit à un prestataire établi dans un autre État membre de fournir ses services en France. On voit émerger dans ces arrêts un droit des contrats qui se combine avec des contraintes et des pratiques issues du droit des sociétés et du droit des marchés financiers, dont certains aspects sont couverts par le droit matériel de l’Union européenne.
CJUE, 7 avr. 2016, n° C-483/14
AMF, déc., 29 juill. 2016, faisant interdiction à Rodeler Limited (24option) de fournir des services sur le territoire français
L’arrêt KA Finanz de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 7 avril 20161 concerne l’interprétation de la convention de Rome2 et sa combinaison avec le droit européen matériel. La question préjudicielle en interprétation posée à la CJUE découle du litige suivant. La société KA Finanz, établie en Autriche, a absorbé en septembre 2010 la société Kommunalkredit établie à Chypre3. Cette dernière avait, au cours de l’année 2005, émis des emprunts subordonnés souscrits par la société Sparkassen Versicherung, établie en Autriche. Les contrats d’émission comportaient une clause de choix de loi applicable en faveur de la loi[...]
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V. le commentaire de Chacornac J., « La protection des créanciers de la société absorbée à l’issue d’une fusion internationale » : D. 2016, p. 1404.
Conv. Rome 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles. La convention de Rome est applicable aux faits de l’espèce, car le contrat concerné a été conclu avant le 17 décembre 2009, date d’entrée en vigueur du règlement Rome I qui a reformaté la convention de Rome.
Sur l’historique de cette fusion, on consultera avec intérêt le dossier de présentation de la Banque de France du 15 mai 2015, à propos de l’émission de titres de créances négociables par KA Finanz, https://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/Politique_Monetaire/Services/Service_a_la_Place_bancaire_et_financiere/Dossiers_de_Presentation_Financiere_des_emetteurs_de_TCN/89853.pdf.
Dir. Cons. n° 78/855/CEE, 7 oct. 1978 (« troisième directive ») : JOCE L 265, 20 oct. 1978 (amendée en 2008 et 2009), et Dir. PE et Cons. n° 2005/56/CE, 26 oct. 2005, relative aux fusions transfrontalières des sociétés de capitaux : JOUE L 310, 25 nov. 2005.
Dir. Fusions, art. 3 et 4, et Dir. Fusions transfrontières, art. 14.
Lagarde P., Rép. dr. eur. Dalloz, V° « Convention de Rome (obligations contractuelles) », n° 21.
V. H. Synvet et A. Tenenbaum, Rép. dr. intern. Dalloz, V° « Instruments financiers », nos 21 et s.
Concl. Bot Y., point 53.
V. par ex. en droit français, C. com., art. L. 228-97 ; pour le droit allemand, v. N’Diaye F., « Le financement par la foule, le point de vue allemand » : Rev. gén. du droit 2015, http://www.revuegeneraledudroit.eu/blog/2015/02/19/le-financement-par-la-foule-point-de-vue-du-droit-allemand/#footnote_26_19674f.
« L’autre droit (européen et international) des contrats ? » : RDC 2014, n° 110r0, p. 537.
Le Forex (Foreign Exchange) est le marché des devises. C’est un marché de gré à gré qui fonctionne sans place financière centralisée, localisée dans un État donné, qui organiserait la cotation des devises avec un carnet d’ordres. C’est un marché de professionnels mais les investisseurs particuliers ont aujourd’hui accès à ces opérations essentiellement au travers de plateformes de trading informatiques.
Dir. PE et Cons. n° 2004/39/CE, 21 avr. 2004, concernant les marchés d’instruments financiers : JOUE L 145, 30 avr. 2004.
On pourrait se demander si l’exercice aussi étendu de la compétence de l’AMF à cet égard ne constitue pas une entrave à la liberté de prestation de services : certes, la directive MIF autorise cet exercice mais, pour autant, les modalités doivent rester conformes au droit européen. Si une telle qualification était retenue, il faudrait alors établir que la décision de l’AMF est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (sans doute la protection des épargnants) et qu’elle présente un caractère nécessaire et proportionné.
La décision de l’AMF s’inscrit dans un contexte de lutte renforcée pour la protection des investisseurs sollicités pour des placements risqués sur le Forex. C’est aujourd’hui une priorité tant pour les autorités nationales qu’européennes (en droit français, v. « Forex, options binaires, arnaques financières en ligne : l’AMF, le parquet de Paris, la DGCCRF et l’ACPR se mobilisent », 31 mars 2016, disponible sur le site de l’AMF, et l’article 28 du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (projet de loi Sapin 2) adoptée le 8 juillet dernier ; en droit européen, v. les dernières questions-réponses publiées le 12 juillet 2016 sur ce sujet par l’Autorité européenne des marchés financiers).
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